Vania
" L'apparition "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Octobre 2024 - 40/30 -
Sanguine, crayon, mine de plomb et fusain
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Wind is blowing (Le vent souffle) " Musique folklorique russe (balalaïka et orchestre)
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Vania
Au détour d’un sentier perdu dans le sous-bois,
Livreur montre les dents en vue d’une cabane.
C’est une humble cahute élevée par endroits
De rondins resserrés par de solides lianes.
De la fumée s’échappe du chaume noirci,
Semblant défier la neige en peine de mansarde,
Et des ronces givrées forment un raccourci
Vers la porte tenue par celui qui la garde.
Nicolas tient Livreur qui grogne en s’approchant,
Tandis que le jeune homme a les yeux qui s’amusent
De ce chien, presque loup au regard accrochant,
Et de cette équipée d’enfants et de leur muse.
Mais soudain le gaillard s’exclame : « Natacha ! »
Et la voici, courant au luron qui l’embrasse.
Il s’appelle Vania, son cousin qu’on cacha
Quand son père fut pris, ayant perdu sa grâce.
Sa fugue du servage 1 lui coûta la vie,
Car l’on fouetta son dos au grand knout qui mutile 2
Arrachant en lambeaux la peau de l’asservi,
Et privant son seigneur d’un serf pourtant utile.
Vania bénit ses hôtes en les invitant
À franchir son réduit sans la moindre mesure,
Puis il chauffe le thé tout en félicitant
Liouba qui ne dit mot, debout dans l’embrasure.
En Russe elle reçoit le sel et puis le pain 3,
L’embrasse dignement, lui donnant l’accolade
En tant que noble dame 4 offrant au galopin
Le pardon des périls et vaines rigolades.
Ils avaient oublié la douceur d’un foyer,
La chaleur en veillée que vient rougir un poêle,
Quand Vania se saisit de son violon choyé
S’accordant à bercer leur chemin des étoiles.
Laissant un temps Livreur, Natacha les rejoint,
Puis égrène les pleurs de son luth à trois cordes 5
Entraînant Nicolas qui restait dans son coin,
À chanter en français ce bonheur qui s’accorde.
Pierre Barjonet
Mai 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 4 « Féroce », Poème 6 « Vania » (Mai 2024)
Alors que la Grande-Armée poursuit sa route de retour vers la France et que l’Empereur lui-même l’a quittée pour rejoindre Paris au plus vite, nos amis (dans ma saga) s’enfoncent toujours plus au sud-est vers l’Oural en évitant autant que faire se peut, de croiser des colonnes de prisonniers et leurs gardiens cosaques... Rappelons qu’ils ont eux-mêmes « déserté » ce qu’il restait de la Grande-Armée au passage de la Bérézina ne pouvant la franchir !
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Les paysans russes sous l’ancien régime étaient asservis à différents seigneurs. Le servage des serfs dura plus de 800 ans, apparu à Kiev (ancienne capitale russe) au XIe siècle puis aboli en 1861 par le tsar Alexandre II. Il existait des serfs d’État et des serfs privés. Il ne s’agissait pas d’esclaves, mais presque, surtout avant L’Oukase (proclamation du tsar) de 1797 qui en précise l’ordonnancement. Leur seigneur et maître avait quasiment tous les droits sur leur personne, pouvant les vendre, louer, gager, donner en succession, multiplier les corvées à volonté et bien entendu exploiter le fruit de leur travail. Il gérait leurs conflits et punissait leur défaut de discipline sauf pour les crimes de sang. En contrepartie, il leur devait subsistance, logement et santé à travers la mise à disposition d’une parcelle permettant à la famille du serf d’y vivre.
