Saison 2 Lumière d'Orient
La charge
Charge de cavalerie (trompette et fanfare)
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La charge
L’escadron1 d’Antonin vient d’allonger le trot,
Soulevant la poussière en gerbes irisées,
Se taillant dans la plaine une charge de trop,
Mais fier de sacrifier son cœur martyrisé.
Les Hussards Bercheny2 savent que cet assaut
Contre l’artillerie paiera le grand voyage
Pour le Styx3 infernal, mais les pleutres vassaux
Du Tsar et des Boyards subiront leur broyage.
Enfin, changeant d’allure en ordre fourrageur4,
C’est chaque peloton1 qui fait luire ses sabres
Au contact « botte à botte » au cliquetis rageur,
Dressant les sabretaches5 au vent qui se cabre.
Galopant à l’appel du Trompette6 soufflant
L’assaut dans la mêlée sous le feu qui décharge,
Éperonnés, meurtris, le sang giclant des flancs,
Les chevaux exaltés foulent de mort la charge.
Le soleil fait briller les shakos7 des hussards
Et la poudre bruisser leurs dolmans8 et pelisses8
Tandis que les chevaux piétinant les froussards
Écument sur leur mors9 à nul autre délice.
Les hommes sont en transe et sèment la terreur,
Secouant les brandebourgs10 sur leur poitrine en fièvre,
Se moquant des boulets, criant : « Vive l’Empereur ! »,
Pourchassant les moujiks qui fuient comme des lièvres.
Mais c’était compter sans l’orage des canons
Tonnant de fer et bronze en mitraille et déluge,
Fauchant nos étendards, l’honneur que nous glanons,
Troussant la vie des corps privés de tout refuge.
Vidant les étriers, Antonin vient sombrer
Dans les vapeurs poivrées de la steppe insalubre,
S’abandonnant aux bras de naïades ambrées
Qui le veillent bientôt sous la lune lugubre.
L’aube aux parfums d’acier se charge des vainqueurs
Qui délaissent les corps des valeurs et des armes,
Et se guidant aux cris des blessés qui font chœur,
Empoignent Antonin, désarçonnant ses larmes...
N.B. Ce poème comprend de nombreux mots et termes empruntés au vocabulaire militaire de la cavalerie dont je donne ci-après quelques définitions, pour en faciliter la lecture :
1 Un Escadron divisé en cinq Pelotons1 se dit d’une troupe à cheval ou de gendarmes et comprend 120 hommes, à la différence de l’infanterie (à pied) qui comprend des Compagnies subdivisées en Sections.
2 « Bercheny », du nom du Conte Hongrois Ignace de Bercheny qui fonda un régiment de hussards levé en Alsace-Lorraine en 1720, devenant en 1791 le 1er Régiment de Hussards puis depuis 1946, le 1er Régiment de Hussards Parachutistes.
3 « Le Styx » en mythologie était le fleuve des Enfers que les âmes des damnés devaient traverser pour atteindre le tribunal des morts en versant à Charon, le sinistre passeur, son obole (placée sous la langue du défunt) payant la traversée.
4 « Fourrageur » correspondant à un ordre de bataille en ligne de la cavalerie.
5 La « sabretache » était une sacoche de cuir décorée que les officiers de cavalerie, principalement les Hussards, portaient au ceinturon.
6 Ne pas confondre entre « le Trompette » pour le cavalier sonnant les ordres à la « trompette de cavalerie » et « le Clairon » les jouant au clairon, à pied.
7 Le « Shako » est une coiffe militaire (des Hussards ou actuellement des Saint-cyriens), surmontée d’un plumet appelé casoar (en référence à un grand oiseau Indonésien).
8 Le « Dolman » était une courte veste militaire habillant notamment les Hussards, et largement décorée de tresses, de brandebourgs10, de boutons de cuivre ou d’argent et de galons, elle-même recouverte partiellement d’une pelisse8 brodée et fourrée.
