SAISON 3 " Glacial "
Bérézina
" L'adieu "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Juillet 2024 - 40/30 - Crayon noir et couleurs, pastel gras.
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Samuel BARBER " Agnus Dei " (choeurs)
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Bérézina
Couchée sur un traîneau, Rose gémit toujours,
Mais affronte son sort avec un cœur farouche,
Et les hommes inquiets qu’elle ne passe trois jours
La veillent d’heure en heure en protégeant sa couche.
Le repos à Smolensk1 n’est plus qu’un souvenir
Sans l’aide d’hôpital ni celui d’ambulance2,
Ni vivres, mais voilà qu’on lui fit parvenir
De la soupe au gruau3 malgré ces turbulences.
Des grognards bienheureux des bienfaits de leur chef,
Criant : « Vive l’Empereur »4 ont partagé farine,
Du riz, de l’eau-de-vie, les restes de reliefs,
Puis en réchauffant Rose, ont vanté « leur tsarine ».
Mais aujourd’hui sa voix prend le teint des frimas.
Son entrain s’est brisé, dévoré de blessures,
Et quand on la posa sachant qu’elle exprima
La douleur des cahots, ce fut une fissure.
La lune s’est levée dégoulinante en maux,
En ces plaies de misère et plaintes importunes,
En la mort pétrifiant hommes et animaux,
Par la gloire et l’honneur tombés en infortune.
Au matin, le brancard de Rose s’est éteint,
Faisant corps au sourire arqué sous la grisaille
D’une aube de combats sous des nuages d’étain
Couvrant sa sépulture en guise d’épousailles.
Puis le vent s’est levé, balayant les regrets,
Fracassant l’horizon, refermant le passage
De la large rivière5 où l’on reléguerait
Les traînards et blessés dans un affreux brassage.
Le canon donne et tonne en lisière des bois,
La tourmente à son comble entraîne la furie
Des armes surchauffées par des corps aux abois,
Cherchant des yeux le gué6 sauvant de la tuerie.
Et soudain l’Empereur, son grand état-major
Débouchent recouverts de manteaux et pelisses7
Suivis de généraux, colonels en rapport,
D’officiers sans chevaux8 marchant vers leur supplice...
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 10 « Bérézina » (Avril 2024)
Napoléon qui s’imaginait trouver à Smolensk à défaut d’un havre de paix, un minimum de réconfort pour ses troupes exténuées fut bien obligé de constater l’état critique de la ville exsangue aux maisons dévastées ouvertes à tout vent, aux réserves épuisées depuis longtemps, aux morts et blessés abandonnés à même les rues, aux chevaux dévorés, et le tout sous un froid polaire ! Il n’y resta que cinq jours à peine pour reprendre la route de l’ouest. Parvenu au terme d’une nouvelle marche épuisante en vue de Borissov (ou Baryssaw) que traverse la Bérézina, affluent du Dniepr, il envisage de la traverser grâce au pont et passages gardés par l’une de ses troupes polonaises. Malheureusement il apprend que cette troupe a été défaite et que le pont incendié partiellement par les Russes reste sous le feu des batteries de l’amiral Tchitchagov rendant impossible sa reconstruction. L’urgence de trouver un gué à proximité pour reconstruire des ponts s’impose alors...
Chacun connaît ce nom synonyme d’échec et de défaite, mais peu de gens savent que cette rivière bloquant le passage des troupes de Napoléon à son retour vers la France, fut en fait un succès militaire de l’Empereur, (à défaut d’une victoire) sur l’armée de Koutousov. En effet, grâce au général Juvénal Corbineau, il fut informé d’un gué à 15 km au nord de Borrisov devant le village de Studianka. Avec ses maréchaux, dont Nicolas Charles Oudinot et Michel Ney, il berna et repoussa l’ennemi. Il put enfin, grâce aux pontonniers du général Jean-Baptiste Éblé, qui établirent dans l’eau glacée deux ponts, franchir la Bérézina et s’échapper avec une grande partie de l’armée (voir mon prochain poème « Pontonniers »).
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Smolensk, la même ville qu’à l’aller qui n’a pas oublié sa bataille du 16 au 17 août ni l’incendie d’une partie de ses édifices, maisons et remparts en proie à des combats sanglants ; Smolensk donc, que l’Empereur rejoint le 9 novembre (il en repartira le 14). De fait, l’on ne peut vraiment pas parler du « repos » auquel songeait Napoléon pour ses troupes épuisées.
2 La situation à Smolensk était terrible, faute de vivres, de fourrages, et même d’abris ; la troupe ayant brisé tout ce qui était en bois et pouvait servir les feux de bivouac : portes, fenêtres, planchers, toits, murs... Le peu d’hôpitaux et « d’ambulances » (services aux blessés équipés d’un minimum d’infrastructures avec tentes, fourgons et équipements chirurgicaux de campagne) ne pouvait plus accueillir de nouveaux blessés qui du coup, restent empilés sur des charrettes et des brancards d’infortune par une température de -16° !
3 Il s’agit là, d’une sorte de bouillie faite à partir de grains grossiers d’avoine et non de blé, mais qui ici, valait tous les potages du monde !
4 Lorsque Napoléon fit son entrée à Smolensk, par « la porte de Moscou », marchant à pied au milieu de sa garde rapprochée et de ses maréchaux et généraux, ceux qui l’avaient devancé le saluèrent avec entrain mêlé d’espérance.
5 Il s’agit de la fameuse rivière Bérézina, affluent du Dniepr (lequel passe à Kiev et traverse également Smolensk), barrant la route du retour, mais que l’Empereur envisage de traverser à Borissov (Baryssaw) dont le pont est gardé par 1.200 polonais sous ses ordres... C’est une rivière peu profonde, mais très large, faite de vastes étendues de marécages.
6 L’Empereur apprend non seulement que le 24 novembre les Russes ont vaincu les Polonais et se sont emparés du pont et des autres passages, mais qui plus est que la Bérézina n’est pas encore gelée, donc quasiment infranchissable, ce qui le met dans une fureur extrême. La quête d’un gué difficile à trouver entre les larges bras marécageux de la rivière devient la priorité.
7 Les « Grands chapeaux », ou les « huiles » de l’État-major ressemblent tout comme leurs troupes à des spectres et sont emmitouflés comme leurs malheureux soldats dans des pelisses et des fourrures parfois en lambeaux, voire avec des guenilles durcies par un froid épouvantable.
8 L’ordre avait été donné par Napoléon, bien avant Smolensk, d’abandonner tous les chariots de butin inutile au combat ou au transport des blessés, et de récupérer les chevaux, y compris ceux des officiers généraux, pour le transport des canons. Néanmoins, à Smolensk devant la famine ayant engendré l’abattage des maigres chevaux, force fut d’obéir à la destruction des grosses pièces d’artillerie « enclouées » (gros clou d’acier enfoncé dans la « lumière » de mise à feu d’un canon pour le mettre hors d’usage) et de ne garder que les petites pièces de mitraille.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La Bérézina aujourd'hui
(images de l'époque à voir dans mon prochain poème : " Pontonniers ")
Elle prend sa source à 80 km au nord de Minsk, puis après une boucle au nord, s'enfonce vers le Sud-est vers la fin de son parcours.
Cette carte situe l'écart entre Smolensk (au tiers supérieur droite) et Minsk (au milieu à gauche) avec donc la Bérézina au sud, sud-est de Misnk.
Napoléon et son état-major au milieu des spectres de la Grande-Armée...
La cathédrale de la résurrection à Borissov
Enclouer un canon
L'ours
" Le fauve"
Illustration originale de Pierre Barjonet - Juin 2024 - 40/30 - Sanguines.
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Musique du film " Gladiator " : " Force et honneur "
à écouter en lisant le poème
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L'ours
Il a flairé la sueur, l’huileux goût des chiffons,
Cette espèce de gangue tenant lieu de châle
Emmitouflant la tête à l’abri des griffons
Des malheureux transis loin de leur maréchal1.
Il contourne un bouleau, salivant du museau,
Saute un sapin couché, surgit face à la troupe
Et glisse sur le dos en soufflant des nasaux,
Puis égorge, cruel, trois hommes de ce groupe.
La surprise est totale et les gestes sont lourds,
Engourdis, maladroits, perclus devant l’épreuve.
Mais l’ours2 est à la noce en chargeant ces balourds,
Et gronde de plaisir par la peur qui l’abreuve.
Il arrache une épaule et piétine un sergent,
Lors, s’en prend au cheval d’un chasseur de la Garde,
Se tourne en balançant vers ceux qui, convergeant,
Voulaient le contourner dans la brume blafarde.
Des coups de feu confus décuplent sa fureur,
Et l’animal teigneux s’en prend alors aux femmes,
Griffe leurs hurlements réveillant la terreur
De la bête maudite au Gévaudan3, l’infâme !
Livreur l’attaque au ventre en lacérant d’instinct
Ses viscères fumants luisants sous la fourrure.
L’ours cherche à le cingler, mais c’est lui, le festin
Du chien-loup si vaillant malgré ses déchirures.
Alors vient la curée des haches et couteaux
Tranchant le plantigrade à même son pelage,
Tandis que Nicolas tresse des végétaux
Pour emballer sa viande en un ferme attelage.