N.B. Se reporter également à ma note 4 du poème « l’océan » de la saison 1 « Marchons » :
« 4 À l’origine, les moujiks ou paysans russes étaient libres, bien que considérés de fort basse condition. Mais à partir de 1593, leur sort fut comparable à celui des serfs du Moyen-Âge français, donc rattachés exclusivement à une terre dépendant de leur seigneur et maître, pratiquement comme des esclaves. Il faudra attendre le règne du Tsar Alexandre II qui décida d’abolir le servage en 1861. Assassiné en 1881, il fut surnommé « le tsar libérateur ». Il faut bien voir qu’à l’époque, pas si lointaine... il existait, pas moins de 50 millions de serfs servant pour moitié 100.000 familles nobles, et pour l’autre les domaines de l’État, sur une population de... 60 millions d’habitants ! »
2 En Russie, les châtiments corporels étaient monnaie courante, et frappaient aussi bien les moujiks que les nobles, suivis dans bien des cas par la déportation en Sibérie.
Relevons notamment :
- Le supplice des batoguis (battogues ou comme chez les Romains de l’antiquité le supplice des verges) consistant à humilier le condamné en s’asseyant sur sa tête et ses jambes et à lui fouetter le dos avec des bâtons épais pour de simples fautes ou des délits mineurs (comme de ne pas avoir célébré le Nouvel An malgré un oukase du tsar Pierre le Grand, ou de renverser une salière, ce qui portait malheur). Notez bien que la sanction se comptait généralement en centaines, voire en milliers de coups (6.000 prononcés par des tribunaux tsaristes) ...
- En revanche le knout était un châtiment russe particulièrement violent. Il existait le knout ordinaire où le condamnait était dénudé jusqu’à la ceinture, attaché à un chevalet et fouetté du cou à la ceinture par une sorte de long fouet ou de double fouet (manche et lanières comme le « chat à neuf queues anglais ») auquel sont fixées une ou plusieurs lanières de cuir tressé de forme carrée ou triangulaire donc très tranchantes (comme des rasoirs) et terminées par des crochets en fer ou d’un nœud durci dans le cas d’une seule lanière, qui elle, mesurait 3 à 4 mètres. Chaque coup porté par le bourreau qui rivalisait d’adresse pour ne pas frapper deux fois au même endroit, arrachait des lambeaux de chair, découpait littéralement les muscles et même faisait craquer les os, qui ne pourraient cicatriser que très difficilement !
- Quant au grand knout, encore plus effrayant, il voyait le condamné suspendu par les poignets à une potence elle-même reliée à un treuil, et attaché par les pieds à une poutre alourdie de poids afin de lui disloquer les membres. Selon le nombre de coups, le condamné en ressortait estropié à vie, mais le plus souvent, au-delà de cinquante coups, il ne pouvait survivre à ce supplice cruel.
Il reste surprenant de constater que le châtiment du knout était considéré par les Russes comme « honorable » en tant que « punition de faveur » (la reine Élisabeth avait supprimé les autres châtiments encore plus barbares tels le pal et la roue) ... Après tout, un proverbe russe ne clame-t-il pas « qu’un homme battu en vaut deux » ?
3 La tradition russe de l’offrande du sel et du pain est très ancienne et vise à honorer l’invité que l’on reçoit dans sa datcha ou son humble isba. Elle tire son origine du profond respect pour le pain dont on ne saurait se passer et du sel anciennement coûteux et difficile à obtenir.
Je vous invite à voir cette page de Russia Beyond qui traite ce sujet :
https://fr.rbth.com/lifestyle/80949-russie-sel-pain-tradition
4 Souvenons-nous. Liouba, dans ma romance, est une aristocrate de haute lignée dont le mari fut fusillé par les Français à Moscou pour être arrêté, la torche à la main comme incendiaire. (Voir mon poème « Liouba »). C’est une noble russe (Boyard) ayant le titre de comtesse (par sa famille puis celle de son époux ; titre alors, plus prestigieux en Russie qu’en France) dans l’Oblast de Saratov.
5 La balalaïka dont joue Natacha qui l'a trouvée au bord du chemin (voir mon poème précédent "Bûchers").
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La vente d'une serve par Nicolas Nevrev (1866)
La bastonnade avec des batoguis (battogues)
Le knout " ordinaire "
Le grand knout
L'offrande du sel et du pain
(même encore de nos jours à des personnalités)
Des balalaïkas
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