SAISON 3 "Maureen"
La noce
Pierre-Auguste RENOIR " Bal du Moulin de la Galette "
Accordéon-Musette " les fiancés d'Auvergne "
La noce
C’est au Moulin que tourne l’anneau des époux.
Ils se sont engagés, Maureen et Pierre-Auguste,
Profitant des vendanges non pas de Capoue,
Mais d’ici sur Montmartre en nectar qu’ils dégustent.
Le peintre se souvient de sa toile d’alors
Croquant de « La Galette » en tourbillons de bal.
Le ciel avait déteint d’azur qui semble éclore
Sur des mésanges bleues en flonflons qui s’emballent.
Aujourd’hui les noceurs ont troqué leur façon,
Laissant le canari des canotiers de paille.
Invitant les rouquines au son du basson,
Ils se sont faits mondains le temps de ces ripailles.
Les tables sont dorées des récoltes d’amour
Des meules de passion des peintres et poètes.
Ils moquent le fléau des bourgeois sans humour,
Sifflant sous la tonnelle et chantant à tue-tête.
Les ailes du bonheur brassent les tourtereaux,
Convives et mariés, sans oublier Laurine
Que vient de décoiffer le vol d’un passereau
Soulignant l’arc-en-ciel frôlant la ballerine.
La giboulée tantôt vient mouiller le miroir
Des baigneuses honnies d’un public imbécile,
Mais d’un fougueux baiser, Maureen tait la mémoire
Du méchant souvenir des critiques séniles.
Les toilettes se gonflent sous l’effet du vent,
De la danse et du vin, des galants en goguette,
Et les cigares s’enflent brunissant l’auvent
De la place à la mode en si jolie guinguette.
N’en déplaise aux commères même les mendiants
Festoient d’aussi bon cœur près des enfants qui courent,
Que du curé surpris des chants des étudiants,
Alors que chacun rit quand ils leur font la cour !
Ah que la fête est belle en peignant l’impression
De valser en automne au printemps des palettes,
De s’enivrer coquins, de corsets sous pression,
De se gaver enfin, de désir sans galettes.
Pierre Barjonet
Février 2019
La blanchisseuse
Henri de Toulouse-Lautrec " La Blanchisseuse "
" Un jour mon prince viendra... "
La blanchisseuse
Poussant comme un trophée sa brouette au lavoir,
Elle chante en passant à portée de Laurine,
Lui prenant ses tenues de finesse d’ivoire,
Car elle est réputée, la rousse Victorine.
Elle a fait son chemin, ne se contentant plus
D’éclabousser son corps en trimant sans méninges.
Et c’est en se traînant un soir qu’il avait plu
Que Jean la fit asseoir en déposant son linge.
Laurine l’accueillit, lui réchauffa le cœur,
Puis en la consolant, lui offrit d’autres tâches.
Séchant la lavandière honteuse quis’écoeure,
La voici qui s’émeut, la berce et se l’attache.
Ne couchant plus les draps, mais caressant l’exploit
De laver des dessous de finesse brodée,
Elle rince son sort en ce nouvel emploi,
Délaissant le chiendent de l’enfance érodée.
— Par le linge au cuvier, je vivais en enfer,
Rincé dans le lavoir, c’était mon purgatoire,
Séché dans la prairie, paradis m’est offert…
— Oui, chante Victorine et jette ton battoir !
Henri lui a souri quand il avait chuté
Sur l’un de ces savons glissant comme à Marseille,
Et qu’en se redressant sa cane avait buté
Troussant la blanchisseuse en froufrous qui sommeillent.
Depuis ils se sont vus en lavant leur vertu
Dix-neuf rue Pierre Fontaine en onde qui s’égoutte
Sans épancher le jeu de leur bonheur vêtu
D’eau fraîche et de fusains, d’alcool en goutte-à-goutte.
Heureuse elle détache en cendres son oubli
De la crasse des buées comme autant de lessives
Et pose sa candeur pour son peintre établi
Au rythme du cancan d’affiches transgressives.
Ses cheveux qu’il essore en autant de dessins
Déteignent sur la toile en coloration rousse.
Étendue, dévêtue, mais pudique à dessein,
Victorine l’enflamme comme un feu de brousse.
Pierre Barjonet
Mars 2019
La Grenouillère
Polka : " Perles de cristal " Accordéon
La Grenouillère
Et la barque s’agite en autant de reflets
Que les peintres en joie tourmentent de leurs rames…
Une branche trop basse en veine de soufflet
Manque de renverser notre dimanche en drame.