Liouba panse Livreur, le massant d’un onguent,
L’épongeant de charpie, le choyant de tendresse,
Tant il a combattu l’affreux fauve arrogant
En défendant les siens, non sans fougue et adresse.
Le silence succède au fracas d’ouragan,
Mais soudain Natacha pousse un juron de crainte
En voyant Rose au sol, livide et divaguant,
La poitrine zébrée de sanglantes empreintes...
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 9 « L'ours » (Avril 2024)
Alors que nombre d’officiers généraux quittent les rangs pour tenter de se protéger du froid polaire qui s’abat, ce que déplore un Napoléon excédé, d’autres tiennent encore le coup. Le Maréchal Ney qui ferme la marche pour commander l’arrière-garde est de ceux-là. Mais face aux circonstances terribles de l’hiver russe qui débute, des maladies et de la famine qui ravagent les troupes, dont tout particulièrement l’arrière-garde qui n’a plus rien à se mettre sous la dent (passant après les autres sur une route déjà dévastée à l’aller), Ney doit se résoudre à abandonner une grande partie de ses attelages, dont certains chargés de prisonniers russes, comme autant de bouches à ne plus nourrir...
Notons que le 3 novembre 1812, le Maréchal Davout fut attaqué puis encerclé par les Russes du général Miloradovith ainsi que par les cosaques du fameux général Platov, interrompant ainsi sa retraite alors même qu’il rejoignait la ville de Viazma aux mains des Français du Maréchal Ney. Les combats dans la ville et sur le pont furent dévastateurs de part et d’autre et obligèrent le 1er Corps réputé de Davout à rompre ses rangs malgré la ténacité de son chef. Même s’il remporta une piètre victoire, il regretta de très lourdes pertes et finit par atteindre Smolensk le 11 novembre avec seulement 12.000 hommes et 24 canons.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Il s’agit du Maréchal d’Empire Michel NEY (1769/1815), duc d'Elchingen et prince de la Moskowa, aidé du Maréchal d’Empire Louis Nicolas DAVOUT (1770/1823), duc d’Auerstaedt et prince d’Eckmühl.
2 L’ours est une part importante de la tradition et de l’imagerie populaire russe. Il servait à bien des occasions, y compris pour alimenter des combats à mort donnés par les tsars entre des ours sauvages, donc non dressés, et des chasseurs d’ours volontaires espérant gagner suffisamment d’or en récompense de ce divertissement donné jusqu’au XVIIIe siècle. Mais l’ours dressé avait les faveurs du public en maintes occasions. Utilisé lors des foires, des marchés et des fêtes populaires, il savait danser, faire des tours, simuler des attaques et même jouer la comédie. L’excellent site évoqué dans ma saga (et ci-après) « Russia Beyond » témoigne de leur dressage cruel opéré sur de jeunes oursons capturés par des chasseurs dans les forêts denses de Russie. On les enfermait dans des cages en cuivre dont on chauffait le fond, après leur avoir chaussé les pattes arrière, les obligeant à lever leurs antérieurs et à « danser » d’une patte sur l’autre tandis que leur dresseur jouait du tambourin. Par la suite dans les foires, dès qu’on frappait un tambourin, l’ours se mettait à danser par réflexe... Puis, après leur avoir limé les dents et les griffes, on leur passait un anneau très douloureux entre le nez et les lèvres les forçant à obéir à la moindre sollicitation.
Quant à l’origine de l’assimilation du Russe à l’ours, elle vient de l’épopée napoléonienne. Russia Beyond explique que « des ours prodiges (dressés) de Sergatch, dans la province de Nijni Novgorod ont paradé avec des fusils devant des soldats français médusés ». Lesquels par la suite ont rapporté leur témoignage complété par la promesse du « capitaine-chef de la police locale d’envoyer s’il le fallait contre les troupes françaises des régiments d’ours ». C’est donc « depuis ce moment que les Français ont commencé à qualifier les Russes d’ours ».
3 La fameuse, mais également légendaire « bête du Gévaudan » fit des ravages dans l’ancien pays du Gévaudan (l’actuelle Lozère) durant trois ans, de juin 1764 à juin 1767. On estime à 124 la totalité des victimes recensées dans cette région de la Lozère, mais aussi en Auvergne, dans le Vivarais, le Rouergue et le Velay. La France d’alors comptait environ 20.000 loups et il semble acté qu’on attribua à « la bête » bien des attaques commises par d’autres loups. Elle était agressive, intelligente, agile, se glissant jusque dans les villages, et quasiment invulnérable, d’où la naissance de mythes, superstitions, croyances (punition divine) et suppositions souvent rocambolesques (humain déguisé en loup protégé par un masque en fer, etc.). Mais comme ce furent surtout des enfants, des jeunes filles et des femmes qui en furent les victimes, l’hypothèse qu’il s’agissait d’un pervers ayant pris les traits d’un loup continue d’être évoquée.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Le Maréchal d'Empire Michel NEY
NEY pendant la retraite de Russie
Le Maréchal d'Empire Louis Nicolas DAVOUT
La bataille de Viazma (3 novembre 1812)
Viazma aujourd'hui
Ours en Russie
Griffes !
Ours dressé
Ours dans la tradition populaire russe
" Le combat de l'ours "
Ours embrigadés moqués par les français.
Et pourtant...
La bête du Gévaudan
La curée
La bête empaillée présentée au roi Louis XV
L'estafette
" Halte ! "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Juin 2024 - 40/30 -
Deux Sanguines.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Yvan Rebroff chante le folklore russe " Filait la troïka rapide "
N.B. vidéo fixe, valable seulement pour le son de basse légendaire...
Voir ci-après la traduction des paroles de cette très ancienne chanson qui évoque le Staroste.
à écouter en lisant le poème
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L'estafette
L’Empereur a choisi d’accélérer son pas,
De berner Koutousov en rompant son étreinte1,
De caler ses grognards à l’abri du trépas,
De rejoindre Smolensk en sa troupe restreinte2.
En bon observateur pressentant le dépit
D’une ville fermée jalouse de ses vivres,
Il lui faut s’assurer qu’il n’y aura de répit
Qu’au chaud dans la cité bien à l’abri du givre.
De son État-major partent des éclaireurs,
Des hussards et chasseurs anticipant la marche3,
Du courrier impérial4 remis à des sabreurs
Accompagnant Joseph dans sa digne démarche.
Dessinateur il fut, estafette4 il devient,
Porteur d’ordres secrets, de plans doublés de cartes.
Le voilà galopant quand l’attaque survient,
Le jetant au fossé comme un ours qu’on écarte.
Ses trois chevaux saisis5, Joseph est entraîné.
Le cosaque a frappé sa jambe de sa lance,
Le Tartare a ravi ses billets enchaînés6,
Mais il fait front, furieux, les cinglant d’insolence.
Dès lors il est conduit chez le staroste7 au mir7
Flanqué dans un caveau gardé par des cosaques.
Joseph sait que son sort ne peut que l’affermir,
Mais le chemin sans doute à des airs démoniaques...
Quand l’Empereur l’apprit, il confia ses remords,
Du coup changea son plan en arpentant la ville,
Sinistre citadelle exsangue sous les morts,
Et les blessés dehors privés du moindre asile8.
Les vivres sont manquants et commandent des choix9.
La fureur le reprend, la faim court comme un lièvre.
Mais son aigle s’accroche au génie qui déchoit
Et l’amour de la France fait monter la fièvre.
La nuit dans son cachot Joseph songe à Liouba,
Démêle ses cheveux, dessine son visage,
Esquisse sa beauté, retrace son combat,
Murmure son sourire en guise de présage.
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 8 « L'estafette » (Avril 2024)
À l’approche de Smolensk qu’il rejoindra le 9 novembre, Napoléon subit de plein fouet la chute des températures (jusqu’à - 26°) et troque son chapeau légendaire contre une toque et un manteau de fourrure. Il se désole de l’état de décomposition de son armée. Il observe à la lunette comment les cosaques s’en prennent aux unités de traînards en déshabillant ses grenadiers... Il constate les ravages de la famine et du froid sur le moral des soldats, la désorganisation des bataillons, les conflits fratricides, la perte des chevaux aussitôt dévorés, l’abandon des canons et des fourgons d’intendance. Puis il apprend les échecs militaires comme l’attaque russe du général Miloradovitch coupant l’arrière-garde française le 3 novembre ou la défaite du Prince Eugène sur la rivière Vob (affluent du Dniepr- le 9 novembre. Et pourtant, il est pressé de rentrer, venant d’apprendre la trahison du général Malet à Paris...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le maréchal russe Koutousov poursuivait la Grande-Armée sans relâche en alternant la pression de ses troupes fraîches (pour n’avoir pour ainsi dire pas combattu) avec celle des assauts incessants des 20 régiments cosaques de Platov et l’hostilité belliqueuse des paysans. Cela dit, Koutousov préférait laisser l’hiver russe comme la politique de la terre brûlée déjà mise en place à l’aller, faire leur œuvre plutôt que se risquer à affronter l’Empereur de front, se rappelant ses échecs passés, dont Austerlitz...
2 Napoléon a compris l’urgence de la situation sitôt que le thermomètre chuta à l’approche de Smolensk de façon vertigineuse. Par ailleurs, l’affaire du coup d’État manqué du général Malet le força à réduire son escorte pour rejoindre Smolensk puis Paris, le plus vite possible.