9 Le « mors » que l’on place dans la bouche du cheval est une pièce de son harnachement servant à le guider.
10 Les « brandebourgs » sont des passements constitués de nœuds qui décoraient les vestes et gilets des tenues réservées autrefois aux officiers de cavalerie, principalement.
Pierre Barjonet
Décembre 2020
Chaume
Hôtel de Guise ou de Clisson au 58, rue des Archives à Paris 3è
G. Brassens chante " La ballade des Dames du temps jadis "
N.B. veiller à ne pas écouter la chanson simultanément à la lecture du poème
pour ne pas en altérer la perception..
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Chaume
Glissant sur les pavés que le gel polirait,
Irena s’arcboute au portail vert olive
Du bel immeuble en pierre aux escaliers cirés
Sis au cinquante-quatre en la rue des Archives1.
C’est là que ses parents au charme ont succombé,
Prolongeant dans la cour l’atelier de sculpture2
De Valentine2 offrant ses cheveux retombés
Blanchis par ses ciseaux taillant des sépultures3.
Nicolas4 maintenant, vernit du bois doré
Servant à rénover les lambris des Folies5,
Des hôtels du Marais6 aux reflets mordorés
Que l’histoire a dépeints avec mélancolie.
Ici, le temps s’apaise au regain du passé,
Laissant percer l’écho de la Porte du Chaume1
En ce quartier du Temple aux Maîtres trépassés,
Croisés d’éternité, d’innocents7 sous leur heaume.
Sentant chanter son pas crissant de neige au sol,
Valentine irradie sa fille d’un sourire
Qui lui porte un panier de fleurs de tournesol,
Et fruits confits glacés d’un plaisir à mourir.
Dans le décor désuet de l’atelier somptueux
Taillé dans le miroir aux reflets de croisades,
Les deux femmes échangent leurs travaux fastueux
Ourlés de parchemins de nobles ambassades.
Complices toutes deux s’attachant à Bayel,
Elles goûtent de thé, grignotent des meringues
Et renversent du lait en rattrapant le miel,
Puis rient de leur déveine en contemplant leurs fringues !
Ouvrant son secrétaire engorgé des trésors
Glanés sur Antonin lors de sa propre quête
Valentine brandit son trophée de Windsor :
« La Reine Victoria8 ratifiant sa requête ! »
La trouvaille sera pour Florence un présent
Doublé d’un petit buste au lyrisme à débattre,
Offerts par Valentine accompagnant l’absent
Aux rives de l’amour pour l’Antonin d’albâtre.
1 À l’emplacement actuel du 54 de la rue des Archives, se tenait l’ancienne rue du Chaume (où demeurent les parents d’Irena dans mon poème) ouverte au XIIIème siècle par l’Ordre des Templiers dans l’enceinte de Philippe-Auguste à Paris.
2 Valentine, âgée de 73 ans, fille adoptive de Laurine (cf/La romance de Laurine) est la mère d’Irena. Auparavant, elle avait un atelier de sculpture à Montmartre.
3 Valentine (voir « La romance de Laurine ») est maintenant « presque » à la retraite, elle qui débuta la sculpture en concevant des monuments funéraires au titre de la statuaire féminine, au lendemain de la Grande-Guerre.
4 Nicolas, conjoint de Valentine, est le père d’Irena.
5 Les « Folies » étaient de vastes demeures de villégiatures d’aristocrates ou de bourgeois fortunés, construites dès le XIVe et très en vogue au XIXe.
6 Les hôtels particuliers du Marais, construits depuis le Moyen-Âge, la Renaissance et surtout le Grand-Siècle sont encore nombreux et certains sont très célèbres comme l’hôtel des Tournelles de Catherine de Médicis ou l’hôtel Sully Place Royale (devenue la Place des Vosges).
