Voronej

" Les détenus "

Illustration originale de Pierre Barjonet - Décembre 2024 - 40/30 -

Craie Conte et Pastel gras

N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir

(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)

" J was walking in the forest " (J'ai marché dans la forêt)

Musique folklorique russe (balalaïka et orchestre)

à écouter en lisant le poème

Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :

N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire

avec un "résumé" de l'épisode en cours :

SOMMAIRE

ainsi que la rubrique chronologique :

CHRONOLOGIE

Voronej

La marche de l’horreur donne aux hommes le don

De puiser des trésors verrouillés de souffrance

Tout au long du chemin conduisant jusqu’au Don ¹,

Et brillant de l’éclat de leur folle espérance.

Janvier, puis février que ravive l’hiver,

Ont tanné leur dégoût de la nature humaine,

En brisant la pitié pour le faible univers

Des malheureux perdus, que plus rien ne ramène.

« Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort,

Nous nous vîmes trois mille... ». On est loin de Corneille ²,

S’en amuse Joseph, cherchant le réconfort

De quelques vers fameux que son esprit réveille.

Car c’est plutôt l’inverse au compte des soldats

Dont la colonne a pris des allures de fuite,

Perdant, abandonnant les faibles candidats

À l’exode brutal de leur gloire détruite.

Les verstes ³ additionnent des relents de sueur

Aux marbrures de sang teintant barbes et tresses ⁴,

Des bleus qui défigurent dans leurs yeux la lueur

De se livrer enfin aux bras de leurs maîtresses...

Joseph songe à Liouba, frôlant le souvenir

Si confus désormais, de sa silhouette frêle,

De son regard chagrin par manque d’avenir

Dont il aurait voulu garder une aquarelle ⁵.

Hélas, se maudissant, il revoit son carnet

Perdu lors de l’assaut mené par les cosaques ⁶,

Le vol du portefeuille ⁶ doublé d’un harnais,

La mort de son cheval sous sa selle qui craque.

Alors en approchant de la ville aux toits verts,

Aux églises dorées ⁷ près du fleuve rapide ⁸,

Il jure qu’il saura garder les yeux ouverts

Pour esquisser Liouba d’or et courbes limpides.

La populace est là, bruissant dans Voronej ⁹,

Se gaussant des haillons des vétérans pouilleux

Qui pourtant se redressent en défiant la neige,

Défilant dans l’honneur en ordre prestigieux ¹⁰.

Pierre Barjonet

Octobre 2024

Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET

a/c janvier 2023

Saison 4 « Féroce », Poème 10 « Voronej » (Octobre 2024)

Nous sommes en janvier et février 1813. Napoléon est à Paris depuis le 19 décembre. Déjà, fort de la situation stable et bien plus apaisée qu’il ne se l’imaginait dans la capitale, il se prend à recomposer son armée en vue de nouvelles offensives. N’écrit-il pas à Murat : « Je suis arrivé à Paris. J’ai été extrêmement content de l’esprit de la Nation. On est disposé à faire toute espèce de sacrifices, et je m’occupe sans relâche à réorganiser tous mes moyens. J’ai déjà une armée de 40.000 hommes à Berlin et sur l’Oder » ...

Mais en Russie, les prisonniers des cosaques ont été le plus souvent abandonnés au froid, à la faim et aux loups... Lorsqu’ils n’ont pas été laissés purement et simplement mourants au bord des routes de leur captivité, le plus souvent vers l’Oural et la terrible Sibérie, ils furent conduits comme ici, vers des contrées russes plus clémentes, au sud-est, vers le Caucase. Ce fut notamment le cas des officiers. L’excellent ouvrage de Just-Jean-Etienne ROY (1794/1871) « Les français en Russie » en dresse un témoignage saisissant.

NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE

¹Le fleuve Don est l’un des grands fleuves russes prenant sa source près de Toula, proche du sud de Moscou, et se jetant dans la mer d’Azov à Rostov-sur-le-Don.

²Je cite en partie l’un des vers fameux du Cid, écrit par Pierre Corneille, dans la tirade de Don Rodrigue à Don Fernand (Acte IV, scène III) :

« Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort,

Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,

Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,

Les plus épouvantés reprenaient du courage ! »

Voir la tirade ici :

https://libretheatre.fr/tirade-de-don-rodrigue-roi-cid-de-corneille-acte-iv-scene-3/

³Une « verste » est une ancienne unité de distance russe indiquant une longueur de 1.067 m, soit à peine un peu plus qu’un kilomètre. Notons qu’à l’époque, on évoquait en France des lieues » donnant 4 km.

