SAISON 2 " Brasier "
Marquises
" Le bal des marquises "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Février 2024 - 40/30 -
Sanguine, crayonné coloré de mines Conte, de craies grasses,
de pastels à l'huile, et de cire dorée, encre de chine.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
J'ai prévu ces deux chansons avec paroles donc,
à écouter avant ou après avoir lu le poème pour ne pas en gêner la lecture :
" Auprès de ma blonde " par Aristide BRUANT
Marche militaire traditionnelle dans les armées, datant du XVIIIè siècle.
Cliquer pour voir ce lien vers l'histoire et les paroles de la chanson
" Fanchon " Célèbre chanson du répertoire militaire
écrite en 1857 par l'abbé Gabriel-Charles de Lattaignant
et aux paroles modifiées par le général de cavalerie Antoine Charles-Louis de LASALLE (1775/1809)
le soir de la bataille de Marengo le 14 juin 1800
Cliquer pour voir ce lien vers l'histoire et les paroles de la chanson
Chansons à écouter avant ou après avoir lu le poème
pour ne pas en gêner la lecture.
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Marquises
Rose frissonne d’aise en frôlant le tissu
De ces robes de bal aux soieries et dentelles,
Couvertes de bijoux, de perles sans issue
Pour la noblesse russe exclue des bagatelles.
Elle a mission d’aider à parer les soldats
De ces atours précieux pour un bal sans princesses,
Une fête d’entrain que l’Empereur accorda
Pour égayer sa troupe en cette forteresse1.
Liouba l’aide à trier le larcin des gaillards
Revenant de maraude en des palais trop vides,
En confiant aux « danseurs » ces trésors de Boyards2,
Ces toilettes cousues de convoitise avide.
Ainsi fait, déguisés, grimés et décorés,
Les Grognards moustachus talqués de suif et poudre
En tenue de marquise au sexe édulcoré3,
S’apprêtent à danser dans la paix qu’on saupoudre.
Nicolas se réjouit de sortir son tambour
En parade musquée d’une blanche perruque,
D’un dolman en velours serti de brandebourgs,
Et souliers de chevreau saisis à un grand-duc.
Alors en ce Kremlin tiré de l’abandon
On redonne en splendeur l’éclat des Tuileries4,
Au pas de Rigaudon5, chauffant comme un brandon
Le parquet d’apparat de l’ample galerie.
Joseph a préféré ne pas se costumer,
Puis se jetant à l’eau quand s’annonce un quadrille6,
Traverse l’assemblée pour s’en accoutumer
Et se noie dans les yeux d’un sourire qui brille.
Il invite Liouba qui lui offre son gant,
Lâchant son éventail à Rose qui murmure,
Et donne à cette Dame un avis élégant
Sur son teint retrouvé loin du sort qui la mure.
Mais l’harmonie truquée du ballet des soldats
Vêtus comme des belles au jeu des marquises
Fait trébucher Liouba, près de la véranda,
Dans les bras de Joseph en une pose exquise.
Pierre Barjonet
Décembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 10 « Marquises » (Décembre 2023)
Cette occupation qui ne porte pas son nom se traîne en longueur, et les premiers frimas n’ont pas manqué d’inquiéter les troupes dont l’agitation se précipite au fur et à mesure que les jours passent. À l’image de leur Empereur qui s’agace d’un rien, ses grognards s’ennuient et s’encroûtent. Ils ont bien besoin de distractions. Et c’est ce qui arrivera, à la suite de leurs maraudes ayant largement complété leur butin hétéroclite. On y trouve notamment des châles, des étoffes précieuses de soie tissées d’or et d’argent, des fourrures de Sibérie, et des costumes français portés à la cour de Louis XVI dont des robes luxueuses de marquises.
