Poème
Printanière
Printanière
Ne pouvant résister à l’éveil du printemps,
Violette dès l’aurore, embrumée de bouclettes,
S’étire en maugréant son lever éreintant,
Puis s’accorde un café dopant sa bicyclette.
Elle sait qu’aujourd’hui le soleil sera vif,
Que le chemin d’hier aux ornières féroces
Se pliera sans la pluie ni scrupule agressif
Et livrera son dos à son humble carrosse.
Elle tousse en songeant aux effrontés pollens
Qui lui raclent la gorge excitant ses papilles,
Mais ignorant l’assaut, elle embrasse la plaine
Et surprend son vélo qu’elle lance en torpille.
Las, un lièvre fripon s’invite en son parcours,
Puis la serrant de près bouscule la distraite
Qui verse échevelée sans le moindre recours
Et plonge estomaquée sans espoir de retraite.
Son bain de pâquerettes au goût de piment
Mouille sa bonne humeur de rosée de jonquilles,
De narcisses vexés par l’odieux châtiment,
Et de myosotis en bleu qui la maquillent.
Couchée, lorgnant la plaie qui pointe son museau
Sur sa cuisse écorchée de roses fanfreluches
Violette se surprend à sourire à l’oiseau
Qui vient de se poser tout près sur une ruche.
Puis ce sont les abeilles cernant ce festin
D’arômes culbutés à l’attirant sillage,
Qui butinent déjà le souffle clandestin
D’étamines ambrées d’un nectar gribouillage.
Un sifflement joyeux s’approche en trottinant
d'un bel inconnu blond taquinant l’étourdie
Qui, sortant son mouchoir se baisse en piétinant
Le parterre fleuri de la belle engourdie.
Ses yeux se font calice à l’iris de ses sens,
Accompagnant ses gestes rinçant ses blessures,
Et l’ayant relevée doucement en décence,
Il s’éloigne en mimant un espoir qui rassure.
Pierre Barjonet
Septembre 2022
Hivernale
Hivernale
Il s’invente en hiver ce repas de douceurs
Laissant percer le froid sous son tricot vétuste,
Et froissant leur papier aux taches de rousseur
Il change ses marrons en un festin de juste.
La bourrasque jaillit faisant trembler ses mains
Qui pourtant se cramponnent au miel des châtaignes
Excitant le fumet d’un ciel sans lendemain
Lui donnant quelque espoir avant qu’il ne s’éteigne.
Les rues se sont vidées en précédant le gel
Et la foule a glissé vers de chaudes demeures
Ignorant l’inconnu blotti sous la margelle
Du puits sans fond qui fuit sa vie de vieux chômeur.
Là-bas il se souvient des Noëls d’autrefois
Des enfants si joyeux, de la tablée parfaite,
Du feu qui ravivait le bonheur d’avoir foi
En l’avenir radieux portant l’habit de fête.
La neige se poudrait, éclaboussant la nuit
D’un tourbillon festif se maquillant de perles
Et d’étoiles nacrées irisées sans ennui
Recouvrant d’allégresse un plaisir qui déferle.
Et le matin suivant luisaient dans la splendeur
Du givre dessinant des anges aux fenêtres,
Des glaçons dégrossis d’innocente candeur
Et des sons cotonneux dans le frais qui pénètre.
Par vagues son chagrin se souvient du brandy
Qui stimulait son cœur avant de le détruire
En congères grisées aux nappes d’organdi
Altérant son propos qu’on ne saurait traduire.
Mais les goûteux marrons qui fondent sous sa peau
Lui rappellent l’ivresse des baisers rebelles
De sa maîtresse auburn adorant les chapeaux
Pour se piquer au jeu des flocons et des belles.
Éventant le fardeau du sans-abri blafard,
La bise a dessiné dans cette nuit sans lune
Un jardin de cristal ultime et sans cafard
Gommant l’ombre gelée de sa triste infortune.
Pierre Barjonet
Septembre 2022
Automnale
Automnale
Tandis que se ressent le déclin de l’été
Dans les nuances poivrées du festin de l’automne,
L’horizon rafraîchit, se figeant d’anxiété,
Et le temps se replie d’un souffle métronome.
