Saison 2 Lumière d'Orient
Sabords 
Musique de film " Pirates des Caraïbes"
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Sabords
Le cri de la vigie rebondit sous les ponts,
Bousculant l’équipage et tiraillant les mousses,
Pressant les artilleurs d’ôter tous les tapons1,
Et glissant sur les sabres dont l’éclat s’émousse.
Alors que les gabiers2 suspendus aux haubans
Rivalisent d’adresse en singeant des couleuvres
Le Trois-Mâts qui fait front pour couler les forbans,
Change sitôt de cap en pressant la manœuvre.
Ce sont les matelots et non point les soldats
Qui mènent le ballet mitraillant en cadence
La proue d’un brick3 tartare après que l’on sonda
Les chances de succès pour lui mener la danse.
Antonin n’en peut plus, rivé près d’un sabord.
Il observe le bal des farouches corsaires
Déboulant en manège4 au plus près du bâbord,
Levant leur dague en pointe, insultant l’adversaire.
Faisant le grand écart quand la bordée fit feu
Le brick se déchira dans une gargouillade5
Tandis que les canons rythmant un pas de deux,
Font trembler l’horizon qui rougeoie de noyades.
L’enfer lave les ponts quand la pitié rend sourd.
Portée par les grappins, la mort en cabrioles6
Se pique de chassés, déboulant sans retour,
Et fait valser les corps en froide gaudriole.
C’est un tir de mousquet qui surprend Antonin.
Son ami Jean vacille en se tenant la tête,
Mais il le porte en cale absorbant le venin
Qui lui ronge les sens en douleur qui s’entête.
Par un sabord ouvert, Jean reprend ses esprits,
Buvant goulûment l’air qui remplace les miasmes
Des cadavres puants et mutilés qui prient,
Laissant aux rats le goût d’entrechats7 pour les spasmes.
La mer vient d’effacer le désastre du brick,
Le rhum vient d’éponger les ravages des armes,
Le sort vient d’épargner l’amitié qui s’imbrique,
L’honneur vient d’humilier la Crimée qui s’alarme.
N.B. Ce poème comprend de nombreux mots et termes empruntés aux vocabulaires de la marine à voile et de la danse classique. Sans tous les reprendre, j’en donne ci-après quelques définitions :
Marine à voile :
1 Le « tapon ou tampon » était une petite pièce de bois de liège servant à boucher l’âme d’un canon pour éviter que l’eau n’y entre.
2 Le « gabier » était un matelot affecté à la manœuvre des voiles et du gréement.
3 Le brick était un voilier rapide à deux mats, très apprécié des pirates et des corsaires.
Danse classique :
4 Le « manège » en danse est un parcours circulaire autour de la scène.
5 La gargouillade en danse est un « saut de chat ».
6 La « cabriole » est en danse ce mouvement de saut levé où les deux jambes se frappent généralement deux fois.
7 « L’entrechat » est en danse un changement de pied battu.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
Jean
Tri Yann : chanson " La mer est sans fin "
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Jean
Des citrouilles gonflées d’un orange éclatant
Se berçant d’illusions pour se croire pulpeuses,
Aguichent les enfants de songes relatant
Leur carrosse de lune aux légendes pompeuses.
Oui, mais Perlimpinpin sait qu’elles finiront
En soupe bien charnue poudrée par Joséphine
Et qu’une fois creusées, les gamins vous diront
Qu’ils les aiment surtout en feux de paraffine.
Sur la table nacrée d’une corbeille à fruits
Qu’elles ont dénichée dans la manufacture
Florence et Irena disposent sans un bruit
La vaisselle fleurie de si belle facture.
Joséphine s’amuse de les voir goûter
Ses paroles nappant l’oubli de leurs ancêtres,
Et commentant le sort d’Antonin dégoûté,
Leur révèle que Jean fut son frère et son maître :
« Ensemble ils sont partis pour les brises d’Orient
Sur le Napoléon1, beau trois-mâts à hélice
Trichant avec le vent d’un souffle coloriant
De charbon les embruns en vapeurs de mélisse.