Ainsi fut décidée l’organisation d’un grand bal déguisé, un véritable bal de carnaval où les vieux grognards comme leurs cadets se travestirent en marquises, épongeant la sueur qui coulait de leurs perruques par de grandes rasades de liqueurs coûteuses et d’eau-de-vie. Ce bal homérique dura toute la nuit du 27 septembre 1812 et comme le décrivit si bien le Sergent Bourgogne dans ses mémoires, il fut l’occasion « de voir des marquises françaises sauter comme des enragées, comme des tartares, allant à droite et à gauche, écartant les jambes, les bras, tombant sur le cul, se relevant pour y tomber encore. On aurait dit qu’elles avaient le diable dans le corps. » Il est vrai qu’en guise de musique, la flûte et le tambour battant la charge avait de quoi déjouer le sommeil de ces braves !
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le Kremlin des Tsars.
2 Les Boyards étaient des nobles russes de haut rang.
3 Ce bal travesti où des soldats de la Grande-Armée se sont grimés en marquises à la mode de cour française en vigueur sous la monarchie de Louis XVI a bel et bien existé, à Moscou. cf. « Les mémoires du Sergent Bourgogne ».
4 Le palais des Tuileries à Paris était celui où logeait Napoléon. Il fut détruit pendant la Commune de Paris le 23 mai 1871. N.B. Il fermait la cour du Louvre à l’emplacement de l’actuel Arc de triomphe du Carrousel.
5 Le Pas de Rigaudon est un pas de danse traditionnelle du Sud-Est, mais également pour « le Rigaudon d’honneur » un air militaire traditionnel de l’époque napoléonienne des tambours d’ordonnance annonçant un événement officiel devant la troupe.
Voir cette vidéo ici : https://youtu.be/VRS1f2QVfm4
6 Le quadrille est une danse de salon du XIXe qui s’exécute à quatre couples selon plusieurs séries de mouvements parfaitement ordonnés, alors en vogue dans les cours d’Europe.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Un bal aux Tuileries sous Napoléon III
aux Tuileries... sous la Commune
Le palais des tuileries
L'abbé Gabriel-Charles de Lattaignant
Le général de cavalerie Antoine Charles-Louis de LASALLE (1775/1809)
Général de division après avoir été colonel du 10ème Hussards,
que l'on voit ici, charger à la bataille de Wagram le 6 juillet 1809
où il trouva la mort d'une balle en plein front.
Très affecté par sa mort à 34 ans, Napoléon dira de lui : « C'était un officier du plus grand mérite, et l'un de nos meilleurs généraux de cavalerie légère. »
On le considère encore aujourd'hui, comme étant l'un des plus grands généraux de cavalerie de son époque.
Dans la dernière lettre qu’il adressa à son épouse, il écrivit : « Mon cœur est à toi, mon sang à l’Empereur, ma vie à l’honneur. »
Comédie
" Sa comédie tragique ! "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Janvier 2024 - 40/30 -
Crayonné coloré de mines Conte et de craies grasses
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Antonio Vivaldi " Les quatre saisons, opus 8 , concerto n° 3 in F major, L'automne, Allegro "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Comédie
L’Empereur a mandé ces comédiens français1
Car il a le projet d’impressionner le monde,
Qui le voit isolé comme en rêve l’Anglais,
Alors qu’il gère tout, depuis la ville immonde.
Les acteurs dépêchés dont on lui dit le sort1,
Sont là, frappés du feu du soldat de légende
Qui reste dos tourné, attendant son essor,
Comme l’aigle ajustant le vol de leur offrande.
Puis pivotant soudain, le voici tel César
Haranguant ses légions en Tribun redoutable,
Voulant que soit gravé dans ce palais des Tsars2
Un décret souverain dont ils seront comptables :
— Voyez donc ici même en l’antique cité,
Comment je songe encore aux scènes de Corneille,
À l’essence de l’Art dans sa félicité.
Osez comme Talma3 ce jeu qui m’émerveille !
— J’ai reçu de Paris par courrier impérial4,
Ce nouveau règlement pour votre Comédie5
Fixant ma volonté dans ce grand mémorial
D’examiner son dû pour qu’on y remédie.
— Sire, vous nous flattez de lever le rideau
Sur un acte glorieux donnant de l’espérance
Aux comédiens français qui portaient le fardeau
D’une troupe oubliée par trop d’indifférence.
— Eh bien, rappelez-vous ce Décret de Moscou5
Donnant de la noblesse au spectacle des planches,
Instruisant ma patrie d’un amour sans surcoût
Qui soutient nos racines et fleurit nos branches.