Petit lexique des distances au XIXe siècle :

Une lieue (4 km)
Une toise (2 m)
Un pied (30,44 cm)
Un pouce (2,54 cm)
Une verste (1,067 km) en Russie
Une coudée (soit 1,5 pied =50 cm)
1 toise= 1,949 m
B. Six pieds et quatre pouces :(grenadier de grande taille)

⁴Les soldats de la Garde impériale (qui succéda à la Garde Consulaire), essentiellement les Grenadiers à pied que l’on appelait les « grognards » portaient des cheveux longs noués en deux tresses tombant sur la nuque, poudrées de blanc grisé (contribuant à l’appellation de « vieille garde »), une moustache taillée en « crosse de pistolet » ainsi qu’une boucle d’oreille faite d’un anneau d’or de la taille d’un écu. Le recrutement de ces soldats d’élite était impitoyable : taille réglementaire d’1m76, dix ans de service a minima avec campagnes) et faits d’armes (blessures recommandées), excellente moralité et savoir lire et écrire !

⁵N’oublions pas que Joseph, dans ma romance imaginaire, mais inspirée de faits réels, est un « officier peintre aux armées », donc aquarelliste, dessinateur et peintre en l’occurrence.

⁶Se reporter à mon poème 8 « L’estafette » de la saison 3 « Glacial » qui voit Joseph chargé d’un pli de l’empereur Napoléon, se faire attaquer puis prendre par des cosaques. Il sera donc défait de son portefeuille impérial contenant les billets d’instructions que Napoléon entendait remettre à ses généraux des corps éloignés.

⁷La plupart des villes russes s’enorgueillissaient d’avoir de nombreuses églises de pierre et surtout en bois, avec des toits peints et en forme de bulbes dorés représentant les flammes de bougies s’élevant vers les cieux en signe de piété. La ville compte 42 églises, dont 2 cathédrales, et rassemble 90,6 % d’orthodoxes.

⁸La rivière Voronej, qui traverse la ville du même nom, se jette dans le fleuve le Don. Elle est navigable dans sa partie inférieure. Un barrage actuel, avec une retenue d’eau, y est jeté à hauteur de la ville.

⁹La ville de Voronej est une importante cité de la Russie (1.058.251 habitants en 2020 contre 22.100 en 1811). Elle jouit d’un climat continental comparable à celui de Moscou, donc avec un écart de températures pouvant aller de -36° l’hiver à 40° l’été ! Le tsar Pierre-le-Grand installa à Tavrovo (partie basse de la ville) un important chantier de construction navale lui fournissant une flotte indispensable à ses « campagnes d’Azov » contre les Turcs, dans la mer d’Azov et la mer Noire.

En 1845, sous Nicolas 1^er, on créa le Corps des Cadets (élèves officiers du Tsar), et donc un important complexe militaire à Voronej. N. B. Dans ma saga, je déplace artificiellement ce casernement plus tôt, donc sous le règne d’Alexandre 1^er en 1813, avec mon héros Joseph.

¹⁰Les vétérans de la Grande-Armée, les grenadiers à pied de la « vieille garde », les grognards de la Garde-Impériale et leurs officiers, mettaient toujours un point d’honneur à se changer juste avant de rentrer dans une ville ou de la traverser, en revêtant leur tenue d’apparat pour défiler en bon ordre, drapeaux, tambours et musique en tête, comme aux Tuileries ». Ils quittaient donc et rangeaient dans leurs fourgons leur uniforme de campagne chargé de boue et de poussière.

Ici, nos malheureux prisonniers font contre mauvaise fortune bon cœur dans leurs misérables hardes souillées et déchiquetées par leur longue et cruelle marche. Ils défilent au pas et redressent la tête en traversant Voronej dans un silence élevant leur souffrance en gloire...

QUELQUES ILLUSTRATIONS

N.B. Photos tirées en grande partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.

Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français

Pierre Corneille et Le Cid

Gérard Philipe dans Le Cid

Carte d'Europe situant Voronej et le cours du Don

Cartes pour situer le parcours effectué par Joseph et les prisonniers français depuis la Bérézina et la région de Barysaw jusqu'à Voronej ;

soit 900 à 1.000 km pour une douzaine d'heures en voiture sur des routes modernes, et plus de 200 heures à pied, soit 25 jours à raison de 4,5 km/h pendant 8 heures/jour, sur des sentiers récents, balisés et empruntés l'été.

Comptons donc 2 mois l'hiver, de marche forcée

pour des troupes habituées malgré tout à marcher 50 km/jour,

mais ici, dans la neige et la souffrance, sous les coups des cosaques...