3 C’est le rôle de ces unités de « cavalerie légère » donc rapides, mais aussi de « reconnaissance » que de précéder les régiments afin de se porter en « éclaireur » de la situation et de la position des troupes adverses.
4 Le courrier impérial ne souffrait aucun retard. Il était prioritaire en toutes circonstances et confié à des estafettes recrutées par Antoine Marie Chamant de Lavalette, Directeur général des postes nommé en 1804 par Napoléon 1er qui en réorganisa l’infrastructure. Le bon fonctionnement des postes compte tenu de l’étendue de l’Empire, tant en temps de paix qu’en campagnes militaires, était essentiel à la politique et au gouvernement de l’Empereur. Le service des estafettes se voyait confié des dépêches confidentielles enveloppées dans des portefeuilles du courrier impérial fermant à clef. Il s’appuyait sur les relais de poste disposant de portillons toujours prêts à enfourcher des montures prêtes. Les maîtres de postes contrôlaient et visaient le livret que chaque postillon (ou estafette) transmettait au suivant.
5 Estafette spéciale de l’État-major impérial, Joseph (dans ma saga) dispose de trois chevaux (ce qui était souvent le cas) afin de se garantir une chance d’échapper aux cosaques et de prolonger ses déplacements.
6 Le tartare a donc récupéré le portefeuille impérial contenant les billets d’instructions que Napoléon entendait remettre à ses généraux des corps éloignés.
7 Le Staroste de l'ancienne Pologne était un noble, haut-fonctionnaire de la Couronne, qui possédait un fief appelé la Starostie qu'il gérait comme l'un de ses domaines. En revanche, dans la Russie impériale, le nom de Staroste désignait le chef d’une communauté de paysans regroupés de façon plus ou moins autonome dans une unité de fonctionnement local appelée Mir.
Voir ci-après la traduction des paroles de cette très ancienne chanson qui évoque le Staroste.
8 Contrairement à ce qu’imaginait Napoléon, ayant conservé le bon souvenir de son passage en court séjour à Smolensk à l’aller, cette fois la ville ne lui fit pas bon accueil. Surtout, elle était exsangue de vivres, fourrage et montures, avec un froid mordant de ses -16°. Il n’y trouva aucune troupe fraîche, seulement des unités disparates et désorganisées ainsi que des blessés râlants et succombant à même les rues, faute de place aux ambulances et à l’hôpital... Il y séjournera du 9 au 14 novembre 1812.
9 Face à cette situation catastrophique, Napoléon doit faire des choix. Il exige que l’on dresse la liste des blessés par ordre de priorité (5 niveaux), susceptibles de se rétablir de 8 à 30 jours ou de mourir sous une à deux semaines, et ordonne de ne conserver que ceux de la 1re catégorie, abandonnant à leur sort environ 5.000 blessés et malades. Il ordonne qu’on abandonne les voitures chargées de butin pour affecter leurs chevaux à l’artillerie prioritaire. De même en ce qui concerne les officiers possédant plusieurs chevaux. Etc.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La retraite
Napoléon emmitouflé...
Musique traditionnelle russe avec balalaïka " La troïka rapide "
voir la vidéo ici (en pensant à couper la précédente de début d'article) :
Filait la troïka rapide,
Un soir d’hiver sur la Volga
Tout en chantant d’une voix triste
Le cocher penchait son front las.
« Quels noirs soucis as-tu mon brave ? »
Dit un aimable voyageur.
« Dis-moi ce qui te rend si grave ;
Qui te cause, enfin, du malheur ? »
« Un homme, un païen, un barbare
Est la cause de mon chagrin
C’est le staroste, ce tartare ;
Il me prend mon unique bien.
Depuis un an j’aime une fille
Et voici le temps de l’avent
C’est lui qui l’épouse : il est riche,
Sans attendre son agrément.
Et triste, le cocher soupire.
« Allons ! dit-il, son fouet en main;
Il est tard, il faut qu’on arrive ! »
Accablé, poursuit son chemin. bis
Unités de cavalerie légère (hussards et chasseurs)
Uniforme de postillon du 1er empire
Portefeuille d'estafette du courrier impérial de l'Empereur
Portefeuille à soufflet
Smolensk aujourd'hui
Blason de Smolensk
Naufrage
" Non ! "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Mai 2024 - 40/30 -
Sanguine et pastels gras.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Joan Baez " The water is wide " (l'eau est profonde)
Ballade traditionnelle irlandaise d'origine écossaise, de marins
à écouter en lisant le poème ou séparément (paroles en anglais)
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
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avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Naufrage
Les bourrasques de neige ensevelissent tout :
Les chevaux pris d’écume et les soldats par vagues,
L’horizon qui piétine en recrachant sa toux,
L'armée qui fait naufrage et son chef qui divague.
Au cœur du tourbillon déferlant de douleurs
Manon la blanchisseuse accouche en ses souffrances1,
Et son petiot flétri sous des cieux sans couleurs
Fige son premier cri, gelant son apparence.
Rose s’est démenée pour frictionner l’enfant,
Calmer sa faible mère ancrée dans son étreinte,
Tandis que Nicolas au profil triomphant
L’emmitoufle sitôt sans aucune contrainte.
Lors, Natacha revient de sa quête au hameau2
Brandissant une jatte au lait tiré de chèvres.
Et le mari flatté rassemble des rameaux
Qu’il flambe en maudissant l’absence de genièvre3.
La colonne appareille écourtant son séjour,
En naviguant à vue des pirates et spectres,
En piètres galériens qui souquent chaque jour,
Délaissant leurs butins et le masque d’Électre4...
Soudain près d'un étang, deux démons des enfers
S’écartent du cheval qui leur servait de gîte.
Barbouillés de son sang détrempant l’atmosphère,
Ils lèchent les lambeaux du foie qu’ils régurgitent5.
Discrète, Natacha fait passer à Manon
Quatre pommes de terre6 enveloppées de brume,
Qui les plonge aussitôt dans le fût d’un canon
Près du berceau fixé sur son affût7 de grume8.
Mais la voici qui hurle en secouant son petit,
Plus dur qu’un pieu de bois, tout sec et bleu de neige9.
Son père s’en saisit, bruissant du cliquetis
Des chaînes du canon vrillant comme un manège.
Pleurant devant l'abîme de leur coeur en croix,
Il songe que la mort sera leur délivrance.
Et Liouba d'enlacer Manon qui n’a plus froid,
Se traînant à jamais en vaine indifférence...
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 7 « Naufrage » (Avril 2024)
En ce début novembre 1812, la température a passé les moins vingt degrés sous zéro. Le froid accompagné de neige et de vent est terrible. Sans vivres ou presque, devant se traîner dans ces plaines interminables en s’enfonçant dans la neige, l’épreuve devient quasiment insurmontable, même pour ces héros des campagnes napoléoniennes pendant plus de dix ans. À la limite, les combats incessants contre les hordes de cosaques qui les talonnent leur permettent de retrouver le moral en « se réchauffant un peu » ...
Voilà ce qu’en disait le sergent Bourgogne, témoin survivant de la retraite de Russie* :
« Ce jour-là, qui était le 6 novembre, il faisait un brouillard à ne pas y voir, et un froid de plus de vingt-deux degrés ; nos lèvres se collaient, l'intérieur du nez, ou plutôt le cerveau se glaçait ; il semblait que l'on marchait au milieu d'une atmosphère de glace. La neige, pendant tout le jour, et par un vent extraordinaire, tomba par flocons, gros comme personne ne les avait jamais vus ; non seulement l'on ne voyait plus le ciel, mais ceux qui marchaient devant nous. »
*Mémoires du Sergent Bourgogne (1812-1813) (French Édition) (p. 77). Édition du Kindle.
L’épisode tragique de la cantinière qui accoucha d’un bébé, mort de froid très peu de temps après, est authentique (voir notes ci-après), et témoigne à lui seul de la situation inimaginable de ces survivants de la Grande-Armée.
Le 6 novembre, Napoléon apprend par une estafette « arrivant à franc étrier** » que le général Malet venait de mener une conspiration à Paris pour renverser l’Empereur. Napoléon décida aussitôt de tout faire pour entrer le plus vite possible à Paris.
**Galoper à vive allure sur une longue distance de plusieurs lieues sans quitter la selle durant les relais de poste.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Ce triste épisode d’une femme accouchant durant la retraite de Russie, rapporté par plusieurs témoins, est authentique. En fait, il s’agissait d’une cantinière, la mère Dubois, mariée à un barbier de la Compagnie du sergent Bourgogne, qui mit au monde un gros garçon au soir du 5 novembre. Le colonel fit tout pour faciliter l’accouchement, notamment par les soins portés par le chirurgien de la troupe. Inutile de dire que ses souffrances furent terribles dans ces conditions extrêmes : accouchant dehors, au bivouac, par -20°.
2 N’oublions pas que Natacha, âgée de 12 ans (comme Nicolas) est Russe (voir mon poème « L’océan »). Et même si la route du retour de la Grande-Armée, déjà dévastée par elle à l’aller, avec en outre la politique russe de la « terre brûlée », n’offrait plus rien aux troupes, surtout pour celles de l’arrière-garde, il n’en demeure pas moins que les moujiks (paysans) savaient cacher quelques vivres. Ainsi, Natacha, leur contant son drame, obtint du lait (dans ma saga, bien sûr).