Ordonnant majestueux, qu’on change de décor,
Qu’on grime le vernis de ce palais vétuste,
Qu’on fasse place nette au théâtre raccord,
Napoléon Premier se surprend en Auguste...
Et la soirée s’achève en final théâtral
Donné par ces acteurs d’une troupe française
Que l’Empereur élève en geste magistral
En encensant sa gloire au-delà des fournaises.
N.B. Dans ce poème, je choisis d’insérer des tirets cadratins pour introduire plus aisément la lecture des dialogues.
Pierre Barjonet
Novembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 9 « Comédie » (novembre 2023)
L’incroyable faculté de travail de Napoléon 1er qui avait subjugué ses contemporains n’a pas fini d’impressionner plus de 200 ans après sa mort (5 mai 1821). Cette force de travail doublée d’un sommeil réparateur d’à peine trois à quatre heures et d’une volonté de s’impliquer toujours, en permanence, dans tous les domaines, du moment qu’il s’agissait de servir la France, l’ont conduit à gérer les affaires courantes de son pays depuis n’importe quel cantonnement ou bivouac de campagne militaire.
Ainsi, se prit-il à réorganiser la Comédie française. Il se trouve que son comédien favori, le grand Talma se trouvait précisément à Moscou au moment ou Napoléon reçu parmi son important courrier impérial un projet de nouveau règlement pour la Comédie française en rapport d’ailleurs avec la situation du Théâtre français qu’il avait déjà réglée par un arrêté du 11 août 1800. Outre sa passion personnelle pour le théâtre, il estimait que leurs institutions participant à la gloire nationale de la culture se devaient d’être soutenues et largement subventionnées.
De plus, réfléchissant au contexte difficile de sa campagne mal engagée en Russie, tandis que des échos parisiens faisaient état des murmures du peuple qui commençait à gronder - comme on le verra le 23 octobre 1812 avec la tentative de coup d’État avortée du général Malet * – l’Empereur voyait là, une belle occasion de rassurer le peuple en lui prouvant qu’il était bien au fait des affaires ordinaires de France, même depuis la Russie, puisqu’il se targuait de gérer la situation de la Comédie française !
* Claude-François de Malet avait en effet, tenté de prendre le pouvoir à Paris en clamant que Napoléon était mort en Russie. Sa tentative échoua et il fut fusillé avec ses douze complices le 29 octobre 1812.
Le décret impérial n° 8577 « sur l’organisation, l’administration, la comptabilité, la police et la discipline du Théâtre français (dont dépendait la Comédie française) a donc été signé par Napoléon à Moscou le 15 octobre 1812 avant d’être publié au Bulletin des Lois n° 469 – III – IVe série le 26 janvier 1813.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Se reporter au poème « Phèdre » de ma saga qui voit une troupe de comédiens français qui se trouvaient à Moscou, prisonniers des Russes, puis délivrés par les grognards de Napoléon. À noter que je me suis inspiré des « Mémoires du Sergent Bourgogne » qui participa à la Campagne de Russie, donc à la réalité.
2 Le Kremlin
3 François-Joseph TALMA (1763/1826) fut un célèbre acteur, comédien membre de la Comédie française admiré par Napoléon 1er. Il s’était pris d’amitié avec le jeune Bonaparte qui le suivit ensuite fidèlement, d’autant qu’il adorait son talent, notamment dans la fameuse pièce de Pierre CORNEILLE « Cinna ». Il avait le privilège de visiter et de déjeuner avec Napoléon devenu Empereur, chaque semaine. Il eut même une liaison avec... Pauline Bonaparte, la propre sœur de Napoléon !