7 Le « cimetière des Saint-Innocents », se trouvait à l’emplacement des Halles.
8 La Reine Alexandrina Victoria (1819/1901) fut la grande reine qui laissa son nom à la postérité, comme Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande (de 1837 à son décès en 1901), Reine du Canada, Impératrice des Indes et Reine d’Australie.
Pierre Barjonet
Décembre 2020
Les brèches
Chanson de Georgel en 1919 " Aux halles "
N.B. veiller à ne pas écouter la chanson simultanément à la lecture du poème
pour ne pas en altérer la perception..
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Lexique Antonin, Saison 2 , Episode 8, Les brèches
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Les brèches
C’est une Toison d’or qui recouvre Paris
Croquant l’automne en feu, consumant ses cartouches
De feuilles orangées, de tickets de paris,
Et de spéculations bruissant de bouche en bouche.
La ville a deux amours qui creusent leur destin :
L’ancien Plateau Beaubourg dépouillé des toitures,
Les Halles sans étals vidées de leurs festins,
Par les rues qu’on fracasse exilant leurs voitures.
C’est le temps des chantiers et des excavateurs
Qui heurtent le passé de la Belle Endormie,
L’invitant à goûter les parfums novateurs
Des escaliers rubis et poutrelles vernies.
La culture a fendu les linteaux de Baltard1,
Débitant en tronçons les bistrots des pochardes,
Forts des Halles soupant comme malfrats bâtards,
Troquets estampillés d’opinion cabocharde2.
Les brèches se glissant dans l’antre du Marais
Percent pour Irena l’avenir de la ville,
Et fascinent Florence en balade à l’arrêt
Face à l’adversité de la foule servile.2
Même le nom des voies renonce à ce Plateau
Qualifié d’insalubre avec la rue Brantôme3,
Et pourtant c’était bien de goûter aux gâteaux
De la rue Brisemiche4 aux blancs biscuits fantômes...
Épluchant des marrons qu’on vient de lui griller,
Florence ajuste un châle en songeant que l’automne
Réchauffe son plaisir sans se faire prier
De ses tricots gaufrés, mais jamais monotones.
Une larme pourtant vient rider les faveurs
Du « Temps perdu » d’hier car c’est l’anniversaire4
« En fleur » des « Jeunes filles » soufflant la saveur
De leurs bougies fanées sous des cieux adversaires.
Mais la brèche du temps comptant la dimension
De leurs années bonheur aux rires d’étudiantes
Collectant des succès colorés de mentions5,
Fleurit leur avenir de traverse irradiante.
1 Les dix « Pavillons Baltard » du nom de leur architecte Victor BALTARD (1805/1874) furent construits aux halles de Paris de 1852 à 1870 (Époque d’Antonin !) et démolis en 1971/1972 sauf le n°8 (remonté à Nogent-sur-Marne en 1976).
2 Le public réagit vivement à la démolition des Halles de Paris et nourrit une forte polémique autour de la construction du Centre Beaubourg jugé hideux ou génial...
3 Les rues de Brantôme et de Brisemiche ont été rasées avec leur îlot Saint-Martin, donnant naissance au Quartier de l’horloge lors de la construction du Centre Beaubourg/Pompidou.
4 - N.D.L.R. Nous sommes dans mon poème en octobre 1974 et l’on fête l’anniversaire d’Irena (45 ans le 24 octobre) et de son amie Florence (30 ans depuis la fin de l’été).
5 - N.D.L.R. Irena et Florence, que nous avons rencontrées comme étudiantes salariées au C.U.E.V. de Vincennes (voir ICI le lien vers mon 1er poème : VINCENNES), ont depuis obtenu avec mentions TB leurs Licences et Maîtrises de Sociologie de l’Art, avec un mémoire commun relatif à la passion contemplative pour l’Art de Marcel Proust.
Pierre Barjonet
Décembre 2020
La nasse
La Rusalka slave...
