SAISON 1 "Marchons"
Présages 
Illustration originale Pierre Barjonet - mars 2023 - 40/30 - Sanguine, craie conté, crayons couleur
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Beethoven - sonate n°23, opus 57 " Appassionata "
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Présages
Et la foudre s’abat, défrichant les grands pins,
Enflammant les bouleaux et figeant les ténèbres
De milliers de flambeaux débusquant les sapins
Zébrés d’éclairs d’acier d’un augure funèbre.
L’orage en ses tambours déroule la fureur
Des cascades armées de mitraille de grêle
Aux boulets fracassant les chevaux des sabreurs,
Hachant bois et gibiers, soldats ou tourterelles.
Le déluge soudain, ravine les vapeurs
Des plaines surchauffées par les longues colonnes
Des troupes trop pressées de quitter la torpeur
Des marches cadencées vers la Russie félonne.
Ça fait déjà six jours que l’empereur chuta
D’un écart de cheval affolé par un lièvre.
Et tous de se signer quand du ciel l’on scruta
Le présage mauvais d’une campagne en fièvre...
Le tonnerre et le vent s’enchaînent si violents
Que les hommes pourtant, coutumiers des tempêtes,
Grelottent déprimés et fuient en immolant
Leur bivouac ruisselant qui se prend d’escampette1.
Nicolas ne dit mot, prostré contre la peau
Du tambour bombardé par la pluie diluvienne.
Il se force à songer au salut du drapeau,
Puis en fermant les yeux, il s’en retourne à Vienne...
Et quand vient le matin, la douleur dans ses reins
Anesthésie la vue pétrifiée des montures
Embourbées jusqu’aux flancs, gelées par le terrain
Sous la neige grêlée précoce en sa torture.
Protégeant son tambour à la caisse tordue,
L’enfant se croit cerné de monstrueux fantômes,
Car après les chevaux aux cavaliers perdus
Son cauchemar se recharge en spectres monochromes.
Sans le moindre combat, ce temps fit tant de morts
Que les Vieux de la Vieille2 en recrachent leur chique
En maudissant la boue qui sculpte sans remords
La sombre égalité des fosses anarchiques.
Pierre Barjonet
Février 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 1 « Marchons », Poème 2 « Présages » (février 2023)
Après les fortes chaleurs, la poussière et la sécheresse du début de l’été, un terrible orage s’abattit sur les troupes à des lieues à la ronde, dans la nuit du 29 juin 1812, gelant littéralement hommes et montures affamés, éteignant les feux, emportant les bivouacs sous des trombes d’eau, de grêle et même de neige. Cette nuit et les jours qui suivirent firent de nombreuses victimes de la morsure du froid, de chutes d’arbres, de la dysenterie, voire de noyade. 10.000 chevaux périrent devenus fous de panique attachés dans leurs enclos ou morts d’avoir brouté de l’herbe mouillée et du blé vert mêlés à la paille humide arrachée des toits des chaumines, faute d’avoine et de foin sec !
Cet orage parut comme un mauvais présage, d’autant que Napoléon chuta de cheval un peu avant, le 23 juin, murmurant d’après ce qu’en a dit le Maréchal Berthier à Caulaincourt : « C’est un mauvais présage, un Romain reculerait », et que de son côté, le Tzar eut la pénible mésaventure d’un parquet s’effondrant sous son siège lors d’un bal à Vilna dans la nuit du... 23 au 24 juin !
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Des troupes ayant quitté ou perdu leur Corps d’armée fuirent en profitant de la panique, désertèrent et se livrèrent par la suite à des pillages pourtant vivement interdits sous l’Empire. Considérés comme des maraudeurs devenant dès lors des « trainards », ces milliers d’hommes, souvent issus des troupes alliées, furent regroupés, gardés puis réaffectés quand ils ne furent pas tout simplement punis et fusillés pour l’exemple.
2 Les « Vieux de la Vieille » ne sont pas que le titre d’un certain film humoristique... mais bien en l’occurrence, le nom alors donné aux Grognards de la Vieille Garde (de la Garde Impériale).
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Sur la route de Moscou, après le passage du Niémen, avant Vilna puis ensuite Kovno
Sur la route de Moscou, après le passage du Niémen, avant Vilna puis ensuite Kovno
(Rappel) Le passage du Niémen, sur trois ponts jetés par le Génie
Vilna (Vilnius) carte ancienne
Au bivouac...
Nicolas
" Jouets de grenier " Huile sur carton entoilé 10F Pierre Barjonet 1968, 69 ?
" Musique d'ordonnance " (militaire) en usage sous le 1er Empire
Batterie (tambours) : " Le réveil au bivouac "
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Nicolas
Deux heures du matin, mais il fait déjà jour1 !
Il n’a guère dormi, songeant à ses semelles,
Cet enfant musicien, ce trop jeune Tambour,
Serrant son bonnet d’ours2 en mascotte femelle.
Il tremble d’avoir faim, mais aussi par pudeur,
Ne voulant point montrer de quelconque faiblesse
Aux Fusiliers de ligne3 couvrant son bonheur.