4 Napoléon communiquait régulièrement depuis Moscou avec Paris, et bien entendu avec d’autres départements français et de nombreux pays. Ses communications se faisaient par voie d’estafettes militaires qui mettaient à cheval environ 15 jours pour couvrir les 600 lieues (2.400 km) séparant Moscou de Paris, en se transmettant le « Portefeuille impérial » de relais en relais. Il arrivait qu’ils se fassent prendre par des cosaques, d’où l’importance des nombreux messages chiffrés. Il écrivit plusieurs lettres à son épouse Marie-Louise d’Autriche (1791/1847). Son Cabinet impérial parisien (aux Tuileries) se composait de 27 secrétaires triés sur le volet. Il suivait de plus, l’actualité française par le truchement des journaux comme « Le Moniteur » et « Le Bulletin de la Grande-Armée » qui lui servait en retour pour diffuser des nouvelles de ses campagnes ainsi que sa large propagande : durant la seule campagne de Russie, 29 numéros sont sortis.
5 Le fameux « Décret de Moscou » signé par Napoléon 1er depuis Moscou le 15 octobre 1812 est un texte impérial officiel qui régit le fonctionnement de la Comédie-Française et qui constitue encore de nos jours, la charte organique de cette institution !
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Le Décret de Moscou
La Comédie Française
Le grand Talma
Pierre Corneille
La pièce de Corneille Cinna avec Talma
Pauline Bonaparte
Pauline Bonaparte ayant posé nue en Vénus pour le sculpteur Antonio Canova fit scandale ! La " Vénus Victrix " est exposée à la Galerie Borghèse à Rome
Marie-Louise d'Autriche, seconde épouse de Napoléon 1er
Napoléon dans son Cabinet de travail aux Tuileries
Le général Mallet
Journal " Le Bulletin de la Grande Armée "
Flocons
" Premiers flocons "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Janvier 2024 - 40/30 -
Sanguine sépia et gouache projetée
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Franz Schubert " Schwanengesang, D 957 n°4 "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Flocons
Se réveillant soudain, Liouba s’extrait du lit,
Enfin, du matelas de paille et de fourrures
Recouvrant un brancard de vieux cuir assoupli
Que Joseph lui dressa dans un coin sans dorures.
Son instinct ancestral ne s’est pas assoupi.
Ses épaules se tassent d’un froid qui se lève,
Quand, dépassant dehors des vieilles accroupies1,
Liouba sent leur vodka s’échauffer sur la grève.
Le ciel se teint de laine en soufflant des flocons
Frisant bas les cheveux des rudes buandières.
Mais pour Liouba c’est là, l’annonce de cocons
Qui vont bientôt gercer les mains des lavandières.
Frissonnant du minois, Liouba guide Joseph
Vers son palais brûlé, celui de sa famille2.
Elle retient ses pleurs d’un bien cruel relief
En découvrant le sort de la salle aux quadrilles3.
La demeure éventrée que le feu surchauffa
Se donne désormais à ces vapeurs de brume
Qui montent des parquets que l’incendie coiffa,
Et descendent des toits, découvrant leurs volumes.
Ils amassent alors quelques précieux objets,
Car la veuve a compris qu’il faudrait bientôt suivre
La Grande-Armée française, et changer ses projets
En oubliant Moscou d’infortune et de givre.
Leur voiture entreprend d’endosser des manteaux,
Des fourrures dorées et des étoles chaudes,
Des chapkas recousues de bijoux orientaux,
Et des bottes fourrées dans des malles costaudes4.
Ils n’ont pas oublié de descendre aux caveaux
Se charger de biscuits5, de sel et d’eau de vie,
De thé, de pains de sucre et de pâtés de veau,
De morue desséchée, lard et graisse suivie6.
La neige a recouvert les pourtours calcinés
Des avenues plongées sous une aube d’hermine,
Et le blizzard obstrue leur vie déracinée,
Brouillant le souvenir de ceux qu’on extermine7.
Pierre Barjonet
Novembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 8 « Flocons » (novembre 2023)
Les premiers flocons sont tombés soudainement le 13 octobre. Certes, ce n’était qu’une mince couche de neige qui, au petit matin, surpris l’occupant, mais pour Napoléon, cette neige fait l’effet d’une averse, en guise d’avertissement ! Pourtant, il ne précipite rien et restera encore à Moscou durant plus d’une dizaine de jours. Il est vrai qu’il a fort à faire pour organiser par le menu, suivant son habitude, toute la logistique du départ de ses troupes. Même si elles ont terriblement souffert de la campagne de Russie depuis juin, passant de plus de 600.000 hommes à... 100.000 soldats encore en ordre de bataille, leur retour vers la France n’est pas une mince affaire.
