Proies
" Les fouets "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Septembre 2024 - 40/30 -
Sanguine, mine de plomb et craie Conté
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Maurice Jarre ; " Docteur Jivago - Yuri s'échappe "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Proies
Quel triste anniversaire que ce jour sans teint,
Ce deux décembre1 en peine des regrets de gloire !
Le soleil d’Austerlitz a des feux si lointains
Que sa pâle copie ne peut s’en prévaloir.
Napoléon songeur, enchaîne son parcours
De combats remportés2, mais son armée décline2,
Se meurt, n’avance plus sans l’ombre d’un recours,
Et s’enfonce en l’hiver dans la neige orpheline.
Il se sait le gibier de la traque du froid,
Perdant son énergie sous la chape de glace,
Alors il incendie ses fourgons et ses croix,
Ses aigles et canons pour préserver sa place3.
Joseph fut déplacé de cachots en caveaux,
Brusqué, dormant au sol, lampant l’infâme soupe
À terre avec les chiens, réduit à des travaux
Sous les huées des moujiks4 et cosaques en groupe.
L’hiver se fit si vif5 qu’il lui fallut porter
Les hardes de vieux serfs, puantes, mais bien chaudes,
En laine d’Orenbourg6 légère à supporter,
Et des chiffons graisseux à la mode esquimaude.
La colonne grandit, conduisant sans retard
Des prisonniers français sauvés grâce à leur mise
De nobles officiers ; non point de « ces bâtards
Républicains honnis dépourvus de chemise »7.
La marche est effroyable, et gare aux coups de fouet
Qui vous cinglent le dos, déchirant le lainage
De la fragile cape, et vrillent comme un jouet
La détresse des corps des malheureux en nage.
Ils se traînent suçant d’obscurs lambeaux de chair8,
Ils ont entortillé leurs pieds d’écorces d’arbres9,
Ils craignent de chuter et de le payer cher
Tant les gardes se targuent d’un mépris de marbre.
Les traînards sont des proies pour les meutes de loups,
Et l’on entend alors leurs cris, leur agonie,
Gravés à tout jamais comme un cauchemar flou
Réveillant en sursaut la pauvre colonie...
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 4 « Féroce », Poème 4 « Proies » (Avril 2024)
Napoléon n’imaginait pas que l’hiver russe puisse ainsi prendre de telles proportions. Et même s’il parvint avec son « Escadron sacré » (voir poème précédent « Trésor ») à suivre la route du retour en bénéficiant d’un minimum de confort impérial, bien chaussé, couvert et nourri, il se rendit compte de l’état de désolation terrible des restes de son armée. Contraint à brûler drapeaux et aigles, au son sinistre des tambours de sa garde, abattu, mais non vaincu, il pleure sa gloire passée, mais n’abandonne pas.
Le sort des prisonniers est épouvantable. Déportés à pied vers la Sibérie, ou mieux, car moins loin et plus vivable vers l’Oural et le Caucase, ils font l’objet de sévices de leurs gardes cosaques, comme le fouet qui découpe des lambeaux de chair, s’ajoutant à leur marche harassante, la faim et la soif, la fatigue et le froid, sans parler de leur humiliation constante...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le 2 décembre 1805 vit alors la fameuse victoire d’Austerlitz, dite de « la bataille des trois empereurs » (France, Autriche/St Empire Romain-Germanique et Russie) gagnée par Napoléon 1er en seulement 9 heures malgré des effectifs inférieurs (68.000 hommes et 139 canons contre 90.000 hommes et 278 canons) grâce au stratagème fait de ruses et d’intelligence du terrain de Napoléon. Comme mentionnée par tous les historiens, politiques et chefs des armées, cette bataille est reconnue comme étant un véritable chef-d'oeuvre tactique de Napoléon 1er.
N.B. Il n'entre pas dans mon propos de décrire ici, la bataille d'Austerlitz si connue et enseignée dans les manuels des écoles militaires du monde entier, mais vous pouvez vous reporter à ce site :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Austerlitz
et à ce résumé illustré sur YouTube :
2 Depuis son entrée en Russie après avoir franchi le Niémen le 24 juin 1812, Napoléon ne cesse de gagner combats et victoires contre les Russes, dont la fameuse bataille de la Moskova/Borodino, mais ces succès ne suffisent pas à le préserver de l’hiver russe, ni de la famine et des maladies, ni des assauts permanents des cosaques et de la population.
3 Mon présent épisode se tient en décembre 1812, mais en fait, c’est le 29 novembre, au soir des combats de la Bérézina, que Napoléon ordonna de brûler drapeaux, étendards et hampes de drapeaux avec leurs aigles afin que ces emblèmes glorieux de la Grande-Armée ne tombassent pas aux mains de l’ennemi.
4 Les moujiks étaient des paysans russes de l’ancienne Russie.
5 La température hivernale chuta encore, à fin novembre pour atteindre -30° le 3 décembre et même -37,5° relevés le 6 décembre alors que l’armée, marchant vers Vilna (Vilnius) se trouvait à Molodeczno au nord-ouest de Minsk en Biélorussie, avant que de « remonter » à 32,5° le 7 ! Dans cette situation inimaginable, comme le rapportèrent plusieurs témoins, les arbres et même les pierres se fendent, les oiseaux tombent foudroyés, la respiration claque, cheveux et moustaches gelées arrachent la peau, les yeux ne ferment plus et les paupières gèlent, de longues stalactites de glace pendent des lèvres et du nez, la gangrène s’installe dans les pieds, les mains, le nez... le sang gèle dans les veines et il devient impossible de bouger, d’avancer ou de tourner la tête si l’on a le malheur de s’arrêter...
6 La laine des chèvres d’Orenbourg est réputée. Ces chèvres qui vivent dans le sud de l’Oural comptent parmi les plus grosses chèvres laineuses au monde. Et leur duvet est incomparable, donnant lieu à des châles recherchés pour leur chaleur et leur légèreté.
Voir ici, cet excellent article publié sur le site de Russia Beyond auquel j’emprunte quelques extraits et photos pour mieux comprendre mes notes :
https://fr.rbth.com/lifestyle/93130-chevres-orenbourg-oural-duvet
7 Aux yeux des aristocrates russes, seuls leurs semblables, donc des officiers français pouvaient avoir grâce ; et encore, pas s’ils étaient issus de la Révolution française. Quant à la troupe républicaine...
8 Morceaux de viande de cheval découpés à même l’animal brisé par le froid, parfois encore en vie...
9 Témoignages authentiques confirmant l’usage de chiffons emplis de paille et d’écorces de bouleaux resserrés aux chevilles remplies de paille ou faute d’en trouver, de chaume... Faute de recouvrir suffisamment ses pieds, car faute de bottes de cuir souple, ils gelaient puis sonnaient sur le sol comme des sabots avant que de pourrir en se réchauffant au bivouac, engendrant la gangrène mortelle.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La bataille d'Austerlitz...
par le peintre Louis-François Lejeune
par le peintre François Gérard
Panorama aujourd'hui, du site de la bataille avec le plateau de Pratzen au fond
Photos récentes de la bataille d'Austerlitz telle que reconstituée par des passionnés du 1er empire organisés en associations
Et l'on brûla les aigles et les drapeaux
afin qu'ils ne tombassent entre les mains de l'ennemi...
Les chèvres d'Orenbourg
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