L’herbe mord le regain des brumes de chaleur
Songeant à se vêtir à l’ocre des châtaignes
Quand l’ondée transparente aux frissons de pâleur
Semble lui murmurer d’attendre qu’elle saigne.
Le vent chagrin bifurque aux vapeurs des rivières,
Fracasse le repli des insectes graciles,
Éclabousse la mousse à l’orée des gravières
Et vient fouetter le roc d’une empreinte fossile.
Les bois sont recouverts du sillage dément
Des fougères dorées brunissant la palette,
De jaunes orangés, de carmins moins cléments,
Et quand l’ombre survient, de violine en voilette.
Le velours capiteux de l’humus trop sucré
Rassure les mulots qui bruissent de délice
Quand la terre se meuble en des sillons nacrés
S’amendant au labour de généreux complices.
De loin revient l’écho des villages d’antan
Qui puise au souvenir du bois que l’on amasse
Et rappelle aux anciens qu’il devient bien tentant
D’aller aux champignons, aux cèpes qu’on ramasse.
Plus haut quand le regard s’attarde en contrebas
Balayant l’arc-en-ciel de teintes éphémères
Qui cloîtrent la vallée d’écarlates ébats,
On se dit que l’automne a le feu des chimères.
Rompant là l’harmonie du précieux chevalet
Planté dans l’univers de la liesse automnale,
Des corbeaux audacieux provoquent en ballet
Des moutons affolés face à leurs diagonales.
Le séduisant décor du sursaut des couleurs
Avant que ne s’éteignent les ors de l’automne
Laisse à l’hiver le choix de ravir sans douleur
Ces teintes innocentes d’un blanc qui détonne.
Pierre Barjonet
Septembre 2022
Bourdon du Nouvel An
"La liste de Schindler"
En principe le Nouvel An se fête dans la joie, ce que je souhaite de tout mon coeur à chacun d'entre vous.
Mais parfois, ou trop souvent hélas, il arrive que le sort plonge les survivants d'une disparition dans la triste solitude de la mémoire des temps heureux.
C'est en pensant à eux, veuves et veufs, que je dédie ce poème assez sombre comme les saisons qui passent en effeuillant les printemps blanchis par la neige des années qui tournent.
Mais l'An Neuf, en éternel recommencement, est non dénué d'espoir dans la vie qui se renouvelle dans la lumière partagée d'amour, de bonté et de beauté.
Pierre
Bourdon du Nouvel An
La plaine a le bourdon des fleurs de pissenlit
Dont les racines sombrent dans l’ombre éphémère
Des prés juste couverts du givre que relie
L’esprit des vieux amants blottis quand ils s’aimèrent.
Laissant au vent du Nord les bruyères d’hiver
Se moquer des parures froissées des aigrettes,
Les gentianes figées par le froid que rivèrent
Les morsures de glace oublient qu’on les regrette.
Les colchiques violets trompent de leur poison
La ciguë des prairies, le gui, le chèvrefeuille,
Attirant les brebis, tremblant sous leur toison
Quand la fièvre s’en mêle avant la millefeuille.
Les Ferrandaises sonnent depuis le château
Quêtant l’étable chaude en ruminant de cesse
Que de marquer l’empreinte des flancs du plateau,
Dodinant de la robe en écu de princesse.
Perçant de leurs pensées le tourbillon sans fin
Des flocons déchaînés en un curieux manège,
Les lupins stimulés par un plaisir non feint
Foulent les pâquerettes enivrées de neige.
La bourrasque s’acharne sur les toits de lauze
Mugissant de concert à l’enclume des ruines
Et d’un cuir de calèche au loin, qui s’ankylose
Frissonnant à l’aplomb de l’horizon qui bruine.
Plus bas ce sont les pins qui grondent dans le soir
Sculptant la mort qui rode en voile sans atomes
Naufrageant l’imprudent abandonnant Issoire,
Courbé comme un berger repoussant des fantômes.
L’orgue des grands sapins aboie ses cliquetis
Que vient cingler la fin de l’année qui s’incline,
S’éteignant dans la nuit, se faisant tout petit
Laissant place au silence en heures qui déclinent.