Ah, comme ils s’accordent, ces deux Maîtres gredins
Pour mouiller ma toilette à l’eau de leur détrempe,
Et comme ils s’y entendent mes preux citadins
À chalouper le temps, en pause d’une crampe !
L’île de la Chaussée m’inonde de soleil
Si loin de mon Irlande en manque coutumière.
Juin darde ses passions telle une nuée d’abeilles
Me butinant, Maureen, au miel de la lumière.
On accoste discrets sous d’amples frondaisons.
Claude taille des joncs pour sécher ma tunique,
Ma jupe et mon corset, mes dessous de saison…
Auguste a déplié son chevalet unique.
Je frissonne d’aimer les couleurs fredonner
La gamme des pigments débusquant sur la mousse
Ma pudeur chavirée par cette randonnée
Feinte d’imaginer mon empreinte de rousse.
Cela faisait vingt ans qu’ils n’y étaient venus
Mes deux peintres gourmands de la Seine en quenouille,
Filant mes vêtements, me laissant toute nue
Entre scène et bosquet, nacrée qui s’agenouille.
Les toiles enroulées dans de vertueux fourreaux
Ne livreront mes reins à cette « Grenouillère »
Grouillant de vieux fripons, de gredins sans bourreaux,
De filous et mendiants portant leur genouillère.
La cohue bousculée, nous en séchons le bain,
Nous plongeant dans le bal aux filles fort jolies
Naïves ou cambrées, sans larbins ni bambins,
Vrillant du canotier les messieurs trop polis.
Puis à l’heure impalpable entre absinthe et rosé
Sautant dans la polka, délaissant les avances
Je m’enivre de vie, me teintant de rosée,
Et m’en reviens nager dans ce bain de jouvence.
Pierre Barjonet
Mars 2019
Glisse
" Les patineurs " Valse opus 183 de Émile Waldteufel
Glisse
Le gel, de son haleine a vitrifié les bois,
Recueillant de Boulogne ou Vincennes la glisse.
De joyeux patineurs ont remplacé les oies,
Et les plumes des belles coiffent leurs pelisses.
La mode est au patin délaissant les canots.
Filant, tourbillonnant, chacun chausse bottines,
La glace s’y mirant autant sur les canaux,
Les étangs ou les lacs que l’amour n’y patine.
Mais en ce siècle ouvert à l’aune du progrès,
Les cristaux naturels n’étant que provisoires,
S’ouvrent de fiers palais parquetés sans regret
Laissant y dérouler une empreinte illusoire.
Ils ont si fière allure en patins de métal
Ces messieurs accrochés au bras des élégantes
Dépassant aériens, d’un vigoureux mental,
Les débutants arqués aux traces zigzagantes.
Préférant aux roulettes, leurs lames d’acier
José, Maureen et Jean s’amusent de Laurine
Pâle comme un flocon du pays des glaciers
Les regardant vriller comme des figurines.
Le Palais de la Glace en coiffe de melon
Tourne près du Rond-Point des Champs pris de gelées
Offrant aux patineurs sans l’ombre d’un grêlon
Une piste courbée, sublime et nivelée
Oh, ce sont les violons dont l’archet vient glisser
Qui donnent le signal de l’allure en cadence !
Et les robes au vent font valser leur plissé
Virevoltant d’emblée dans la vague qui danse.
Tout à coup l’on s’écarte, encourageant Axel.
L’illustre patineur engage une pirouette
Puis se lance et déroule en maître que n’excelle
Le saut qu’il inventa, glorifiant sa silhouette.
La piste reprenant ses droits sous les vivats,
Le chocolat bouillant enlève nos joliesses
Et redonne à Laurine un rire de diva
Partageant les refrains du grand orchestre en liesse.
Pierre Barjonet
Mars 2019
Vapeurs
"L'Arlésienne" Georges Bizet
Vapeurs
Le froid s’est installé vitrifiant le chantier.
Des cristaux de verglas sur des marbres fendus
Témoignent de l’assaut de l’hiver tout entier
Et des sillons de glace luisent pourfendus.
Des ombres clouent les fers des chevaux affolés,
Portent des canadiennes et des chaufferettes,
Se coiffent de bonnets de loutres immolées,
Chaussent bottes fourrées d’allure peu discrète.
Mais ils ont décidé, Pierre-Auguste et Maureen
De visiter Monet, fière locomotive
Entraînant l’impression que rien ne les chagrine,
Ni la toile du gel, ni congères fautives.
« Saint-Lazare » enfumée de tourbillons neigeux
Couvre leur équipée du manteau des Carpates
Ou de Michel Strogoff… De quoi se prendre au jeu !
La voie de Bougival n’est guère un quai d’épate.