3 L’eau-de-vie de genièvre devint d’une rareté hors de prix, sans parler qu’elle était réservée aux « ambulances ».
4 Référence ici, à la troupe de théâtre évoquée à plusieurs reprises dans ma saga.
5 Autre épisode véridique de la retraite, comme d’ailleurs il s’en produisait tous les jours. Mais ici, il s’agit d’une femme de colonel aperçue le 10 novembre par le docteur Larrey (le grand chirurgien), qui s’extirpa du ventre d’un cheval qu’elle dévorait à pleines dents, n’ayant pas de couteau. Elle portait une pelisse de martre et de satin blanc... devenue rouge !
6 Les pommes de terre rendaient fou quand on pouvait s’en procurer. Les hommes les mangeaient crues, craignant de se les faire voler. Le sergent Bourgogne raconte un épisode où il avait réussi à en avoir, mais quand il voulut les manger sur la route, celles-ci étaient congelées, donc impossible à dégeler sauf à les changer au feu aussitôt en farine...
7 L’affût d’un canon est son support fait de bois et d’assemblages en métal.
8 Tronc d’arbre abattu, ébranché, mais encore couvert d’écorce, fixé à l’affût du canon dans mon poème, pour servir de berceau.
9 Épisode véridique comme déjà dit, que celui de la malheureuse mère Dubois, qui perdit son bébé quelques jours plus tard. Voulant l’allaiter, elle le découvrit raide mort de froid. Un sapeur se chargea de creuser sa tombe en bord de route avec sa hache, tandis que son père à genoux, fataliste, disait ses prières.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La longue marche...
Le général Claude-François de Malet
et son exécution...
Vermines
" Feu de bivouac "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Mai 2024 - 40/30 -
Fusain, pierre noire et pastels gras.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Esclavage et souffrance " par les Choeurs de l'Armée Rouge à Paris (années 1960)
à écouter en lisant le poème
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avec un "résumé" de l'épisode en cours :
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Vermines
La route immaculée de blanches convulsions
Vient de couvrir de deuil l’indicible agonie
De l’armée qui s’étiole au fil des révulsions,
Et comme un renard blanc campe sa félonie...
L’homme engendre des loups, des chacals charognards,
Des bêtes sans tribu, des monstres de vengeance.
Héros excommuniés de l’honneur des grognards,
Les voici devenus de misérable engeance.
Chacun défend sa peau, s’accrochant à sa peur,
Reniant son camarade en volant sa giberne1
Où se cache en trésor du tabac de sapeur,
Quelques Napoléons2 et du thé qui s’hiberne.
Puis au matin la route égrène un chapelet
De malheureux vaincus par leur nuit de supplice,
Ne pouvant approcher les bivouacs et relais
Que d’autres défendaient souffrant qu’ils se remplissent3.
Pourtant auprès des feux s’enflamment les tourments
D’engelures glaçant le cœur des misérables,
De vermines4 grattant à sang même en dormant,
De miasmes infectant les faibles vulnérables.
Les punaises et poux campent chez les vivants
Qui tentent bien parfois de brûler l’uniforme5
En quête d’espérance en tant que survivant,
Malgré leur teint cireux et leur tenue difforme.
Nicolas a perdu son unité de Corps6 ;
Tous furent abattus, prisonniers des cosaques7.
Il reste auprès de Rose d’un commun accord,
Prévient avec Livreur la portée des attaques.
Joseph est retenu par son État-major
Quelque part à l’avant, loin de « ses tendres femmes »,
S’inquiète de leur sort, se languit du confort
Quand Rose dérobait des choux loin d’être infâmes.
Liouba ne parle plus et fixe l’horizon
Bordé de laine blanche aux guirlandes de perles,
Alors que Natacha songe à la guérison
Des femmes violentées par le froid qui déferle.
Pierre Barjonet
Mars 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 6 « Vermines » (Mars 2024)
Le froid précoce d’octobre s’abat sur ces milliers d’hommes et de femmes qui s’épuisent à se suivre sur cette longue route dont la neige et le gel masquent l’horizon. Les chevaux non ferrés glissent et sitôt tombés sont abattus faute de nourriture. Tout homme qui chute sur le talus est immédiatement dépouillé de ses vêtements, de ses bottes surtout, quand il ne s’agit pas de ses hardes. Les fourrures ont déjà disparu, volées bien sûr. Les bagages sont abandonnés, tout comme les rares voitures dont les chevaux, ont disparu, mais les cosaques ramassent et empilent ces butins pris à Moscou pour l’essentiel.
Au bivouac, il est impossible de dormir. D’une part, car le froid s’insinue dans le moindre repli de misérables abris, même lorsque le hasard et la chance débusquent une bicoque aussitôt conquise. D’autre part, car il faut garder et protéger sa « citadelle » en fermant le passage à quiconque. Enfin, car la vermine fait des ravages interdisant de fait la moindre couverture, pelisse ou fourrure. Les bivouacs deviennent, hélas, des épreuves supplémentaires redoutables...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Les gibernes sont des boîtes qui conservaient les cartouches des soldats de l’Ancien Régime. Ici, en l’occurrence, elles servaient de cachette à leurs effets les plus précieux.
2 Les Napoléons étaient des pièces de monnaie en or valant une somme pouvant être très importante selon leur taux fixé à 10, 20 ou 40 francs or. Ainsi, la pièce de vingt francs or fut la plus frappée, avec pas moins de 13,8 millions d’exemplaires entre 1809 et 1814. Le double Napoléon » est une pièce prestigieuse de 40 francs or qui fut frappée à l’occasion de son sacre, le 2 décembre 1804. La pièce de 20 francs or représentant le jeune général Bonaparte fut créée le 28 mars 1803. Sa valeur actuelle est de 799,00 € pour un poids de 6,45 grammes. 1 Franc 1803 valait en 2006 2,07 €, mais attention à se garder de comparaisons hâtives, car le cours de la vie d’alors n’avait rien à voir avec le nôtre. Ainsi, la moyenne des salaires en 1807 était de 3,35 francs par jour. Une pièce de 20 francs or représentait environ la valeur d’une semaine de travail (14 heures par jour x 6, voire 7 jours). Un pain coûtait 40 centimes la livre à Paris.
3 Manquant cruellement de vivres et de fourrage pour les chevaux, les hommes ont faim. Leur faim atroce les conduit à se débarrasser de tous ceux qui sont une bouche à nourrir inutile à leurs yeux, comme les blessés, les agonisants ou les fuyards, les femmes et les enfants aussi ou les anciens plus fragiles. Ils les abandonnent sur place malgré les ordres (c’est le cas des voitures de blessés renversées volontairement ou accidentellement) ou même en les achevant... Quant aux bivouacs, ils sont gardés pour empêcher toute tentative de s’y réfugier afin de ne pas partager sa maigre disette, le peu de bois sec glané, des couvertures et fourrures, et pour éviter aussi les vermines et maladies.
4 Comme à chaque fois que des troupes se déplacent en campagne et bivouaquent dans des conditions précaires, s’invitent les maladies, les miasmes et les vermines. Le typhus, par exemple, fut engendré par les poux, et la typhoïde par l’eau.
5 L’on a vu des hommes qui, pris de frénésie pour être infectés de vermine, ont tenté de les brûler en s’approchant trop près des feux de camp, voire en s’y précipitant, et qui finirent quasiment nus ou pires, brûlés vifs !
cf. « Les mémoires du sergent Bourgogne ».
6 En langage et organisation militaire, un Corps est une unité militaire autonome tel un Corps d’armée.
7 Tandis que Koutousov et l’armée russe poursuivaient la Grande-Armée sur la fameuse « route parallèle », les cosaques ne cessaient de harceler les troupes, surtout celles plus ou moins dissoutes, égarées, faites de traînards, de déserteurs sans ordre ni discipline. Dès lors, leur sort était compté et ces pauvres hères se voyaient prisonniers des cosaques dans le meilleur des cas (conduits en esclavage, un peu comme les serfs), battus et laissés pour compte tout nus par -20° ou tout simplement abattus sur place à coups de lances, de sabres ou de haches (les cartouches étaient chères) ...
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
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Gibernes
" Napoléons " : pièces de 20 francs or et de 40 francs or
L'emballement
" Dépouilles "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Avril 2024 - 40/30 -
Sanguine sépia et pastels gras.
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(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Prince Igor - Acte 2 Polovtsian Danse " de Alexandre Borodin
à écouter en lisant le poème
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avec un "résumé" de l'épisode en cours :
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Avertissement
Avec le froid brutal qui survint plus de trois semaines avant les gelées habituelles, avec la famine due à l'absence totale de vivres et de fourrage sur la route de Smolensk déjà pillée à l'aller, avec enfin les assauts permanents des hordes de cosaques aidées des paysans sans oublier plusieurs combats contre les troupes régulières russes, la retraite de Russie entre à fin octobre 1812 dans sa partie la plus terrible. Début novembre, elle connaîtra l'enfer...
Les épisodes qui vont suivre maintenant retracent les tourments effroyables et les abominations dont furent victimes tous ces hommes, ces femmes et même ces enfants qui constituaient et suivaient la Grande-Armée, sans oublier les chevaux.