" Rusalka - Le chant à la lune " d'Anton Dvorak (Opéra)
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La nasse
Épuisés, harassés, ployant sous la chaleur,
Les hommes ne sont plus qu’une longue colonne
Traînant d’épuisement aux Balkans de malheur,
Prolongeant leur percée vers la Russie félonne.
Longeant cette mer Noire aux flots luisants de jais,
Ils arpentent leur sort en regrettant la liesse
De leur débarquement par milliers de sujets
Paradant rutilants en souriant aux joliesses.
Dobroudja1, c’est le nom de ce pays maudit,
De cet antre torride aux plateaux cuits de steppes.
Ce n’est point-là l’Orient des palais, ces taudis,
Mais celui des Tatars2 cinglants comme des guêpes !
Depuis Gallipoli3 puis maintenant Varna4,
Nos cohortes convergent vers le bleu Danube,
Redoutant ses marais au mythe qu’incarna
Roussalka5 du Delta et ses morts qui titubent...
Jean prend soin d’Antonin, juste retour d’honneur,
Et mène par la bride leurs montures ternes
Évitant d’absorber l’air des empoisonneurs,
Les miasmes des chemins et l’eau de leurs citernes.
Le jour ce sont les chiens, mais la nuit c’est le loup,
Qui dévorent d’envie les blessures atroces
Des traînards isolés que des bergers jaloux
Chassent à coup de fronde et de buse féroce.6
Gisant perclus de fièvre par le choléra7,
Les Dragons, les Lanciers et les Hussards qui râlent
Se tordent de douleur en chevauchant les rats,
Depuis l’humble cadet jusqu’à son général.
Antonin fait des feux puis brûle des chevaux
Quand le soir au bivouac la corvée se hasarde
À séparer les morts des malades nouveaux.
Maîtrisant les bûchers, jamais il ne musarde !
En se grattant au sang, il chante les labours,
Fredonne le refrain des compagnons du verre,
Rythme en tapant des mains sur le cuir d’un tambour
Et riant avec Jean, repousse leur calvaire.
1 La Dobrogée (Dobroudja en roumain) est une région accueillant le delta du Danube en bordant la mer Noire et se partageant entre la Bulgarie, la Roumanie et l’Ukraine.
2 Les « Tatars » ou Tartares sont un peuple turco-mongol.
3 C’est d’abord sur la péninsule de Gallipoli (rive Nord du détroit des Dardanelles) que l’expédition navale franco-britannique débarqua avant que de rembarquer en partie pour Varna.
4 Varna et son port servirent de base de débarquement de la flotte franco-britannique puis de base militaire (50.000 Français et 20.000 Anglais) et de quartier Général coordonnant les opérations contre la Crimée.
5 Les « Roussalki » dont Roussalka ou Rusalka relèvent de légendes du delta du Danube et sont les esprits de jeunes filles noyées qui s’en prennent aux rêves des vivants la nuit (à l’origine des morts-vivants).
6 La « buse féroce » fait partie de la faune bulgare.
7 Le choléra tua presque autant qu’au combat durant la guerre de Crimée, notamment au Camp de Varna (7.000 Français morts du choléra sur 10.000 dont 5.183 enterrés à Varna, suite au choléra).
Pierre Barjonet
Décembre 2020
Sabords
Musique de film " Pirates des Caraïbes"
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Lexique Antonin, Saison 2 , Episode 6, Sabords
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Sabords
Le cri de la vigie rebondit sous les ponts,
Bousculant l’équipage et tiraillant les mousses,
Pressant les artilleurs d’ôter tous les tapons1,
Et glissant sur les sabres dont l’éclat s’émousse.
Alors que les gabiers2 suspendus aux haubans
Rivalisent d’adresse en singeant des couleuvres
Le Trois-Mâts qui fait front pour couler les forbans,
Change sitôt de cap en pressant la manœuvre.