Laurine a préféré la tiédeur du logis,
La chaleur du fournil aux morsures du givre.
Enveloppée d’amour, faisant l’apologie
De José qui pétrit dans la maie ses vingt livres.
Hier ils se sont surpris dans un tendre baiser
Recouvert de farine en bonheur impalpable…
Ils se sont embrassés dans un souffle apaisé
Prolongeant leur étreinte en un songe coupable.
Dispersant le ballast, soufflant contre le vent,
Le monstre de vapeur s’enlise en fin de gare.
Monet qui les attend les précède devant
Ce train qu’il a repeint quand frisait son regard.
Sur les coteaux d’en haut par les champs et vergers,
Les voici qui s’ébrouent des flocons en tornades
Et souriant à Maureen qui s’en vient d’émerger,
La défient de poser nue sur la promenade !
Mais c’est plus sagement qu’à l’atelier, rendus,
Plongeant dans la vapeur du logis aux chimères,
Que nos amis raniment un « carton » pendu
Se boursouflant ravi de ses couleurs primaires.
Pierre Barjonet
Février 2019
Festin
Brahms : Hungarian dance in G minor
Festin
C’est au « Café Anglais » dans un luxueux salon
Que Paul a retenu douze couverts de rêve.
Troquant deux, trois tableaux contre l’or des poêlons
Il convie les amis d’Auguste qui s’élève.
Il n’a pas lésiné, le marchand si brillant,
Émerveillant José, Maureen et son Auguste,
Deux parents Londoniens, sa femme et ses brillants,
Laurine et Maître Jean, trois peintres qui s’incrustent.
Leur mise incomparable en la soirée de veille
Polit l’argenterie, le cristal de Bohème,
Le Limoges doré, les louches de vermeil,
Dignes du Nouvel An, des êtres que l’on aime.
La soupe de tortue pour baigner le palais
Vient s’échouer lentement aux coraux des agapes.
Les blinis Demidoff des tsars en leurs palais
Sabrent le noir caviar par la vodka qui frappe.
Et la truffe s’invite au fondant du foie gras
Ceinturant l’horizon de caille en sarcophage
Ayant bu son cognac. Ô volatile ingrat !
S’en viennent les endives noyées d’élevage.
Les semailles annoncent les pays de lait :
Maroilles et Munster supplient le Saint-Nectaire
D’épargner les gourmets en ce « Café Anglais ».
La Lorraine de Jeanne en Tomme est fort sectaire !
Livrant les fruits confits de la chasse au trésor,
La corsaire « Babette » encense les Antilles,
Et son Baba au rhum enfume les Windsor
Embrochés d’ananas pointant des écoutilles.
Au rythme des tortues, c’est l’Amontillado
Qui donne aux broches d’ambre un pic aromatique.
Et la Veuve Clicquot (1860) déborde de cadeaux
Pour l’impérial caviar, en bulles chromatiques.
Le cru de Clos Vougeot (1845) sublime les momies
Réchauffant le dépôt que libèrent les cailles.
Cigares et liqueurs qu’escortent des commis
Soudent le Nouvel An (1890) de vœux que rien n’écaille.
Pierre Barjonet
Février 2019
Brouillards
"Sur les vagues" Orgue de barbarie
Brouillards
Les brouillards de l’automne ont desséché les pleurs
Que la poudre de pierre a broyés de poussière.
L’orgue de barbarie fleurit peine et douleurs
Des passants prisonniers de l’affreuse glacière.
Le silence d’hiver laisse place au refrain
Que les marchands de rues colportent dans l’errance.
Manuel s’est rétabli, mais perdant son entrain
Repart avec Pablo brossant l’intolérance.
La douceur infinie d’Auguste pour Maureen
L’a conduite au « Château des brouillards » qu’elle caresse.
Cette ancienne « folie » fut un temps orpheline
Et son approche ouverte en fit mauvaise presse.
Le parc s’est emmuré tandis que les corbeaux
Fondent sur des pigeons piégés sous des ramilles.
La « Fontaine du But » aux vapeurs de flambeaux
Brûle du souvenir des anciennes familles.
Les cuisines résonnent d’un individu
Qui s’annonce parfois s’enivrant de sa gouaille.
Oui, « Bibi la purée » cet ivrogne assidu,
Compagnon de Verlaine, hypnotise ses ouailles !
Le château s’est épris de l’ardente Maureen
Dont les poses lascives frisent la paresse.
Calant, l’une son corps, l’autre les fleurs du Spleen,
L’atelier s’enhardit de l’éclat d’Antarès.
La cheminée s’enflamme à l’assaut des frimas
Réchauffant les tapis et blanches cantonnières.
