Pontonniers
" Sacrifiés "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Juillet 2024 - 40/30 - Sanguine, mine de plomb et pastel gras.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Ludvig Van Beethoven ; sonate pour piano n° 23 " Apassionata " (3ème mouvement )
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Pontonniers
Glissés dans l’eau glacée, plongeant leurs chevalets1,
Les hommes du génie repoussent le barrage
De l’absence de pont2, de rives sans galets,
Bloquant les corps d’armée dans ces vilains parages.
Nus comme au premier jour3, ils chevauchent la mort,
Affrontent le courant qui ne charrie que glace,
Et distillent en sueur l’ombre de leurs remords,
Suintant, mêlant leur sang aux pieux de cette place.
Nicolas s’est jeté dans l’onde du salut,
Laissant là, son tambour pour battre la rivière,
Contrant le roulement des flots près des talus,
Immergeant son reflet au lit d’une civière.
Le village a brûlé pour habiller les ponts4
De poutres et chevrons libérés de leur gangue.
L’assaut des pontonniers5 s’enflamme et puis répond
À leur fier général6 qui lutte et les harangue.
Et l’effort se décompte dans le sablier
Des ouvrages bordés de piles7 de cadavres,
Éclaboussant d’écume les deux tabliers8
Offrant aux survivants la promesse d’un havre...
Nicolas n’est que bleus rougis sans transition,
Barbouillant les humeurs de son corps en détresse ;
Et sa pâleur enfin prend la transposition
Du drapeau tricolore en toge de maîtresse.
Telle une immense pieuvre la troupe franchit
Les gigantesques bras de la glace liquide,
Et la tornade humaine coule et s’affranchit
Des marécages blancs9 et des sombres rapides.
Mais la panique rouée10 renverse les piliers,
Précipitant canons, chevaux et la piétaille
Dans le miroir brisé de soldats par milliers
Qui versent sans douleur dans l’ultime bataille.
Secourant Nicolas, Livreur le relâcha
Sur la rive enneigée près d’un bon feu de tourbe
Dans les bras de Liouba servie par Natacha
Qui frictionnent sa peur pour qu’elle ne l’embourbe.
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 4 « Féroce », Poème 1 « Pontonniers » (Avril 2024)
La situation pour Napoléon arrêté par la rivière Bérézina en ce 25 novembre 1812 est quasiment désespérée. Rappelons que sa Grande-Armée forte de 600 à 800.000 hommes (selon les sources) au début de sa campagne de Russie en juin, n’en comptait plus que 100.000 au départ de Moscou, et désormais moins de 80.000 dont à peine 40.000 en état de combattre, sans oublier la perte de la quasi-totalité de sa cavalerie et par voie de conséquence de l’artillerie (ne pouvant être tractée, donc abandonnée aux Russes).
Ainsi, ce n’est pas une misérable rivière qui l’arrêtera ; il lui faut impérativement passer ! Mais les Russes ont détruit les passages et l’attendent de pied ferme pour l’anéantir face aux vestiges du pont de Borissov. Seulement, Napoléon a de la ressource. Certains diront même de lui, devant sa baraka « Cet homme est le diable en personne ! ». Après avoir contemplé les restes du pont de Borissov, il réussit une manœuvre de diversion en faisant croire aux Russes qui l’encerclent qu’il va reconstruire le pont de Borissov, alors qu’il ordonne aux pontonniers du général Éblé d’en construire deux (un pour l’infanterie et un autre plus costaud pour les troupes à cheval et l’artillerie) 15 km plus haut, près de Studianka durant trois jours et nuits. Le sacrifice inouï des pontonniers qui bâtirent ces deux ouvrages et la ruse de Napoléon permirent à l’Empereur de franchir la Bérézina avec son armée dès le 26 novembre alors que l’armée russe n’attaqua que le 28.
Napoléon avait fait protéger les travaux par un dispositif de 40 canons. Un peu plus loin, il distingue les 6.000 hommes russes de la division Tchuplitz qui menaçait ses ponts. Mais curieusement, les Russes n’attaquèrent pas alors que leur artillerie aurait pu anéantir en un instant ses ponts de fortune. Seulement, ils crurent à une nouvelle ruse de l’Empereur et se retirèrent pour renforcer leurs effectifs au sud de Borissov. L’amiral Tchitchagov qui fut pourtant informé de la position de Napoléon à Studianka, ne changea pas ses plans en l’attendant donc à Borissov. Mais quand il se rendit compte de son erreur, c’était trop tard, car il lui fallut attendre la coordination des autres troupes de Koutousov et de Wittgenstein pour donner l’offensive le 28 novembre. Sans entrer dans les détails de la bataille de la Bérézina, disons que le général Fournier-Sarlovèze chargea avec ses 800 cavaliers, que les maréchaux Victor, Oudinot et Ney commandant leurs troupes d’élite, de vétérans et de polonais, réussirent à enfoncer les troupes russes (en préservant leurs ponts et en faisant 1.500 prisonniers) et que le 126e régiment de ligne se sacrifia volontairement pour dégager le passage des ponts aux unités qui n’avaient pas encore traversé. Seuls quelques hommes du 126e RI survécurent.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Les chevalets sont des structures en bois servant de soutien au tablier d’un pont. Ils étaient assemblés ici, sur place puis disposés verticalement sur le fond de vase fangeux de la rivière sachant qu’ils s’enfonçaient relativement et donc tenaient par le poids de la structure tout en étant maintenus horizontalement par le tablier (voir : §7)
2 Les Russes ayant détruit le pont de Borissov, les 7 compagnies regroupant les 400 pontonniers du général Éblé, aidés des pionniers du génie du général Chasseloup et de quelques compagnies de sapeurs se mettent aussitôt à l’œuvre pour construire deux ponts de fortune d’une centaine de mètres sur le seul gué repéré grâce à un paysan, à proximité du village de Studianka. À cet endroit, la Bérézina ne mesure que 20 mètres de large pour une profondeur d’un à deux mètres.