Ce sont les matelots et non point les soldats
Qui mènent le ballet mitraillant en cadence
La proue d’un brick3 tartare après que l’on sonda
Les chances de succès pour lui mener la danse.
Antonin n’en peut plus, rivé près d’un sabord.
Il observe le bal des farouches corsaires
Déboulant en manège4 au plus près du bâbord,
Levant leur dague en pointe, insultant l’adversaire.
Faisant le grand écart quand la bordée fit feu
Le brick se déchira dans une gargouillade5
Tandis que les canons rythmant un pas de deux,
Font trembler l’horizon qui rougeoie de noyades.
L’enfer lave les ponts quand la pitié rend sourd.
Portée par les grappins, la mort en cabrioles6
Se pique de chassés, déboulant sans retour,
Et fait valser les corps en froide gaudriole.
C’est un tir de mousquet qui surprend Antonin.
Son ami Jean vacille en se tenant la tête,
Mais il le porte en cale absorbant le venin
Qui lui ronge les sens en douleur qui s’entête.
Par un sabord ouvert, Jean reprend ses esprits,
Buvant goulûment l’air qui remplace les miasmes
Des cadavres puants et mutilés qui prient,
Laissant aux rats le goût d’entrechats7 pour les spasmes.
La mer vient d’effacer le désastre du brick,
Le rhum vient d’éponger les ravages des armes,
Le sort vient d’épargner l’amitié qui s’imbrique,
L’honneur vient d’humilier la Crimée qui s’alarme.
N.B. Ce poème comprend de nombreux mots et termes empruntés aux vocabulaires de la marine à voile et de la danse classique. Sans tous les reprendre, j’en donne ci-après quelques définitions :
Marine à voile :
1 Le « tapon ou tampon » était une petite pièce de bois de liège servant à boucher l’âme d’un canon pour éviter que l’eau n’y entre.
2 Le « gabier » était un matelot affecté à la manœuvre des voiles et du gréement.
3 Le brick était un voilier rapide à deux mats, très apprécié des pirates et des corsaires.
Danse classique :
4 Le « manège » en danse est un parcours circulaire autour de la scène.
5 La gargouillade en danse est un « saut de chat ».
6 La « cabriole » est en danse ce mouvement de saut levé où les deux jambes se frappent généralement deux fois.
7 « L’entrechat » est en danse un changement de pied battu.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
Jean
Tri Yann : chanson " La mer est sans fin "
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et la rubrique CHRONOLOGIE
Jean
Des citrouilles gonflées d’un orange éclatant
Se berçant d’illusions pour se croire pulpeuses,
Aguichent les enfants de songes relatant
Leur carrosse de lune aux légendes pompeuses.
Oui, mais Perlimpinpin sait qu’elles finiront
En soupe bien charnue poudrée par Joséphine
Et qu’une fois creusées, les gamins vous diront
Qu’ils les aiment surtout en feux de paraffine.
Sur la table nacrée d’une corbeille à fruits
Qu’elles ont dénichée dans la manufacture
Florence et Irena disposent sans un bruit
La vaisselle fleurie de si belle facture.
Joséphine s’amuse de les voir goûter
Ses paroles nappant l’oubli de leurs ancêtres,
Et commentant le sort d’Antonin dégoûté,
Leur révèle que Jean fut son frère et son maître :
« Ensemble ils sont partis pour les brises d’Orient
Sur le Napoléon1, beau trois-mâts à hélice
Trichant avec le vent d’un souffle coloriant
De charbon les embruns en vapeurs de mélisse.
De deux ans son aîné, Jean fut son compagnon,
Son ami protecteur, fidèle frère d’armes,
Qui partageait le pain, le branle2 et les oignons
Et la poudre à canon, le rhum et puis les larmes...
Quand la mer démontée vint lécher l’horizon
Réclamant au dieu Mars3 son tribut de souffrance,
Et quand pour l’apaiser les chevaux en prison
Brisèrent leurs bat-flanc, se heurtant dans l’errance,
Il se fit un grand vide au cœur des matelots.