Comme d'habitude, je me suis efforcé de vous faire " ressentir l'atmosphère " de cette épopée tragique en donnant à ma plume une tournure réaliste encrée de témoignages vivants évoqués dans mes " Notes de lecture et de situation historique ", même si la forme de ma saga se veut poétique et romancée.
J'espère que vous ne m'en voudrez pas de ce choix d'approche pragmatique de l'Histoire.
Avec toute ma reconnaissance pour votre fidélité,
Pierre
L'emballement
La morsure du froid ne cesse de piquer,
Soufflant force de gel culbutant les montures1,
Verglaçant les coteaux, les chemins étriqués,
Brodant dans les cheveux de curieuses sculptures.
Il fait soleil et pleut, sublimant ce décor
Des plaines et des bois qui s’habillent de givre2.
La frêle kibitka3 vient de cogner un corps
Brisant net le timon, leurs chances de poursuivre.
Leur cheval est tombé. Sans même s’émouvoir,
Il fallut l’achever, puis le trancher bien vite
Avant qu’il ne se gèle, impossible à mouvoir,
Et surtout le cacher des furieux qui s’invitent4.
Il se dit que les Russes5 sombrant dans l’enfer,
Prisonniers sans rations, se partagent les restes
Que les bêtes délaissent : chair de Lucifer,
Qu’ils découpent des morts dans une furie preste !
C’est à pied désormais, en ayant tout perdu,
Que les femmes s’accrochent à l’espoir de vie
En contournant les corps qui jalonnent, tordus,
La route de Smolensk, celle de leur survie.
Ne restent que des gourdes de poudre et d’alcool,6
Un semblant de farine enfouie dessous leurs jupes,
Du lard pesant sa glace aux musettes qui collent
Et des lambris de choux que la faim préoccupe.
Rose a repris l’aplomb de mener ses consœurs,
De quêter quelque vivre auprès de ses fidèles,
Ces soldats qui buvaient sa bière et ses douceurs7,
Ces enfants qu’elle aimait, leur servant de modèle.
Puis tout s’accéléra, quand la neige survint8,
Opposant la beauté de l’hiver qui s’amène
À cet affreux récit digne d’un écrivain,
Illustré du carnage de la viande humaine.
Les cosaques s’amusent des blessés tout nus9
Que le vent pétrifie comme autant de statues
D’enfants surpris, figés dans la pose ingénue
D’une armée de piquets sans s’être débattus.
Pierre Barjonet
Mars 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 5 « L'emballement » (Avril 2024)
La longue route en direction désormais de Smolensk, passant à nouveau par celle de l’aller, tue sans faillir des milliers d’hommes et de femmes appartenant et suivant la Grande-Armée. En cette fin d’octobre et début novembre 1812, le « général hiver » fait prestement son apparition, ajoutant à la faim, la soif et le manque total de réconfort en ces contrées déjà ravagées, le froid. On considère que la fatale retraite de Russie commence vraiment vers le 27 octobre 1812.
N’oublions pas que les troupes dispersées font l’objet d’attaques incessantes de hordes de cosaques ainsi que de batailles sporadiques menées par les armées russes à certains moments contre ses flans ou l’arrière-garde, contre les corps d’armée des maréchaux Oudinot, Davout, Ney ou du Prince Eugène. Les Français alors en nombre inférieur, souffrent : partis 100.000 de Moscou, leurs effectifs ne cessent de fondre. Ils ne sont pas équipés contre le froid et pas nourris, ne bénéficient pratiquement plus de chevaux (alors réservés à l’artillerie et pour le transport des blessés). Les Français, donc, se confrontent à des Russes à l’aise, chez eux, nourris, montés de chevaux frais, préparés et équipés contre le froid et bénéficiant de régiments formés à la discipline quand ceux des Français se débandaient.
C’est désormais l’épreuve du « chacun pour soi ». On n’hésite pas à tuer des prisonniers ennemis pour éviter de les nourrir. On vide des voitures chargées de blessés pour la même raison. On vole ses propres camarades, surtout de nuit au bivouac. On déshabille les cadavres, parfois même les malheureux agonisants. On perce le flanc des chevaux encore vivants pour arracher leurs entrailles et récolter leur sang dans des marmites qu’on fait aussitôt chauffer... C’est le début de l’enfer !
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Les malheureux chevaux qui n’étaient pas ferrés à glace chutaient en se brisant les os. Iles étaient aussitôt dépecés par les hommes qui s’en partageaient la viande.
2 La température a subitement chuté en cette fin d’octobre, début novembre 1812, autour de -20° gelant aussitôt les sols chargés d’eau.
3 La kibitka était le frêle attelage que Rose, Liouba et Natacha (dans ma saga) avaient trouvé, par suite de la perte de leurs deux voitures chargées de vivres, de fourrures et de biens (voir mon poème « Voitures »).
4 La solidarité du début s’est bien vite transformée en lutte pour sa propre survie, celle du « chacun pour soi ». Il n’y a rien à manger. On se cache pour avaler à la hâte le peu de soupe de cheval, de racines ou de farine échangée à prix d’or. La nuit, on vole les malheureux assoupis qui avaient caché leur maigre butin sous leur giberne (boîte à cartouches que les soldats gardaient au sec) en guise d’oreiller ou dans leur carnassière (sac à gibier et volailles, du chasseur civil).
5 La colonne de 800 Russes prisonniers dont parle le sergent Bourgogne, faute totale de vivres, s’était résolue à s’entre-dévorer quand l’un d’eux trépassait, après l’avoir découpé puis partagé... Le chasseur de la Garde chargé de garder ces prisonniers (le sergent Guinard) confia cette tragédie au sergent Bourgogne en proposant de lui montrer le bivouac à cent pas du leur, ce qu’il refusa. Quelques jours après, ils apprirent que, faute de pouvoir les nourrir, il fallut les abandonner. (cf. Mémoires du Sergent Bourgogne).
6 La boisson du combattant faite de vin, et, ou d’eau-de-vie brute mêlée à de la poudre avait pour but de se donner du cœur à l’ouvrage avant l’assaut... Plus tard, elle sera l’ordinaire des tranchées de 14/18 (N.D.L.R.)
7 Rappelez-vous que Rose (personnage de ma saga) est une vivandière chargée de fournir aux soldats boissons et nourriture ainsi que le commerce d’accessoires en tant que vivandière à l’ordinaire de la troupe. Mais sans voiture, elle n’a pratiquement plus rien... La vivandière est un peu ce qu’est l’intendant ou l’économe de nos jours, mais là, à leur différence, elle agit pour son propre compte, mais avec l’aval de l’autorité militaire. Ne pas la confondre avec la cuisinière ou la cantinière.
8 Succédant aux sols détrempés puis gelés, la neige survint d’abord faiblement le 4 novembre 1812, puis de façon abondante le 5, et enfin sans discontinuer en rafales soufflant du nord-ouest, le 6. Désormais la longue plaine russe éclata de blancheur immaculée, et ses chemins se couvrirent rapidement de monticules des restes de la grande armée anéantie sur la route de Smolensk vers la France...
9Les cosaques pourchassaient inlassablement les traînards, les troupes non suffisamment défendues, les bivouacs isolés et les compagnies d’arrière-garde. Quand ils faisaient prisonniers des malheureux, ils les déshabillaient et les abandonnaient à leur sort, nus et sans vivres par -20° à -30°...
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
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La carte du retour
avec le rapport entre les effectifs de la Grande-armée et le thermomètre.
Carte dressée en 1869.
Voici ce qu'indique ce graphique :
Les nombres d'hommes présents sont représentés par les largeurs des zones colorées à raison d'un millimètre pour 6000 hommes. Ils sont de plus, écrits en travers des zones. L'orange désigne les hommes qui entrèrent en Russie, le noir, ceux qui en sortirent. Entrée en Russie avec près de 600.000 hommes, la grande armée n’en compta plus que 50.000 qui en réchappèrent. Sur le graphique, on évoque plutôt l'entrée de 422.000 hommes et la sortie de 10.000. Les chiffres étaient variables selon que l'on comptait les armées alliées ou non. S'agissant du thermomètre, les températures chutèrent pour atteindre - 21° le 14 novembre, - 24° le 1er décembre et - 30° le 6 décembre 1812.
N.B. les mois sont écrits de façon généalogique ancienne : 7bre = septembre (sept), 8bre = octobre (octo), 9bre = novembre (neuf-embre), Xbre ou 10bre = décembre (dix-embre).
Une kibitka
La longue marche...
Puanteur
" Borodino"
Illustration originale de Pierre Barjonet - Avril 2024 - 40/30 -
Sanguine et pierre noire.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Ouverture solennelle 1812 - opus 49 " de Pyotr Ilyitch Tchaikovsky
Увертюра 1812 года
Tchaikovsky composa cette ouverture en septembre/novembre 1880
en commémoration de la retraite de Russie lors de la campagne de la Grande-Armée en 1812.
à écouter en lisant le poème
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Puanteur
Serrées sur leur carriole encaissant les chemins
Meurtris de fondrières et gadoues stagnantes,
Les femmes font silence en craignant que demain
Ne leur réserve un sort de souffrances prégnantes.
Mais au détour d’un tertre apparaît la vision
De nuages de corbeaux se mariant aux collines,
De rapaces planant aux champs des divisions1,
De rongeurs et de loups rampant sous les berlines.