3 Afin de ne pas mouiller leurs vêtements ni leurs chaussures, c’est entièrement nus que les pontonniers se lancèrent dans un travail de forçat, dans une eau d’à peine 2° pour une température inférieure à - 20°. Nombre d’entre eux furent aussitôt victimes de leur courage, noyés et pétrifiés gelés quand ils ne furent pas grièvement blessés par les structures du pont que les flots bousculaient et par les énormes « glaçons » tranchants comme des rasoirs, charriés par la rivière. Des 400 hommes engagés par ce travail de titan, seuls 6 d’entre eux survécurent, dont un capitaine (George Diederich Benthien) et un sergent-major (Schroeder).
4 Il fallait du bois aux pontonniers. Ils se sont donc servis des madriers et des poutres des maisons du petit village de Studianka qu’ils incendièrent. Ils ont aussi abattu tous les arbres alentour. Côté matériel, le général Éblé avait eu la sagesse prémonitoire de maintenir l’équipement de ses hommes (outils de base, 20 grands clous chacun, et clameaux : crochets d’assemblage), de conserver quelques fourgons et voitures chargées d’outillage (6 caissons), de deux forges de campagne et de charbon.
5 Les pontonniers n’ont pas hésité une seule seconde à se jeter à l’eau avec un esprit de sacrifice honorant leur bravoure pour permettre à ce qu’il restait de la Grande-Armée de troupes encore en ordre de marche de passer. Leur exploit au péril de leur vie a non seulement sauvé l’armée, ou ce qu’il en restait, de la déroute complète, mais a aussi permis à l’Empereur et à son état-major d’éviter d’être faits prisonniers des Russes.
6 Le général Baron, puis Comte Jean-Baptiste Éblé (1758/1812) s’est immédiatement jeté à l’eau pour encourager ses hommes qui se sont battus contre la rivière durant trois jours et nuits. Il fut lui-même emporté par la maladie un mois plus tard.
7 Les piles d’un pont soutiennent les arches d’un pont. Ici, elles font l’objet de chevalets de bois, mais d’habitude elles se composent d’ensembles massifs de maçonnerie.
8 Le tablier d’un pont est sa partie horizontale qui soutient donc une route ou comme ici, la voie recouverte alors de chaume et de fumier facilitant le passage des troupes et des chevaux restants. Naturellement, les tabliers des deux ponts étaient maintenus de façon précaire sans parapet et au ras de l’eau. Napoléon se rendit sur le tablier d’un des deux ponts pas encore achevé pour encourager lui-même « ses pontonniers ».
9 La Bérézina offre souvent de très larges bras qui se confondent avec des marécages inondant de façon mouvante sa vallée pour un lit fangeux. Quand il neige, il devient impossible de discerner les méandres de la rivière d’avec les plis de la plaine.
9 La panique qui saisit le dernier jour les retardataires, les traînards et les civils qui, malgré les injonctions des estafettes envoyées par les militaires déjà passés sur l’autre rive, préférèrent ne pas traverser pour rester « au chaud » dans leurs bivouacs, fut tout autant imprévisible que dramatique. En effet, lorsque la foule des 12.000 hommes et femmes se rendit compte que les cosaques arrivaient et qu’on allait détruire les ponts, elle se précipita soudainement sur ces faibles structures qui ne résistèrent pas, faisant là, de très nombreuses victimes noyées, piétinées ou même brûlées avec les ponts, et près de 10.000 prisonniers des Russes. Voir mon poème suivant « L’effroi ».
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La bataille de la Bérézina : position des forces en présence,
N.B. Sur cette carte, on voit très nettement le pont détruit à Borissov et plus au nord, les deux ponts construits par Napoléon à Studianka.
Gravure sur la bataille de Borissov
Les pontonniers à l'oeuvre
La Bérézina aujourd'hui
Fouilles sur le site historique
Le franchissement de la rivière par les deux ponts
Le général Jean-Baptiste Éblé (1757/1812)
Hommage gravé sur l'arc de triomphe de Paris
Le 126ème régiment d'infanterie de ligne qui se sacrifia pour maintenir le passage de la Bérézina
Tombe d'un Brave, devenu lieutenant en 1813 et décoré par Napoléon qui eut le pied gelé durant la retraite de Russie, Christophe Collot
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