Mais les hommes sonnés en ce triste équipage4
Sacrifièrent un veau percé de javelots
Trompant Neptune et Mars d’un sanglant étripage.
Ils s’étaient ligotés, s’ils devaient se noyer,
Mais l’abîme repu se combla sur lui-même
Redressant au beaupré5 la figure6 en noyer
Qui murmure aux marins combien le ciel les aime. »
1 « Le Napoléon » était le 1er vaisseau de ligne cumulant la voile et la propulsion à hélice par la vapeur.
2 « le branle » est un hamac dans la marine, à ne pas confondre avec la « bannette » ou couchette.
3 « Mars » : allusion au dieu de la guerre romain, sachant que l’expédition d’Orient » appareilla en ce qui les concerne (Antonin et Jean) de Toulon, le 20 mars 1854.
4 Je fais ici, une discrète allusion au naufrage de « La Sémillante » survenu le 15 février 1855 au large de Bonifacio, mais sans rapport direct avec mon poème, et dont je parlerai ultérieurement...
5 Le mât de beaupré se tient à la proue (au-devant) d’un navire.
6 La figure de proue représentait la plupart du temps une sculpture d’animal, de divinité, de sirène ou de buste de femme nue, placée juste sous le mât de beaupré des anciens grands voiliers, censée protéger le navire.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
Tourments
- Gravure en couverture du « Progrès illustré »
- supplément au « Progrès de Lyon » du dimanche 1er mars 1891
" Marche Lorraine " musique militaire
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Tourments
L’automne a la manie d’affoler les pigeons
Quand des mouettes cendrées tracent leurs arabesques
Sur la Seine qui noie tout espoir de bourgeons
Et qui charrie l’écho de relents soldatesques.
La scène des tourments qui brise le Chili1
Dicte au Monde l’horreur torturant les colombes,
Et Florence en sanglots voit bien qu’on humilie,
Qu’on chasse et qu’on détruit les rêves des palombes.
Fuyant l’actualité par un furieux besoin,
Elle mène Irena loin d’ici jusqu’à l’Aube,
Trouvant chez Joséphine un soutien fait de soins,
Du bonheur singulier d’un faitout riche en daube.
Et le temps se dilue s’accrochant aux chardons,
Aux houx déjà tressés qui trônent sous le porche,
Aux sorties de cueillette ou de pêche aux gardons,
Aux balades au bois et cèpes qu’on écorche.
Comme le sol de craie2 prolongé de pins noirs,
De vignobles ancrés dans la terre en mémoire,
Bayel ne livre rien sauf en veillée le soir ;
Lors, Joséphine entrouvre un pan de leur histoire :
« Austerlitz3 rejetait son fils républicain,
Soulignant à l’envi qu’il méritait le bagne.
Un jour, il se rendit chez un bourgeois mesquin
Lui offrant d’échanger le numéro qui gagne4.
Il graissa le notaire inscrivant les conscrits
Et trichant sur son âge en remise de bourse
Leur vendit Antonin au Régiment souscrit
Contre deux mille francs, disant qu’il se rembourse !
Au marché, Louis trinqua pour son fils le soldat
Qui bientôt rejoindrait Toulon puis la Crimée,
Au cœur de la marine investie du mandat
De vaincre l’oppresseur et d’aider l’opprimé.
C’est bien curieuse chose que d’imaginer
Qu’Antonin accepta de Judas ce négoce,
Mais pour lui ce fut libre qu’il vint à dîner
Avec ceux de « sa Classe »5, éblouis par ce gosse. »
1 Coup d’État du général Augusto Pinochet à Santiago du Chili le 11 septembre 1973.
2 La Champagne Crayeuse.
3 Louis, dit « Austerlitz ».
4 Un conscrit de 20 ans pouvait alors échapper au tirage au sort du «mauvais numéro» en se faisant remplacer contre une compensation financière.