Le bureau laisse fondre la craie qui grima
Le vilain buste antique d’une garçonnière.
Depuis qu’elle a quitté l’envers du paravent
Maureen étanche l’œil de la courbe palette.
Le carmin d’acajou vibre en son corps bravant
L’assaut de ces pinceaux dont le manège halète.
Auguste a ressenti que le temps des brouillards
Blanchis sous les gelées, garderait son modèle.
Il se fait l’impression d’être un jeune pillard
Des parfums colorés de sa muse fidèle.
Pierre Barjonet
Février 2019
La bombe
Musique du film "Le Parrain"
La bombe
Une déflagration d’un noir assourdissant
Porte soudain l’écho de la mort des palombes
Avant de se briser en débris bondissants
Puis en silence odieux recouvrant la colombe.
Alors, comme un essaim d’abeilles renversé
Les hommes suffoqués s’affolent sous la poudre.
Leur peau gratte le sol de douleur traversée
Se mêlant au porphyre en la pourpre de foudre.
Déversant la nouvelle en vagues de chagrin,
L’ouvrier du faubourg lève le poing aux nues.
Il tempête son deuil dans l’orage sans grain
Et clame son effroi plus bas que l’avenue.
Mais il se dit déjà que cette bombe-là
Fume de Ravachol, le sinistre anarchiste.
Brisant le blanc chantier d’un brûlot qui roula
La machine infernale a déteint sur le schiste.
Comme sur les falaises guettant leurs marins
Ou par-dessus les puits des mines diaboliques,
Les femmes déjà veuves sondent le terrain.
L’innocence succombe au crime symbolique !
Dans un coin, recueillis par de vaillants maçons
Des blessés assoiffés sortent de la bourrasque
Tandis que le tocsin rappelle sans façon
Sapeurs ou sauveteurs et soldats portant casque.
Pablo n’y était pas ni Laurine non plus ;
Avec Maureen et Jean, se sont rués sur la Butte.
Ils ont trouvé Manuel meurtri sur un talus.
Faible il leur a souri se crispant dans sa lutte.
On le porte conscient au nouvel hôpital.
Il délire bientôt avant Lariboisière.
Maureen court le rejoindre, le veille et puis l’installe.
José vient de surgir crachant de la poussière.
Ses compagnons sont morts, figés d’éternité,
Dormant du grand voyage ouvert au crépuscule.
Éperdu dans un cri manquant d’humanité,
Il enserre Laurine en la lueur qui bascule.
Pierre Barjonet
Février 2019
Le peintre
Auguste RENOIR - "Jeune femme au crochet "
musique du film "Pirates des Caraïbes"
Le peintre
— Rejoins-moi au Chantier, dit Maureen à « sa sœur » !
— Va, je t’y trouverai. Que vole l’alouette…
Son air enamouré, ses taches de rousseur,
Virevoltent gaiement en vive pirouette.
Laurine a découvert que sa poudre de riz
Bleutée comme il se doit de blancheur théâtrale
Et ses fards ombragés sous les cieux de Paris
N’avaient d’autre raison qu’une passion florale.
Quand elle se rendit tremblante d’émotion
À ce chantier penché sur les cœurs de la Butte,
Maureen se parfuma d’essence et de lotions,
Glissant d’un pas léger que le vent ne rebute.
En cette fin d’automne encombrée de chaleur
Le Chantier s’est figé dans un four de poussière
Enfarinant la sueur, embaumant la pâleur
Des carriers engoncés dans la gangue meunière.
Mais « lui », s’est redressé contre son chevalet,
Transcendant la lumière endolorie de touches.
Le voici, conduisant en maître de ballet,
L’étoile des pigments qu’à l’envi ne retouche.
Dans l’harmonie des coins et pics donnant l’assaut,
Des massettes cintrées pleurant contre le marbre,
Le peintre entend mener les bois de ses pinceaux
Capturant la vigueur des pierres sans les arbres.
Il fascine Maureen, l’étrange magicien.
Mais lui ne la voit pas. Son regard qui se plisse
N’entend que la portée cuivrée des musiciens,
Ne suit que le tracé des minéraux qui crissent.
N’osant le dérouter de son lumineux cap
Maureen suit les remous des naïades éprises.
Elle s’ancre au fanal de son fol handicap
L’approchant hors du temps, craignant vive méprise.
Pourtant levant la tête il l’aperçoit soudain,
La crayonne d’emblée, la croque et la transperce.
Relevant son chapeau, son œil se fait mondain,
Auguste est submergé par l’onde des yeux pers.
Pierre Barjonet
Février 2019