De deux ans son aîné, Jean fut son compagnon,
Son ami protecteur, fidèle frère d’armes,
Qui partageait le pain, le branle2 et les oignons
Et la poudre à canon, le rhum et puis les larmes...
Quand la mer démontée vint lécher l’horizon
Réclamant au dieu Mars3 son tribut de souffrance,
Et quand pour l’apaiser les chevaux en prison
Brisèrent leurs bat-flanc, se heurtant dans l’errance,
Il se fit un grand vide au cœur des matelots.
Mais les hommes sonnés en ce triste équipage4
Sacrifièrent un veau percé de javelots
Trompant Neptune et Mars d’un sanglant étripage.
Ils s’étaient ligotés, s’ils devaient se noyer,
Mais l’abîme repu se combla sur lui-même
Redressant au beaupré5 la figure6 en noyer
Qui murmure aux marins combien le ciel les aime. »
1 « Le Napoléon » était le 1er vaisseau de ligne cumulant la voile et la propulsion à hélice par la vapeur.
2 « le branle » est un hamac dans la marine, à ne pas confondre avec la « bannette » ou couchette.
3 « Mars » : allusion au dieu de la guerre romain, sachant que l’expédition d’Orient » appareilla en ce qui les concerne (Antonin et Jean) de Toulon, le 20 mars 1854.
4 Je fais ici, une discrète allusion au naufrage de « La Sémillante » survenu le 15 février 1855 au large de Bonifacio, mais sans rapport direct avec mon poème, et dont je parlerai ultérieurement...
5 Le mât de beaupré se tient à la proue (au-devant) d’un navire.
6 La figure de proue représentait la plupart du temps une sculpture d’animal, de divinité, de sirène ou de buste de femme nue, placée juste sous le mât de beaupré des anciens grands voiliers, censée protéger le navire.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
Tourments
- Gravure en couverture du « Progrès illustré »
- supplément au « Progrès de Lyon » du dimanche 1er mars 1891
" Marche Lorraine " musique militaire
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Tourments
L’automne a la manie d’affoler les pigeons
Quand des mouettes cendrées tracent leurs arabesques
Sur la Seine qui noie tout espoir de bourgeons
Et qui charrie l’écho de relents soldatesques.
La scène des tourments qui brise le Chili1
Dicte au Monde l’horreur torturant les colombes,
Et Florence en sanglots voit bien qu’on humilie,
Qu’on chasse et qu’on détruit les rêves des palombes.
Fuyant l’actualité par un furieux besoin,
Elle mène Irena loin d’ici jusqu’à l’Aube,
Trouvant chez Joséphine un soutien fait de soins,
Du bonheur singulier d’un faitout riche en daube.
Et le temps se dilue s’accrochant aux chardons,
Aux houx déjà tressés qui trônent sous le porche,
Aux sorties de cueillette ou de pêche aux gardons,
Aux balades au bois et cèpes qu’on écorche.
Comme le sol de craie2 prolongé de pins noirs,
De vignobles ancrés dans la terre en mémoire,
Bayel ne livre rien sauf en veillée le soir ;
Lors, Joséphine entrouvre un pan de leur histoire :
« Austerlitz3 rejetait son fils républicain,
Soulignant à l’envi qu’il méritait le bagne.
Un jour, il se rendit chez un bourgeois mesquin
Lui offrant d’échanger le numéro qui gagne4.
Il graissa le notaire inscrivant les conscrits
Et trichant sur son âge en remise de bourse
Leur vendit Antonin au Régiment souscrit
Contre deux mille francs, disant qu’il se rembourse !
Au marché, Louis trinqua pour son fils le soldat
Qui bientôt rejoindrait Toulon puis la Crimée,
Au cœur de la marine investie du mandat
De vaincre l’oppresseur et d’aider l’opprimé.