L’odeur insupportable empeste des charniers,
Décomposant chevaux et les restes de membres
Des malheureux puant où que vous vous tourniez,
Baignant de pluie mêlant leur sang depuis septembre2.
Face à Borodino1, Liouba vomit sa peur
Et tremble de frissons devant l’horrible scène,
Alors que Natacha traverse ces vapeurs
Stimulant leur cheval poissé de boues malsaines.
Joseph au grand galop, rattrape ce convoi
Pour le guider au creux de l’immonde Camarde3
Qui se réjouit encore en étouffant la voix
Des soldats égarés qu’aligne l’avant-garde.
Liouba l’apercevant ose un rire nerveux,
Puis saisit le mouchoir que Joseph lui présente
Et s’y plonge apaisée recouvrant ses cheveux,
S’enivrant de cette eau de Cologne4 apaisante.
Rose a repris les rênes souriant à Joseph,
Lui murmure un merci pour son aide galante
Et s’écarte bientôt des morbides reliefs
Faits de ces corps pourris en saignées déferlantes.
Le soir auprès des feux, les vivants sont fourbus,
Mais leur appétit non, dévorant leur tambouille,
Buvant à perdre souffle en trinquant aux barbus,
Au petit Caporal5, à ceux qu’on débarbouille.
Et les chansons s’en mêlent offrant aux tambours,
La parade des cœurs pour les belles de France.
Et les promesses fusent de s’aider toujours6
Sur ces terres vomies jusqu’à la délivrance.
Pierre Barjonet
Mars 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 4 « Puanteur » (Mars 2024)
Au 28 octobre 1812, Napoléon parvient sur le site de la bataille de la Moskova (Borodino en russe). Le « spectacle » est effrayant, car des milliers de morts jalonnent le terrain, lui-même haché par les tirs d’artillerie, les charges de cavaliers, la lutte au corps à corps des fantassins et la rudesse des combats pour prendre et reprendre les redoutes en hauteur... Tous ces corps d’hommes tués, fracassés et mutilés donnant lieu à des « montagnes de membres » alors amputés par la bataille puis par les chirurgiens, pourrissent d’autant plus lentement que le froid vif qui règne alors les « conserve » ... Inutile de souligner la puanteur infecte de ces restes putrides dévorés en partie par des chiens errants, des loups et les rapaces. Le grand écrivain Russe Léon Tolstoï (1828/1910) a parfaitement décrit l'horreur de la bataille dans son ouvrage célèbre " La guerre et la paix " (ou " Guerre et paix ") écrit de 1864 à 1869, sachant que dans un premier temps il l'avait intitulé " 1805 " en référence à la bataille d'Austerlitz, mais que s'étant ensuite rendu sur le champ de bataille de Borodino, il en changea le titre...
Et soudain, apparaît un miraculé, un survivant, 52 jours après cette boucherie. Un grenadier ayant perdu ses deux jambes, qui réussit à survivre en se réfugiant dans la carcasse d’un cheval mort. Il s’en nourrit en le mangeant petit à petit et étancha sa soif dans une rivière couverte de cadavres... L’Empereur aussi surpris que consterné ordonna qu’on prît soin de ce malheureux en lui faisant une ambulance sur l’un de ses chariots. L’histoire montrera que pour lui, comme pour tant d’autres, ce ne fut qu’un bref sursis...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Il s’agit là, des divisions ayant combattu sur le champ de bataille de la tragique confrontation de la Grande-Armée avec les armées russes de Koutousov à Borodino (pour les Russes) ou dite de la Moskova (pour les Français). Bataille gagnée par Napoléon, mais tragique par son bilan meurtrier : 6.562 morts et 21.450 blessés côté Français, pour 45.000 morts et blessés côté Russe.
2 La bataille de la Moskova s’était déroulée le 7 septembre 1812, à « l’aller » (rappelez-vous mon poème Moskova), et la retraite de la Grande-Armée y repasse près de 60 jours plus tard, le 28 octobre. Vainqueurs, les Français avaient pu retirer leurs blessés et enterrer en partie leurs morts, mais pas les Russes.
3 La Camarde désigne, en nom propre, la mort.
4 L’eau de Cologne était fort recherchée alors. Et Napoléon 1er s’en aspergeait généreusement quotidiennement. Il en utilisait de 30 à 40 flacons par mois, soit largement plus d’un par jour, habitude qui lui venait de la campagne d’Égypte ! On dit même qu’il en buvait quelques gouttes avant chaque bataille... Son fidèle serviteur et second valet de chambre, Ali (Louis Étienne Saint-Denis) qui l’accompagna à Sainte-Hélène, et qui faisait également fonction de bibliothécaire, copiste, secrétaire, intendant, transmit la composition de cette eau de Cologne réalisée sur place, avec les moyens du bord, en remplacement de celle qu’il utilisait en France, et dont l’absence d’importation lui pesait. Depuis 1819, cette eau a été réalisée en respect de la formule transmise par Ali et s’appelle « L’authentique eau de Cologne Napoléon 1erEmpereur ».
5 Le petit Caporal est un surnom donné à Napoléon 1er par ses hommes lorsque Premier Consul, il avait montré du courage contre les troupes autrichiennes durant la Campagne d’Italie à Lodi en 1796. Ainsi, les soldats avaient imaginé lui attribuer un nouveau grade à chacune de ses victoires, en commençant par le plus petit, celui de caporal. Mais ce fut celui-ci qui restera dans l’Histoire...
6 Déjà, les hommes redoutaient que l’esprit de corps et la solidarité ne s’altèrent que trop vite, au fil des événements...
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
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Cartes de la bataille de la Moskova (pour les français)
ou de Borodino (pour les russes)
N.B. Voir mon poème " Moskova " (Saison 1)
La bataille...
Le feld-Maréchal Mikhaïl Koutouzov (1745/1813)
et l'Empereur Napoléon 1er (1769/1821) en face...
photo tirée du film " Guerre et paix " d'après Léon Tolstoï
et dédicace de son réalisateur russe Sergueï Bondartchouk
Le champ de bataille aujourd'hui...
Le musicien Pyotr Ilyitch Tchaikovsky,
qui composa l'ouverture solennelle " 1812 - opus 49 " en 1880
en commémoration de la retraite de Russie
lors de la campagne de la Grande-Armée en 1812.
Léon Tolstoï à 20 ans (1848) puis en 1897 et 1908 dans son bureau.
L'eau de Cologne favorite de Napoléon 1er
Hurrah !
" Les cosaques "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Mars 2024 - 40/30 -
Sanguine, fusain, pierre noire et crayons de couleur.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Chant populaire " Les braves cosaques du Don "
interprété par les choeurs de l'armée rouge (années 60)
à écouter en lisant le poème
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Hurrah !
Il semble qu’un soupir se glisse dans la nuit
Couvrant les cliquetis rampant non loin des tentes,
Et se coule étouffé par le fiévreux ennui
Des femmes assoupies dans leur nerveuse attente.
Livreur grogne déjà tandis que Natacha
Qui, d’un bond s’est levée, réveille les dormeuses,
Répartit les poignards que son instinct cacha,
Alerte le piquet1 sans formule charmeuse.
Nicolas dont la troupe a rejoint leur bivouac
A compris sans un mot les signes de l’alarme.
Et tous de s’équiper en évitant les couacs
En un carré2 formé d’une muraille en armes.
Les chevaux sont nerveux et les feux recouverts.
Les grenadiers de garde ont camouflé les fosses3
Qu’ils avaient préparées, et que tous approuvèrent,
Élevant en bastion les chariots qui s’adossent.
Soudain Livreur bondit et fonce dans le bois,
Tandis qu’un cri poussé comme une plainte horrible
Hurle « Hurrah, Hurrah4 ! » dans le galop sournois
De chevaux voltigeurs5 se rendant invisibles.
À l’abri des fourgons, les femmes et civils
Déchirent les cartouches et tassent la poudre6,
Chargent les lourds fusils en se rendant utiles,
Car la ligne de feu7 ne saurait se dissoudre.
Les cosaques8 surpris sont fauchés de plein fouet
Et chutent dans les fosses en brisant leurs lances.
Nicolas lève alors son tambour comme un jouet,
Et frappe fort la charge en furieuse insolence.
La brume et la fumée brassent leur nuage gris
Coiffant d’espoir Liouba, Rose et les demoiselles
Dont la survie dépend de l’ardent feu nourri
Servi comme un festin si gras9 qu’il vous muselle.
Les « Hurrah » se sont tus dans le sang qui les noie
Et l’odeur du décor déferle en mille miasmes.
Comme après la tempête épongeant leurs minois,
Les belles se consolent en bruissant de spasmes.
Pierre Barjonet
Mars 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 3 « Hurrah ! » (Mars 2024)
Poursuivant sa route du retour, désabusé malgré sa victoire contre les Russes à Kalouga pour la prise de Maloïaroslavets conduite par Eugène de Beauharnais, Napoléon qui vient de choisir malgré lui d’abandonner la route du sud, reprend celle de l’ouest à contrecœur. D’autant que, s’il est victorieux, il n’en a pas moins perdu 5.000 hommes (6.000 pour les Russes) et 7 généraux ! Comme il le dira à Caulaincourt : « Je bats toujours les Russes, mais cela ne termine rien ! ». Ce qu’il ne sait pas, c’est que Koutousov vient d’ordonner au grand dam de ses généraux, d’abandonner le « verrou de Maloiaroslavetz » défendu par une forêt impénétrable, pour se replier plus au sud.