Il faut tout gérer, depuis les étapes clé de l’approvisionnement de vivres, fourrages et vêtements chauds (en prévision de l’hiver...) à partir de stocks venant principalement de Pologne, en passant par la question des ambulances pour rapatrier les malades et les blessés*, sans omettre le trésor accumulé de trophées pris à l’ennemi, dont la fameuse croix dorée qu’il fait démonter et descendre du clocher d’Yvan-le-Grand ; laquelle se brisera dans sa chute maladroite... Il lui faut aussi s’organiser pour répondre aux attaques des cosaques qui ne manqueront pas d’harceler ses troupes, sans parler d’éventuels combats de plus grande ampleur avec l’armée de Koutousov...
* C’est le maréchal Berthier qu’il charge d’évacuer les 1.500 hommes blessés par un convoi partant le 17 octobre, encadré par 300 soldats.
Quant à la troupe, en prévision d’un avenir incertain que cette première neige interpelle, elle fonde littéralement partout à la recherche de fourrures, de vivres, d’or et d’argent, mais pas seulement. Les hommes s’encombrent d’une incroyable « moisson » d’objets hétéroclites, de meubles en bois précieux, de candélabres, de tableaux, de tapis, de lustres, de vaisselle, de porcelaine, de vêtements précieux, de tentures, etc. en guise de butin, de souvenirs ou de monnaie d’échange pour leur long retour...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Des vieilles mendiantes russes n’ayant pu quitter Moscou, faute de moyens.
2 Liouba, dans mon roman, est une jeune aristocrate russe de haute lignée qui vient de perdre son mari fusillé comme incendiaire (voir mon poème « Liouba »). Elle espère retrouver son palais intact, accompagnée par Joseph, mais hélas, il a brûlé.
3 Il s’agissait de la grande salle de bal où l’on dansait bien sûr, les dernières danses à la mode comme le quadrille comportant selon le cas, des figures anglaises puis françaises.
4 Terme ancien signifiant robuste.
5 Ne pas s’imaginer ici, des biscuits comme on en déguste aujourd’hui, mais plutôt des « biscuits de mer » tenant bien au corps et conservables de un à deux ans (faits uniquement de farine de pur froment et de levain sans sel), tels qu’on en prenait « pour la route » quand on partait en troïka (traîneau tiré par un attelage de trois chevaux) pour sa datcha (résidence secondaire proche de Moscou) ou pour rejoindre Saint-Pétersbourg où l’on s’en procurait auprès de la Marine Impériale.
N.B. Voir ce lien relatif aux « rations de combat » d’aujourd’hui :
6 La graisse de saindoux était finement hachée pour compléter les bouillies dont les Russes étaient friands, notamment les gens du peuple dont les serviteurs et les soldats.
N.B. Voir l’excellent article publié par le site « Russia Beyond » relatif à la façon dont « les Tsars nourrissaient leurs soldats » :
https://fr.rbth.com/histoire/85957-nourriture-soldats-russes
7 Comme le malheureux Boris, époux de Liouba.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Le pillage de Moscou
Les " biscuits de guerre " ou " biscuits de mer "
ou biscuits des rations de combat en 1914/1918
Le quadrille français :
danse de salon avec ses figures traditionnelless comme :
" le pantalon, l'été, la poule, la pastourelle, le chassé-croisé, le galop
(ou la finale) et la boulangère "
Voir ce site " Carnet de bals " qui détaille par le menu toutes ces figures, ici : https://www.carnetdebals.com/danse-quadrille-francais.html
et voir cette vidéo :
Premiers flocons en Russie...
Cloches
" Bourdon lunaire ! "
Illustration originale 1/2 de Pierre Barjonet - Janvier 2024 - 40/30 -
Sanguine, fusain et pastel gras humide
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Bourdon fatal ! "
Illustration originale 2/2 de Pierre Barjonet - Janvier 2024 - 40/30 -
Sanguine, fusain, crayon Conte, pastel gras humide et gouache
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Les cloches du soir "
Musique traditionnelle russe reprise par Maurice Jarre pour le film " Dr Jivago "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Cloches
Le cri figea la place affolant les corbeaux,
Tandis qu’un son feutré semblait vibrer de crainte.