C’est bien curieuse chose que d’imaginer
Qu’Antonin accepta de Judas ce négoce,
Mais pour lui ce fut libre qu’il vint à dîner
Avec ceux de « sa Classe »5, éblouis par ce gosse. »
1 Coup d’État du général Augusto Pinochet à Santiago du Chili le 11 septembre 1973.
2 La Champagne Crayeuse.
3 Louis, dit « Austerlitz ».
4 Un conscrit de 20 ans pouvait alors échapper au tirage au sort du «mauvais numéro» en se faisant remplacer contre une compensation financière.
5 La classe d’âge de la conscription est fixée à 20 ans, mais dans mon poème en 1854, Antonin n’a que 18 ans...
Pierre Barjonet
Novembre 2020
Pitié
"Complainte de Saint-Nicolas / trois petits enfants"
Petits chanteurs à la Croix de Bois
N.B. Afin de profiter au mieux de ce chant, sans confusion avec les vers,
veuillez l'écouter après la lecture du poème
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Pitié
Intrigué par son fils qui va puis s’en revient,
Austerlitz entrevoit la raison du manège.
Échauffé par la prune, fébrile il prévient
Que des marmots perdus, n’en prend ni n’en protège !
Ces petits qu’il rejette, il les flanque dehors,
Provoquant un tumulte de cris et de larmes.
Il se dresse furieux quand le garçon le mord,
Mais Antonin suspend son geste qui l’alarme.
Les menant à l’église en fuyant ce dément,
Antonin sait qu’ici sera leur providence.
Il n’ose les confier au vieux Père Clément,
Mais la pitié du prêtre est juste une évidence.
Les prenant par la main, le bon père sourit
Aux enfants du déluge en si cruelle peine
Qui grâce à l’Antonin, de la mort n’ont nourri
Sa besogne funeste en cliquetis de chaînes.
Lové contre sa sœur Cédric ne tremble plus,
Mais dévore des yeux l’alléchante galette
Que lui donne Marie, la servante1 goulue
Dont le chapeau fascine autant que sa voilette.
Antonin rassuré, s’en retourne au logis,
Puis sans un mot s’en va pour la manufacture
Souffler sa rage aux dieux de la mythologie,
Réussissant le feu d’un vase sans fracture.
Sa main ne tremble pas, mais son cœur est glacé
Se forçant à l’oubli de cette scène ignoble
Quand son père a chassé les petiots enlacés,
Leur refusant la soupe et de la paille noble.
Mais voici qu’Austerlitz déboulant éméché,
Se poste auprès d’un tour2 en rompant la cadence
D’un jeune compagnon taillant pour l’Évêché
Des flambeaux en cristal contre la décadence.
Le regard des verriers bruisse d’un clair mépris
Pour celui qui naguère ondoyait d’élégance
Aidant des maladroits dans des travaux repris,
Mais qui sombre ce soir en odieuse arrogance.
1 Marie est la fidèle servante du curé de Bayel.
2 Parmi les outils du verrier, le tour permet de faire tourner une pièce de verre pour en faciliter la gravure afin de donner au cristal sa parure exceptionnelle, intervenant en fin de cycle après la taille.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
L'Aube
Musique du film "Rosemary's Baby"
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L’Aube
Au sortir du printemps quand le ciel se cabra
Sur ses farouches nuages crachant leur écume,
Et quand la pluie noya l’orage qui sabra
Les andains 1 dévastés tant l’espoir se consume,
Alors, tout le pays, par la fureur des cieux,
Tonna contre le cœur de son âme en souffrance.
Mortifiés, les enfants de Bayel silencieux,
Vinrent prier la Vierge et tous les Saints de France.
En forçant le destin qui souffla le pays,
Une famille en pleurs, tassée dans sa charrette
Bascula sous le vent non loin de l’abbaye,
Glissant transie dans l’Aube en son sort qui s’arrête.