Sortant de l’appentis, rechargeant le Cantou,
La veuve qui s’engouffre en poussant la braisière
Regarde sans ciller la comtoise au matou
Qu’égrènent ses châtaignes s’ouvrant en lisière.
Flambe la cheminée quand le tison s’étend,
Surprenant à minuit cet an neuf qui se lève,
Bordant sa crémaillère des marques du temps,
Revigorant l’espoir en un vœu qui s’élève ?
Pierre Barjonet
Décembre 2019
Gammes de songes
Souvenirs de petits concours d'enfance, au piano...
J.S. Bach " Concerto en ré mineur - Adagio converti piano BWV 974 "
Gammes de songes
Mes notes se mêlent complices,
Aux gammes d’automne en supplice,
Bercées d’éphémère titraille,
Châtaignes bordées de mitraille,
Effluves trempés du grimoire
Enfoui dans ma tendre mémoire.
Mes gammes s’accordaient dociles
Lissant dans un tempo fossile
La portée du jeu qui s’accroche
Aux accords des horribles croches
Avant que de goûter l’épreuve
D’un clavier fuyant comme un fleuve.
Remords d’une enfance un peu sage
Honteuse de jouer sans message
Fiévreuse de ne chercher noise
Aux maîtres notant mon ardoise,
Relevant le trouble des notes
Pressant ma force de menottes.
Songeant à mon piano d’enfance,
Écho des années que n’offensent
Les nuances des tierces farouches,
Jalouses des quintes qui louchent,
S’éveille ma fibre d’automne
Livrant ce refrain que j’entonne.
Pierre Barjonet
Novembre 2019
Marché
Marché
Je me pressais contre les étals,
Guidé par le parfum des olives,
Heurtant parfois de frêles solives
Arrimées à des poids de métal.
Je chapardais une jeune fraise
Orpheline entre deux gros melons,
Évitant de justesse un frelon,
Et succombant à son cœur de braise.
Je m’inquiétais des festins d’hiver,
De la table enrubannée de fêtes,
De l’andouille ou du pâté de tête,
Pour rassasier le fier Gulliver.
Je retroussais les cloisons de toile
Emprisonnant de folles senteurs
Cueillies sur les terres de planteurs,
Piégées au sein de l’ombre des voiles.
Je m’inondais des reflets d’argent
De l’épée d’espadons exotiques
Perdus dans la glace chaotique
D’un vieux poissonnier les déchargeant.
Je m’envolais au-delà des rives
Des citrons et juteux ananas,
Des cannes à sucre que l’on fana,
Sans les pamplemousses à la dérive.
Je m’imprégnais d’effluves du ciel
De ces gâteaux parsemés d’épices.
D’amandes et pignons si propices
Aux saveurs sublimées par le miel.
Je salivais devant les terrines,
Médaillons de chevreuils mordorés,
De cailles et de faisans dorés,
Par les couleurs ambrées des verrines.
Je vacillais devant le Beaufort,
Ou la Belle des champs loin des moines
Priant au temple du patrimoine,
En me damnant dans ce château fort.
Je m’écartais de la citronnelle,
Recherchant les sucs d’un petit vin,
D’un cépage oublié, mais divin,
D’un breuvage enfoui sous la tonnelle.
Je m’enfonçais, porté par le vent
Ondulant aux clameurs de la foule
Et des bonimenteurs sous la houle,
Puis, me hâtai sous les paravents…
Pierre Barjonet
Janvier 2019
Talents
Talents
Je suis fervent de ces talents
Qui n’ont aucun équivalent,
Tels, Léonard sculptant l’hélice
Depuis son jardin des délices,
Canaletto sans farandole
Teintant le masque des gondoles,
Les opéras de Rossini
Représentés en Virginie,
Le clair-obscur non sans ravage
Plombant l’exil du Caravage,
L’acteur de la Sérénissime
Masquant sa vertu rarissime,
De Dante l’Antepurgatoire,
Sellette en interrogatoire,
Murs en trompe-l’œil sur la genèse
Pigmentés de vert Véronèse,
Les crescendo de Vivaldi
Aux crins d’archet qui rebondit,
Sainte Pietà de Michel-Ange
Artisan du marbre d’archanges,
Rome en sa Villa Médicis
D’albâtre que les temps noircissent,
Je suis épris de l’Italie
Portée par la Muse Thalie.
