La palette de Pierre

La palette de Pierre

Lexique Antonin, Saison 2 , Episode 3, Pitié

LEXIQUE LA PASSION D'ANTONIN

SAISON 2 " LUMIÈRE D'ORIENT "

ÉPISODE 3 " PITIÉ " 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lien vers le poème :  Pitié 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE SORT DES ENFANTS ABANDONNÉS (Pitié)...

 

 

...était terrible. À la moitié du XIXe siècle, le sort des petits orphelins, souvent bébés abandonnés sur le parvis d'une église, les "sans famille" comme l'on disait alors, était impitoyable. Et encore, en progrès sur les siècles passés ! On estime leur nombre à trois millions en 1800 sur une population totale en France de vingt sept millions.

 

Les enfants abandonnés étaient issus de familles misérables, pauvres ou modestes, mais pas uniquement, car le rejet des "filles mères" par la société touchait toute conception d'enfant hors mariage ; aussi bien des servantes "engrossées" malgré elles par leur maître, que des domestiques séduites et abusées, que des maîtresses abandonnées ou des épouses infidèles. Les abandons d'enfants illégitimes donc hors mariage se chiffraient à 60% du total.

 

Non seulement ces enfants ne connaîtraient jamais leurs parents ni leurs origines, mais ils feraient l'objet de spéculations sur des gains potentiels obtenus par des nourrices peu scrupuleuses détournant des indemnités versées l'Administration nouvellement créée de l'Assistance publique, par des hospices, des bienfaiteurs ou même les œuvres de charité de l'Église. 

 

En effet, à chaque fois que l'État concevait des solutions pour éviter ou limiter l'abandon d'enfants, des profiteurs de toutes sortes, dont leurs propres parents   imaginaient aussitôt des subterfuges pour les contourner. 

 

Par exemple, lorsque pour réduire les abandons "sauvages" sur le parvis des églises ou devant les mairies, on supprima les fameux "tours" * tout en versant une aide financière aux filles mères, assortie souvent d'une période de placement transitoire de l'enfant pouvant être ensuite repris par sa mère, certaines familles conçurent ce moyen " d'abandon, placement transitoire, reprise " comme étant une façon facilement lucrative d'améliorer leur vie...

 

De même, pour le dédommagement détourné de fait par des familles nourricières qui firent un véritable commerce des sans famille avec dans certains cas, l'idée d'abandonner son enfant pour venir ensuite le recueillir en touchant la prime !

 

* Les "tours" (nom masculin) construits au début du XVIIIe consistaient en une sorte de cylindre pivotant placé dans les murs d'églises, de couvents ou d'hospices facilitant  ainsi le dépôt de nourrissons abandonnés dans l'anonymat absolu en le manœuvrant de l'extérieur avant qu'une Sœur ne le récupère de l'intérieur du bâtiment.

 

Face à ces problèmes de détournement d'aides, l'administration décida en 1860 d'éloigner obligatoirement ces enfants abandonnés d'au moins 150 km de l'endroit où ils furent trouvés. Malheureusement, les transports épouvantables d'enfants et de bébés entassés dans d'horribles chariots à peine bâchés sur les routes qu'on imagine à l'époque se transformèrent en hécatombe aux allures de convois funéraires...

 

Enfin, n'oublions pas qu'en ces temps durs, les enfants travaillaient très tôt ; les familles nourricières ne se gênant pas pour "échanger" un petiot non productif contre un autre auprès de l'administration ! 

 

Les enfants, dès 8 ans, étaient corvéables à merci, travaillant dans des conditions de pénibilité et d'absence totale d'hygiène et de sécurité durant 15 heures par jour au moins, pour une seule maigre soupe et au mieux un salaire de misère. Alors qu'un bon ouvrier pouvait espérer 2 francs par jour en 1850, un enfant gagnait de 45 à 75 centimes.

 

Vers 1840, on ne comptait pas moins de 140.000 enfants utilisés dans la seule industrie, dont les mines (où les wagonnets qu'ils poussaient pouvaient les écraser) et les terribles filatures (où ils se noyaient en récupérant la laine des bassins à moins qu'ils ne soient entraînés par les métiers à tisser sous lesquels ils se glissaient pour renouer des bobines de fil). 

 

Quant aux campagnes, elles multipliaient les situations périlleuses liées à leur petite taille leur permettant de se glisser aussi bien dans  les conduits étroits des mines, dans ceux des cheminées (ramoneurs) que dans la trappe de visite  des foudres de vin pour les curer, les asphyxiant trop souvent...

 

Souvenez-vous mon poème qui évoque avec Laurine, les petits ramoneurs savoyards...

 

Ce n'est pas par hasard que la littérature et les contes abordèrent largement la question des enfants exploités, dévorés, abandonnés, de prostituées ou misérables comme Le petit Poucet, la Complainte de Saint-Nicolas (ci-après), le Petit chose, Poil de carotte ou Gavroche...

 

Mais ce n'est pas tout ! Le sort des enfants fuyant leur exploitation en se sauvant pour se retrouver vagabondant sur les chemins, marodeurs mendiant leur pain dans la rue ou le volant, chapardant des poules ou braconnant, voire s'organisant en bandes écumant villes et chemins, sans parler de la prostitution, était effroyable : signalement puis chasse à l'homme et arrestation, enfermement, détention en "colonies agricoles" (comme celle de Bayel gérée par la prison de Clairvaux) ou bagne (Rochefort, Brest ou Toulon) puis Bataillons disciplinaires. Des institutions religieuses s'occupaient des filles détenues dans des asiles voués au silence.

 

 

 

LA COMPLAINTE DE SAINT-NICOLAS

Chanson recueillie par Gérard de Nerval (1842)

 


Il était trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner aux champs.

S'en vont au soir chez un boucher.
« Boucher, voudrais-tu nous loger ?
Entrez, entrez, petits enfants,
Il y a de la place assurément.»

Ils n'étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués,
Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux.

Saint Nicolas au bout d'sept ans,
Saint Nicolas vint dans ce champ.
Il s'en alla chez le boucher :
« Boucher, voudrais-tu me loger ? »

« Entrez, entrez, saint Nicolas,
Il y a d'la place, il n'en manque pas. »
Il n'était pas sitôt entré,
Qu'il a demandé à souper.

« Voulez-vous un morceau d'jambon ?
Je n'en veux pas, il n'est pas bon.
Voulez vous un morceau de veau ?
Je n'en veux pas, il n'est pas beau !

Du p'tit salé je veux avoir,
Qu'il y a sept ans qu'est dans l'saloir.
Quand le boucher entendit cela,
Hors de sa porte il s'enfuya.

« Boucher, boucher, ne t'enfuis pas,
Repens-toi, Dieu te pardonn'ra. »
Saint Nicolas posa trois doigts.
Dessus le bord de ce saloir :

Le premier dit: « J'ai bien dormi ! »
Le second dit: « Et moi aussi ! »
Et le troisième répondit :
« Je croyais être en paradis ! »

 

 

 

 

 

Les Tours d'abandon ou "Boîtes à bébés"...

 

Rouen_hospice_general_tour

 

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Effectifs d'enfants détenus en "colonie agricole" à la Maison d'arrêt de Clairvaux près Bayel, en 1843/1844

 

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10/12/2020
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