5 La classe d’âge de la conscription est fixée à 20 ans, mais dans mon poème en 1854, Antonin n’a que 18 ans...
Pierre Barjonet
Novembre 2020
Pitié
"Complainte de Saint-Nicolas / trois petits enfants"
Petits chanteurs à la Croix de Bois
N.B. Afin de profiter au mieux de ce chant, sans confusion avec les vers,
veuillez l'écouter après la lecture du poème
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Lexique Antonin, Saison 2 , Episode 2, Pitié
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et la rubrique CHRONOLOGIE
Pitié
Intrigué par son fils qui va puis s’en revient,
Austerlitz entrevoit la raison du manège.
Échauffé par la prune, fébrile il prévient
Que des marmots perdus, n’en prend ni n’en protège !
Ces petits qu’il rejette, il les flanque dehors,
Provoquant un tumulte de cris et de larmes.
Il se dresse furieux quand le garçon le mord,
Mais Antonin suspend son geste qui l’alarme.
Les menant à l’église en fuyant ce dément,
Antonin sait qu’ici sera leur providence.
Il n’ose les confier au vieux Père Clément,
Mais la pitié du prêtre est juste une évidence.
Les prenant par la main, le bon père sourit
Aux enfants du déluge en si cruelle peine
Qui grâce à l’Antonin, de la mort n’ont nourri
Sa besogne funeste en cliquetis de chaînes.
Lové contre sa sœur Cédric ne tremble plus,
Mais dévore des yeux l’alléchante galette
Que lui donne Marie, la servante1 goulue
Dont le chapeau fascine autant que sa voilette.
Antonin rassuré, s’en retourne au logis,
Puis sans un mot s’en va pour la manufacture
Souffler sa rage aux dieux de la mythologie,
Réussissant le feu d’un vase sans fracture.
Sa main ne tremble pas, mais son cœur est glacé
Se forçant à l’oubli de cette scène ignoble
Quand son père a chassé les petiots enlacés,
Leur refusant la soupe et de la paille noble.
Mais voici qu’Austerlitz déboulant éméché,
Se poste auprès d’un tour2 en rompant la cadence
D’un jeune compagnon taillant pour l’Évêché
Des flambeaux en cristal contre la décadence.
Le regard des verriers bruisse d’un clair mépris
Pour celui qui naguère ondoyait d’élégance
Aidant des maladroits dans des travaux repris,
Mais qui sombre ce soir en odieuse arrogance.
1 Marie est la fidèle servante du curé de Bayel.
2 Parmi les outils du verrier, le tour permet de faire tourner une pièce de verre pour en faciliter la gravure afin de donner au cristal sa parure exceptionnelle, intervenant en fin de cycle après la taille.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
L'Aube
Musique du film "Rosemary's Baby"
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Lexique Antonin, Saison 2 , Episode 2, L'Aube
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et la rubrique CHRONOLOGIE
L’Aube
Au sortir du printemps quand le ciel se cabra
Sur ses farouches nuages crachant leur écume,
Et quand la pluie noya l’orage qui sabra
Les andains 1 dévastés tant l’espoir se consume,
Alors, tout le pays, par la fureur des cieux,
Tonna contre le cœur de son âme en souffrance.
Mortifiés, les enfants de Bayel silencieux,
Vinrent prier la Vierge et tous les Saints de France.
En forçant le destin qui souffla le pays,
Une famille en pleurs, tassée dans sa charrette
Bascula sous le vent non loin de l’abbaye,
Glissant transie dans l’Aube en son sort qui s’arrête.
Luttant dans la tempête Antonin se battait,
Se cabrait puis tirait ses bêtes affolées,
Rassurait les brebis que l’écho rebattait,
Et redoublant d’efforts, jurait à la volée.
Le cri le foudroya, cinglant comme un éclair !