Le 25 octobre, le lendemain de cette bataille est célèbre, car l’Empereur manqua de peu d’être capturé par des cosaques ! En effet, levé dès 4 heures le matin du 25 octobre 1812, il partit chevaucher en observation du terrain pour vérifier par lui-même si l’armée de Koutousov avait fait retraite, seulement suivi par les quelques cavaliers de sa garde rapprochée (des lanciers polonais) et quelques officiers de son État-major. Mais c’est stupéfait qu’aux cris de Hurrah ! il découvre qu’il est encerclé par des cosaques. Les 6.000 cosaques du général Hetman Platov. Dès lors, aidé par Rapp, Caulaincourt et Berthier ainsi que par les quelques hommes du piquet, ayant tous dégainé leur épée, ils parviennent à se sortir de ce guêpier, tandis que les escadrons de service de la Garde viennent à leur secours. Ce combat de Gorodnia fit tout de même 15 tués et 7 blessés auprès de l’empereur. Plus tard, il s’en amusera. Et pourtant, Platov avait promis sa fille en mariage à celui qui le capturerait !
Dès le lendemain, il confirmera la route de Smolensk, déjà dévastée à l’aller...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le piquet est en langage militaire, la constitution d’une petite unité de soldats gardant un bâtiment ou une zone, ou bien encore capable d’intervenir rapidement.
2 Le carré est une formation défensive militaire héritée des Romains et employée par l’infanterie pour se protéger des charges de la cavalerie (impossible à franchir sans encombre).
3 Les fosses sont des sortes de tranchées munies de pieux, ensuite masquées à la vue par un camouflage afin d’y faire chuter fantassins et cavaliers.
« Hurrah ! » Le fameux cri de guerre de nombreuses armées, prenant ici également l’usage d’un cri d’honneur employé trois fois par les Russes et plus particulièrement les cosaques.
5 Les petits chevaux des cosaques étaient par eux, considérés comme de véritables membres de leur famille. Ils les soignaient, les chouchoutaient et lorsqu’ils ne faisaient pas la guerre, les employaient aux travaux des champs. Ces petits chevaux très robustes et se nourrissant de peu, infatigables et sobres, rapides et polyvalents, proviennent des steppes nordiques descendant des poneys de Mongolie. Attila à la tête des Huns les utilisait déjà. Ils devinrent par la suite les chevaux du haras du Don sous l’impulsion du fameux général ataman* Matveï Platov (1753/1818) qui combattit Napoléon avec ses 60.000 cosaques montés sur les chevaux du Don, particulièrement adaptés au rude climat de Russie. * Un ataman était un chef guerrier cosaque.
6 Charger son fusil sous le 1er empire n’était pas une sinécure. D’abord, il pesait lourd, 4kg375 pour 1m52 avec un gros calibre (diamètre de la balle) de 17,5mm (par rapport aux armes modernes de 5,56 pour le Famas ou de 7,62). Ensuite, il fallait exécuter avec précision une manœuvre assez longue pour le charger, d’où l’organisation d’une « ligne » sur trois rangs : le premier rang tire suivi par le deuxième tandis que le troisième et selon le cas, avec le deuxième, s’activent à recharger les armes. Il fallait ouvrir le bassinet, déchirer la cartouche de papier dur avec ses dents, remplir de poudre le bassinet, le refermer, puis verser le reste de poudre dans le canon. Ensuite, l’on retirait la baguette parallèle au canon du fusil pour bourrer à deux reprises la poudre du canon, puis introduire toujours dans le canon la balle de plomb (de 1,75 cm !). On replaçait la baguette dans son fourreau. Enfin, le tireur armait (reculait) le chien muni d’un silex (à changer après cinquante coups). Les gibernes (sacs) contenant les cartouches devaient absolument être préservées de l’humidité.
7 La ligne de feu est constituée des premier et deuxième rang faisant feu, de la ligne des fantassins.
8 Les cosaques étaient de redoutables cavaliers servant alors les Tsars. Leur origine est confuse, se partageant entre nomades, pillards et mercenaires menant des razzias (raids) libres et indépendants, fonctionnant avec leurs propres règles (élisant leurs atamans). Ils se situaient plutôt au nord de la mer noire en Ukraine et Biélorussie, s’étant ensuite regroupés dans le Don, l’Oural, puis en Sibérie, en Astrakhan, sur le fleuve Amour, sur le Danube, etc. De fait, leurs ennemis principaux étaient les Tatars (Turcs), puis donc les Français de la Grande-Armée Napoléonienne. Leur chef, que le tsar fit comte pour le remercier, était donc Matveï Platov.
9 Du fait d’une poudre fort grasse, faite d’un mélange de charbon, de salpêtre et de soufre, il fallait après chaque tir nettoyer soigneusement les fusils en les démontant puis en les séchant et en les graissant de propre.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Carte situant les différents peuples de cosaques installés en Europe au XIXè
Cosaques munis de leur fameuse lance
Une cosaque
Le général Hetman Matveï Platov
Les petits chevaux des cosaques du Don
Voitures
" Livreur face aux loups "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Mars 2024 - 40/30 - Sanguine, fusain et pierre noire.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Musique et sons divers enregistrés en pleine nature
" hurlements de loups libres en pleine forêt nordique "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Voitures
L’explosion1 pétrifia la colonne au bivouac,
Faisant bruisser l’idée que Moscou ne se brise
Dans la poudre et la fin de son Kremlin qu’on plaque
En châtiment ultime au destin sans surprise.
Chacun de se lever, de tenter de sonder
Les nuages inquiétants qui ternissent la plaine.
Chacune de serrer les toiles sous l’ondée
Quand l’orage recrache sa mauvaise haleine.
Rose et Liouba s’activent dans leur piètre abri
Qu’offre la Kibitka2 remplaçant leurs voitures
Dont les roues fracassées jonchent tant de débris
Plus au nord quand la boue les priva d’armature.
L’impitoyable sable enlisa les chariots3,
Trop nombreux en chemin, se heurtant en désordre,
Changeant en tombereaux de roulants matériaux,
Engloutissant enfin des profiteurs sans ordres.
Des milliers de soldats, de gradés, de civils
Se sont soudain changés en soldeurs de fortunes,
En forts des halles fous, en ribaudes des villes,
En cochers se fouettant d’une plainte importune.
Alors, n’y tenant plus, ils se sont délaissés
Des tableaux et des ors, des fourrures, des vases,
Des services vermeils et même des blessés4,
Gardant plutôt la gnole aux bottes qu’on évase.
Le tumulte effrayant d’un convoi chancelant
Affolant ses chevaux et brusquant ses voitures,
Jurant en italien, en prussien ruisselant5,
Prit le sinistre accent d’horribles créatures.
Mais Natacha n’a crainte en priant son pays
Aux saisons contrastées par ses vents qui murmurent
En cachant dans les bois les saintes abbayes
Et les grives rouillées6 qui se gavent de mûres...
Les soldats sont au loin, sauf l’escorte en retrait.
Se moquant de la pluie Livreur monte la garde
Et hurle quand les loups de leurs cimes s’extraient
Comme des spectres vifs sous une lune hagarde.
Pierre Barjonet
Février 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 2 « Voitures » (Février 2024)
Le 19 octobre 1812, Napoléon ordonna d’abord que la retraite vers Smolensk prenne la route du Sud via Kalouga. Ce, afin d’éviter celle de l’aller, déjà dévastée et sans aucun ravitaillement possible (terre brûlée, vivres et fourrages déjà réquisitionnés, cultures et réserves ruinées...). Mais sa marche est ralentie par un incroyable encombrement de 15.000 à 40.000 voitures et chariots emplis de butin, sans parler des attaques incessantes des « partisans » formés de paysans et des cosaques menant une véritable guérilla.
Apprenant que le maréchal roi de Naples Joachim Murat (1767/1815) venait de subir le 18 octobre une défaite à la bataille de Winkovo (ou Taroutino), Napoléon voit sa marge de manœuvre se réduire. Très vite il modifiera ses plans à la suite d’une bataille difficile, bien que gagnée de peu le 24 octobre 1812 par Eugène de Beauharnais (1781/1824 - fils de Joséphine) commandant son avant-garde à Maloïaroslavets. Craignant de rencontrer le gros de l’armée russe qui lui coupe la retraite au sud, il renonce à s’enfoncer vers Kalouga et reprendra la route de l’ouest manquant de la moindre provision...
Avant de quitter Moscou, il confia le soin au maréchal Édouard Mortier (1768/1835) resté avec 10.000 hommes de faire sauter le Kremlin ainsi que l’arsenal et divers bâtiments de la forteresse. Durant trois jours, ils contraignirent des habitants à creuser des tunnels chargés de mines. Mais du fait du fort mauvais temps, la pluie éteignit nombre de mèches, sans oublier le coup de main d’une partie de la population et de l’arrivée de l’avant-garde russe de Koutousov qui venait d’apprendre le départ de Napoléon. Des explosions détruisirent cependant plusieurs tours et remparts du Kremlin ainsi qu’une partie de l’arsenal. Les Russes ont crié au miracle malgré ces destructions, car le clocher d’Yvan-le-Grand n’a pas souffert.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Précédant la retraite, Napoléon donna l’ordre au maréchal Édouard Mortier de faire sauter le kremlin de Moscou*, mais ce fut quasiment un échec (voir ci-devant).