Ce jour, il a douze ans4, pointant là, sa noblesse !
Mais déjà tout s’agite en devançant le coq.
Piétinant bas les feux, saisissant leur giberne5
Les fantassins s’empressent de planquer leur troc,
Car voici le Chien vert6 aux bontés qu’il hiberne.
L’Ordonnance apparaît bousculant nos bivouacs,
Pressant au point du jour la soupe d’ordinaire7,
Mais les anciens le moquent en singeant ses couacs
Tant le pauvre « Roquet » n’a rien d’un sanguinaire !
Le Major en appelle aux claires percussions,
Batteries de combat alignant leurs baguettes
Qui frappent à l’envi l’ordre d’exécution
De battre l’assemblée8 sans idée de retraite.
Il est là le Niémen, à portée d’Empereur,
Luisant tel un reptile ondulant sa menace,
Immobile attraction de gloire et de l’honneur,
Semblant dire aux Français : « Je serpente, pugnace ! »
Alors, on s’avança, taisant fifre et tambour9,
Franchissant les trois ponts jetés par le Génie,
Souffrant de la chaleur du drap, des brandebourgs,
Se fondant dans la plaine où la soif s’ingénie...
Nicolas n’en peut plus des moustiques des bois,
Du cuir du havresac10, de son tambour qui glisse,
De la sueur qui se mêle à la plainte aux abois
Des chevaux écumants, haletants au supplice.
« Il paraît que ce soir on aura du bouilli
De Barbus refroidis11 » chantonne sa colonne,
Mais pour l’heure il est temps de guetter les taillis
Si l’on ne veut crever sur ces terres félonnes12.
Pierre Barjonet
Février 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 1 « Marchons », Poème 1 « Nicolas » (février 2023)
Le 24 juin 1812, la Grande-Armée conduite par l’Empereur Napoléon 1er entre en Russie en franchissant le fleuve Niémen (frontière) à la tête d’une armée forte de près de 440.000 hommes (sur les 680.000 communément admis avec les Réserves) dont 170.000 alliés et 984 bouches à feu (canons). C’est le début de « la campagne de Russie » préparée depuis janvier, puis renforcée par le ralliement à Dresde (Saxe) le 16 mai 1812, des alliés de la France : l’Autriche, la Prusse et la Bavière.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Il fait jour très tôt l’été sous ces latitudes et il n’y avait pas d’heure d’été ou d’hiver à l’époque...
2 Les « tambours » faisaient partie de l’unité des « fusiliers », dépendants de la « ligne » (fantassins).
3 Le « bonnet d’ours » était la coiffe du grenadier de la Garde, principalement.
4 Sous l’ancien régime, des enfants suivaient les armées auprès de leur mère occupant des tâches de cantinières, lingères, etc. Et ce, dès l’âge de... 2 ans ! Orphelins de pères tués au combat, ils devenaient des « enfants de troupe ». C’est le 1erconsul Bonaparte qui consacra le premier cette appellation en 1800 en la dotant d’une école aux Invalides. Ces enfants de troupe étaient généralement âgés de 16 à 18 ans, intégrés dans des unités, comme les « jeunes tambours de la chanson », mais on en trouvait souvent de 12 à 14 ans.
5 La giberne était un petit sac de cuir contenant les cartouches et les amorces des soldats.
6 Dans l’argot du Grognard, le « chien vert » était l’officier d’ordonnance (rattaché à un gradé supérieur. Napoléon par exemple, en avait douze).
7 Chez les militaires, « l’ordinaire » concerne tout ce qui relève de l’alimentation.
8 Afin de transmettre rapidement les ordres aux unités, de tout temps, les tambours, puis les fifres, les trompettes (cavalerie) et plus tard les clairons jouaient des airs rythmés et circonstanciés. C’est ce qu’on appelle la « musique d’ordonnance ». Pour les batteries de tambours, relevant du Tambour-major, on parle comme ici de « battre l’assemblée » pour annoncer la réunion des hommes par compagnie.
9 Déplacement en silence, afin de ne pas risquer d’alerter d’éventuels cosaques.
10 Le havresac ou sac à dos sans armature du soldat contenant son équipement.
11 Dans l’argot du Grognard, le « bouilli » était le pot-au-feu, les « barbus », les cosaques et « refroidi » signifiait d’être tué (l’expression tient toujours).
12 Napoléon considérait que le Tzar (titre bien orthographié à l’époque) Alexandre 1er l’avait trahi en levant le blocus continental imposé à toute l’Europe par lui-même contre les Britanniques. De son côté, le Tzar lui en voulait pareillement pour avoir ressuscité la Pologne et par ailleurs, toujours repoussé l’aide de la France pour la guerre contre la Turquie. Tous deux considéraient que les accords obtenus lors de la fameuse rencontre sur un radeau fastueux le 7 juillet 1807 sur le fleuve Niémen (le même !) avaient été bafoués.
QUELQUES ILLUSTRATIONS