Luttant dans la tempête Antonin se battait,
Se cabrait puis tirait ses bêtes affolées,
Rassurait les brebis que l’écho rebattait,
Et redoublant d’efforts, jurait à la volée.
Le cri le foudroya, cinglant comme un éclair !
Lors, laissant son troupeau, le voici qui déboule
Sur la berge exhumant la charrette qu’éclaire
Le miroir des remous puissants que tout chamboule.
L’onde avait déjà bu la vie des pauvres gens,
Les vieux et les parents et leur mulet peut-être.
Écarquillant les yeux, trébuchant et nageant,
Antonin se démène et fouille chaque mètre.
Il connaît ces enfants, la fillette et le fils
De l’ami rebouteux qu’engloutit la rivière.
Il ne peut tolérer la mort en son office
Qui s’écoule funeste et vous porte en civière.
Les cris se font cruels en aval du courant,
Et l’Antonin bondit, détournant son sillage.
Apercevant blottis les deux mouflets pleurants,
L’Antonin s’en saisit, les tirant du feuillage.
Remontant à l’abri ces piteux orphelins,
Il les veille le soir, les bordant dans la paille,
Évitant d’éveiller Louis 2 en son patelin,
Puis leur donne du lait, du pain, des œufs de caille.
1 Les andains sont de longs sillons d’herbe séchée en vue d’en faire du foin.
2 Louis Weber, dit « Austerlitz », le père d’Antonin.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
L'enclume
"Moby Dick" de Led Zeppelin, solo de batterie
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L’enclume
Dès la fin de l’Office il s’en vient voir Bertrand,
Son ami des chevaux frappant sur son enclume ;
S’inclinant en saluant le maréchal-ferrant
Lui porte pain bénit et grasse poule en plumes.
Il est vrai que Bertrand, suivant la tradition,
Est le seul du village au labeur le dimanche 1 ;
Il est vrai qu’Antonin sensible à l’audition,
Entend bien volontiers se retrousser les manches.
Et tous deux en cadence troussent le métal,
Formant clous et burins, binettes et faucilles,
Faisant pleurer le feu des lingots qui s’étalent
Et suant dans la vapeur de l’acier qui vacille.
Bertrand n’a pas de fils, mais l’Antonin lui plait.
Le gosse a dix-sept ans et son âme est fort claire,
Et son tempérament se moque bien des plaies
Qu’Austerlitz 2 lui inflige à la casse de verres.
Les filles au village espèrent qu’Antonin
Sera pour la Saint-Jean le promis qu’on adore ;
Leur cœur battant d’envie pour l’être léonin
Qui se moque pourtant des yeux qui le dévorent.
Il est le désespoir de Louis, triste grognard,
Qui se terre à Bayel en sa manufacture,
Quand l’enfant de son sang s’en va sous le cagnard
À bride rabattue débourrer sa monture.
Il est ce cavalier qui sait chauffer le fer,
Qui sait souffler le verre et sabrer 3 le champagne,
Qui sait dresser sans fouet l’étalon qui diffère,
Et sait se passionner pour le sort des campagnes.
Il déteste l’Empire et ce Napoléon 4,
N’aime que les romans forgeant la République,
S’éprend de liberté défiant le Panthéon
Des tyrans, du monarque aux prétextes bibliques.
Brandissant son marteau dessus son tablier
Antonin se redresse et vient frapper l’enclume
Faisant jaillir le feu de son cœur replié,
Laissant percer l’espoir d’un pays qui s’allume.
1 La légende voulant qu’aucun forgeron n’ayant accepté de forger les clous de la croix du Christ, l’Église les autorisa à travailler le dimanche.
2 Louis Weber.
3 Ne pas confondre « sabrer » en faisant sauter le goulot d’une bouteille de champagne avec un sabre et « sabler » ou le boire rapidement.
4 Napoléon III.
Pierre Barjonet
Octobre 2020