* On appelle Kremlin une forteresse implantée au cœur des anciennes villes russes, et donc pas seulement à Moscou, comme Novgorod, Souzdal ou Kazan ; lequel Kremlin de Moscou est le siège du pouvoir exécutif.
2 Une kibitka est une sorte de troïka traînée donc par trois chevaux, et souvent moins, à roues ou à patins selon la saison, mais à la différence de la troïka, qui est couverte.
3 Le sable des chemins accumulé par des rafales de vent avait rempli de profondes ornières de boue plus ou moins séchée, les transformant en de presque sables mouvants.
4 Napoléon avait ordonné le repli vers Smolensk des 1.500 blessés de la Grande-Armée. Il en confia la garde au maréchal Louis-Alexandre Berthier (1753/1815) escorté de 300 hommes le 17 octobre.
5La Grande-Armée se composait encore d’environ 100.000 hommes de diverses nationalités outre les Français : Prussiens, Bavarois, Italiens, Allemands et petits États rhénans, polonais, portugais, espagnols, suisses, croates, belges, néerlandais, autrichiens, hongrois...
6 La grive rouillée, du fait des taches de « rouille » qu’elle porte sur la poitrine et les flancs, est un oiseau de la famille des passereaux. Typique du sud de la Sibérie en Russie, on le désigne plutôt sous le nom de « grive de Naumann ».
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Le maréchal Édouard Mortier
Le maréchal Louis Alexandre Berthier
La route du retour : Sud d'abord, vers Kalouga, puis finalement nord/ouest puis plein ouest, à savoir hélas, la même qu'à l'aller...
Bataille de Maloïaroslavets
(en rouge juste sous la route du sud marquée de pointillés verts,
qui ensuite reprend au nord-ouest)
Eugène de Beauharnais
Une kibitka
Une grive rouillée
Loups des Carpates
Retour
" Le fleuve pressé "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Février 2024 - 40/30 -
Sanguine, crayon sépia, pierre noire et craie Conté
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Musique de film jouée au piano " He's a pirate " extrait de " Pirates des Caraïbes "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
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avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Retour
Et l’ordre fut donné, soulevant la clameur
Des soldats impatients, des chevaux, des corneilles,
Des civils empêtrés par de vagues rumeurs
Dans le fracas des roues des calèches trop vieilles...
Natacha serre Rose en queue de ce convoi.
Liouba les a rejointes menant sa voiture,
Et les femmes s’escriment donnant de la voix
Pour conserver leur file en ce flot qui sature.
Surgit un cavalier bousculant les chariots !
C’est Joseph, flamboyant, qui brûle d’impatience.
« Ses princesses » sourient des efforts impériaux
Qu’il déploie pour frayer leur chemin d’insouciance.
La foule qui s’amasse enjambe ce chaos.
Elle fuit la cité, mais obstrue sa sortie,
S’épuise bien trop tôt à subir les cahots
Qui brisent les essieux que plus rien n’amortit.
Au cœur de ce fatras, Natacha se blottit
Contre son chien Livreur1 qui grogne si quiconque
Tente de se hisser pour être mieux loti
Qu’en l’un de ces fourgons ou troïkas2 quelconques.
Joseph joue de son fouet pour ouvrir le chemin
À la troupe des femmes et des vivandières,
Des enfants d’officiers munis de parchemins,
Des cantinières rudes et des lavandières.
Un cheval affolé disloquant son harnais
Se lance sur le pont, effrayant à la ronde
La cohorte des gueux « français réincarnés »3
Qui suivent cette armée, quittant leur sol, en fronde.
La querelle à l’affût, Chasseurs et Voltigeurs4
S’amusent à moquer ces piètres équipages
Embourbés sous le poids d’un butin voyageur.
Sous des jurons furieux, la fièvre se propage !
Et la colonne bave en écume des mors
Quand les chevaux renâclent si bien qu’ils se cabrent
En bruit assourdissant comme le chant des morts
Prolongeant la vision des carrioles macabres.
Pierre Barjonet
Janvier 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 1 « Retour » (Janvier 2024)
Lorsque Napoléon prit conscience de l’incroyable tohu-bohu provoqué par ce raz de marée humain et hétéroclite du convoi qui prit la route du retour en ce 19 octobre 1812, il dit : « Chacune de ces voitures sauvera deux blessés et nourrira plusieurs hommes en attendant qu’on s’en débarrasse insensiblement » (cf. Mémoires du général Baron de Marbot). Il laissa faire cette sorte de « peuplade nomade » car il avait bien conscience que ces chariots, charrettes et bagages qui ne dureraient qu’un faible temps alimenteraient malgré tout, les premières semaines de la retraite. (Cf. les mémoires historiques et militaires sur la Campagne de Russie par le Comte Roman Soltyk).
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le chien Livreur fut offert par Napoléon au Tambour Nicolas. C’est un « chien loup de Tchécoslovaquie », c’est-à-dire le croisement d’un berger allemand et d’une louve des Carpates. Sa robe est grise argentée avec pour Livreur des reflets roux. Voir mon poème « Livreur ».
2 La troïka est un attelage spécifiquement russe composé de trois chevaux tirant de front un chariot à roues ou une grande luge à patins de glace selon les saisons.
3 En sus des hommes de la Grande-Armée, soldats, sous-officiers et officiers, se trouvaient comme toujours avec la troupe, différents services d’administration et d’intendance composés de militaires et de civils, hommes, femmes et souvent aussi des enfants. L’on y trouvait notamment les fourriers (linge et uniformes), les armuriers, le service des postes, les secrétaires, comptables, intendants, cartographes et dessinateurs rattachés aux fourgons du petit et du grand État-major (assurant par exemple la solde et les billets de logement), les cantines roulantes avec les cantinières et les vivandières chargées de « l’ordinaire », mais aussi les bouchers, les fourgons de vivres et de provisions comme ceux liés au palais avec le nécessaire au dressage des camps et tables d’apparat, les lingères, buandières et blanchisseuses, les équipages du train (transport, voitures), les estafettes de reconnaissance et des dépêches, ceux du fourrage aux chevaux, le service de santé avec ses ambulances (hôpitaux de campagne), le génie avec ses sapeurs et ses pontonniers emportant leurs matériels et matériaux, le train d’artillerie avec l’arsenal mobile, les gendarmes, les fourgons impériaux du trésor, le train des équipements de camps et bivouacs, les fourgons de fanfare, les maréchaux-ferrants, la santé vétérinaire, les voitures d’aumôniers, les maîtres d’armes, les écuyers, les palefreniers, sans oublier... les chariots de grisettes (prostituées). On le voit, c’était là une véritable ville en déplacement.
Mais ce n’est pas tout, une horde de civils fuyant Moscou s’était infiltrée dans les convois avec également leurs voitures, fourgons et chariots. C’étaient de pauvres bougres attirés par le prestige de la France, mais aussi nombre de femmes aristocrates ou non qui s’étaient entichées de leur bel officier ou vaniteux guerrier...
Il y avait aussi beaucoup de juifs (Nombreux en Pologne et en Russie ; c’est ainsi que les témoins de l’époque les nommaient NDLR) qui s’organisaient pour commercer avec la troupe. Enfin, comme toujours en marge des armées en campagne, des pillards et des vauriens, souvent des déserteurs déguisés, s’infiltraient en quête de maraudes et larcins, notamment sur les champs de bataille (rappelez-vous les Thénardier à Waterloo, de Victor Hugo) ...
4 Les chasseurs, et les hussards sont des cavaliers relevant de la cavalerie légère ayant mission de reconnaissance et des dépêches. Les voltigeurs étaient plutôt des fantassins portés en croupe derrière des cavaliers afin de se rendre rapidement en 1re ligne, donc très acrobates d’où leur nom.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Sous la pluie froide transformant les chemins en boue, l'incroyable colonne ininterrompue de milliers de chariots, petites voitures, fourgons, chevaux et mulets guidés par des sortes de cochets inexpérimentés vient s'agglutiner sur la même route et se fracasser dans un désordre hétéroclite de butins, de rapines, de vêtements, de nourriture, de civils, de soldats, de femmes et d'hommes français, russes et de plusieurs nationalités...
Un chien loup de Tchécoslovaquie
Troïkas
Hussards
Chef d'escadron au 1er Régiment de Hussards (le mien... NDLR)
Chasseurs
Chasseurs de la Garde Impériale défilant aux Tuileries devant l'Empereur
(Arc de triomphe du Carrousel)
Photographies remarquables d'authentiques vétérans de la Grande-Armée
prises le 5 mai 1858 pour l'anniversaire de la mort de Napoléon 1er. Ils ont combattu auprès de leur Empereur à la bataille de Waterloo en 1815.
Ils sont dans la vieillesse, portent la médaille de Sainte-Hélène créée pour les anciens de la Grande-Armée par Napoléon III et, naturellement,
portent leur uniforme retaillé pour l'occasion.
Ces photos ont été remises
par l'Université Brown de Providence à Rhode Island (Etats-Unis).
Chasseur à cheval de la Garde Impériale (Maréchal des logis)
Chasseur
1er régiment de Hussards
7ème régiment de Hussards