Lors, laissant son troupeau, le voici qui déboule
Sur la berge exhumant la charrette qu’éclaire
Le miroir des remous puissants que tout chamboule.
L’onde avait déjà bu la vie des pauvres gens,
Les vieux et les parents et leur mulet peut-être.
Écarquillant les yeux, trébuchant et nageant,
Antonin se démène et fouille chaque mètre.
Il connaît ces enfants, la fillette et le fils
De l’ami rebouteux qu’engloutit la rivière.
Il ne peut tolérer la mort en son office
Qui s’écoule funeste et vous porte en civière.
Les cris se font cruels en aval du courant,
Et l’Antonin bondit, détournant son sillage.
Apercevant blottis les deux mouflets pleurants,
L’Antonin s’en saisit, les tirant du feuillage.
Remontant à l’abri ces piteux orphelins,
Il les veille le soir, les bordant dans la paille,
Évitant d’éveiller Louis 2 en son patelin,
Puis leur donne du lait, du pain, des œufs de caille.
1 Les andains sont de longs sillons d’herbe séchée en vue d’en faire du foin.
2 Louis Weber, dit « Austerlitz », le père d’Antonin.
Pierre Barjonet
Novembre 2020
L'enclume
"Moby Dick" de Led Zeppelin, solo de batterie
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Lexique Antonin, Saison 2 , Episode 1, L'enclume
ainsi que la rubrique SOMMAIRE avec un "résumé"
Sommaire de La passion d'Antonin
et la rubrique CHRONOLOGIE
L’enclume
Dès la fin de l’Office il s’en vient voir Bertrand,
Son ami des chevaux frappant sur son enclume ;
S’inclinant en saluant le maréchal-ferrant
Lui porte pain bénit et grasse poule en plumes.
Il est vrai que Bertrand, suivant la tradition,
Est le seul du village au labeur le dimanche 1 ;
Il est vrai qu’Antonin sensible à l’audition,
Entend bien volontiers se retrousser les manches.
Et tous deux en cadence troussent le métal,
Formant clous et burins, binettes et faucilles,
Faisant pleurer le feu des lingots qui s’étalent
Et suant dans la vapeur de l’acier qui vacille.
Bertrand n’a pas de fils, mais l’Antonin lui plait.
Le gosse a dix-sept ans et son âme est fort claire,
Et son tempérament se moque bien des plaies
Qu’Austerlitz 2 lui inflige à la casse de verres.
Les filles au village espèrent qu’Antonin
Sera pour la Saint-Jean le promis qu’on adore ;
Leur cœur battant d’envie pour l’être léonin
Qui se moque pourtant des yeux qui le dévorent.
Il est le désespoir de Louis, triste grognard,
Qui se terre à Bayel en sa manufacture,
Quand l’enfant de son sang s’en va sous le cagnard
À bride rabattue débourrer sa monture.
Il est ce cavalier qui sait chauffer le fer,
Qui sait souffler le verre et sabrer 3 le champagne,
Qui sait dresser sans fouet l’étalon qui diffère,
Et sait se passionner pour le sort des campagnes.
Il déteste l’Empire et ce Napoléon 4,
N’aime que les romans forgeant la République,
S’éprend de liberté défiant le Panthéon
Des tyrans, du monarque aux prétextes bibliques.
Brandissant son marteau dessus son tablier
Antonin se redresse et vient frapper l’enclume
Faisant jaillir le feu de son cœur replié,
Laissant percer l’espoir d’un pays qui s’allume.
1 La légende voulant qu’aucun forgeron n’ayant accepté de forger les clous de la croix du Christ, l’Église les autorisa à travailler le dimanche.
2 Louis Weber.
3 Ne pas confondre « sabrer » en faisant sauter le goulot d’une bouteille de champagne avec un sabre et « sabler » ou le boire rapidement.
4 Napoléon III.
Pierre Barjonet
Octobre 2020