Pierre Barjonet
Janvier 2019
Brisures
Brisures
J’avais rêvé de Perceval,
De la forêt de Brocéliande,
Et de la quête du Saint Graal,
En m’enfouissant dessous la Lande.
Mais ce n’était que noble songe,
Noyé dans l’onde des brisures
J’avais emprunté le décor
De Roncevaux brisant la foudre,
Soufflant avec Roland du cor,
Par son destin couvert de poudre.
Mais ce n’était que preux qui songe,
Perdu dans l’écho des brisures.
J’étais tombé sous l’acacia
Perlant de sang l’or de ses gemmes,
En condamné que l’on gracia
Devant la Vierge que l’on aime.
Mais ce n’était que trop pieux songe,
Priant dans l’ombre des brisures.
J’étais allé sur le Delta
Rechercher la double couronne
Que Cléopâtre récolta
Avant que la mort ne résonne.
Mais ce n’était que trop vil songe
Enseveli sous les brisures.
J’avais gravi l’Himalaya
Grâce à ma canne en sycomore,
Sacrifiant comme les Mayas
Le cœur d’amour qui n’est pas mort.
Mais ce n’était qu’un triste songe
Désespéré par les brisures.
J’avais recouvert mon chemin
D’un mandala fleuri de poudres,
Cueillant l’encre des parchemins
Que la pluie ne puisse dissoudre.
Mais ce n’était qu’un de mes songes
Non de sommeil, que de brisures.
Pierre Barjonet
Janvier 2019
Tendresse bleutée
Mon amie Laurence "Ofildelo" ( https://ofildelo.blog4ever.com )
m'ayant suggéré d'écrire un poème s'inspirant de cette toile réalisée tout récemment
" Fleurs au vase bleu "
je me suis donc mis à l'ouvrage en le lui dédiant
avec ses mots fort justes que je reprends dans la 7ème strophe.
À Laurence, avec ma reconnaissance,
Pierre
Tendresse bleutée
Suffoquant sous le plomb d’un ciel pavé de nuages,
Nageant sous les soieries d’un ouvrage crissant
A chaque mouvement d’un buste attendrissant,
Dodelinant du chef, s’éventant sous l’orage,
Jade n’en pouvait mais, sans air étoufferait.
Par les rideaux tirés laissant perler la brise,
Retroussant la tiédeur assombrie du couloir,
Forçant l’écume morne des parfums d’un soir,
Découvrant la moiteur d’une coupe à cerises,
L’air enfin délivré sans un bruit s’engouffrait.
Le jardin s’était pris au jeu du crépuscule,
Le parterre enfilait ses atours de valeur,
Escaladant la vigne en quête de fraîcheur,
Contournant le bosquet cloîtré de canicule,
Jade encore étourdie, près des fleurs, se rongeait.
Lors, la lune engageait son onde de lumière
Coulant sur la façade en un reflet d’ivoire,
Chevauchant l’ombre fine sans tain d’un miroir,
Bleuissant les volets, brusquant rose trémière,
Puis aux lèvres de Jade en douceur s’y plongeait.
Son kimono bleu nuit glissait par l’harmonie
Des perles de flagrance embaumant le satin,
D’un tabouret précieux d’illustre palatin,
D’un paravent chinois mû sans cérémonie,
Porcelaine en bougeoir, Jade s’en saisissait.
Levant sa flamme d’huile entamant le silence,
Des yeux accompagnant l’intime vase bleu,
De ses joues trop poudrées d’un rose fabuleux,
Des ongles au vert brillant en signe d’insolence,
Jade s’abandonnait aux fleurs qu’elle chérissait.
Et la nuit contemplant l’errance de son encre,
Rosace sans soleil, se figea dans l’instant,
Donnant à son bouquet, le souvenir distant
De l’aurore troublante immobile sous l’ancre,
Déclinant l’ornement des teintes de douleur,
Révélant à la belle, sa passion des couleurs.
Pierre Barjonet
Juillet 2018