Joseph un temps surpris releva son flambeau
Dans le soir abaissant des ombres son empreinte.
Approchant Saint-Michel1 dont la cloche expira
Il entrevoit la scène infâme qui se gîte
Au creux de ce bourdon dont l’âme transpira
Quand le soufre en fusion toussa sans qu’on l’agite2.
Tel un vaisseau largué sans cloche ni grelots3,
Ferré de madriers, ce renflement de cuivre
Niché près du clocher et tous ses angelots
S’enlise en la chaussée qu’on évite à poursuivre.
Un autre cri suivi du rire de soudards
Disperse la mêlée de chiens errants en meute.
Trois Gros-Talons4 cruels ayant ferré leur dard
S’apprêtent à violer comme après une émeute ...
... une femme brisée qu’ils maintiennent au sol
Sous la voûte d’airain de l’indomptable cloche.
L’écho de son effroi qu’aucun ciel ne console
Vibre, excitant ces gueux qui doublent leurs taloches.
Mais Joseph a surgi, crucifiant le battoir5
De l’hideux cuirassier transpercé de son sabre,
Puis saigne le second sans autre moratoire,
Et sonne à la volée le dernier sans palabre.
Liouba le reconnaît et se redresse enfin,
Dissimulant sa gorge en blessures d’outrage,
Puis en le remerciant d’un détachement feint
Accepte son escorte en de meilleurs parages.
Il la mène au Kremlin, ne l’abandonnant plus
À la garde fragile de la vie civile6.
Il la loge à l’étage au milieu des surplus
Des caissons de dessins et cartes de la ville.
Liouba l’observe là, dans son simple univers
Sans nul plan dessiné ni ruse coutumière,
Lui souriant poliment près des croisées d’hiver7 ;
Puis songe à son défunt parti dans la lumière8...
Pierre Barjonet
Novembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 7 « Cloches » (novembre 2023)
Alors que les incendies s’éteignent progressivement, les troupes d’occupation se partagent entre celles fidèles à l’Empereur et vertueuses en discipline et celles qui se laissent aller en profitant de la situation pour commettre les pires exactions. Le pillage, les meurtres et les viols composent alors le triste registre des forfaits de ces hommes sans contrôle, comme à chaque fois qu’une armée victorieuse se pose dans une cité détruite, après avoir subi eux-mêmes les tourments de la guerre...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 La cathédrale de l’archange Saint-Michel de Moscou fut construite entre 1505 et 1508 au cœur de l’enceinte du Kremlin sur la place des cathédrales « Ivanovskaïa ». Elle regroupe une cinquantaine de sépultures des princes de Moscou et des premiers tsars. En effet, Saint-Michel, le premier archange armé d’un glaive, était considéré par les Russes comme étant le protecteur des tsars et princes de la Moscovie. S’y tinrent également des cérémonies de célébration des victoires militaires russes. Durant leur séjour à Moscou, les troupes de la Grande-Armée fouillèrent en vain la crypte aux tombeaux de cette nécropole à la recherche de trésors...
La place des cathédrales se compose donc du palais à Facettes, du palais des Térems, du palais des Patriarches et d'une série de cathédrales prestigieuses dont la cathédrale de l’archange Saint-Michel, la cathédrale de l’annonciation, la cathédrale de la Dormition, l'église de la déposition de la robe de la Vierge, l'église des douze Apôtres, et le fameux clocher d’Yvan-le-Grand leur servant de campanile surmonté d’une croix d’or gigantesque de 30 pieds de haut (9 mètres) maintenue par des chaînes dorées. Napoléon voulut qu’on la décroche afin de la rapporter comme trophée à Paris. Mais en tentant d’y parvenir, la croix chuta lourdement et se brisa.
2 La cloche colossale « échouée » au pied du clocher d’Yvan-le-Grand sur la place des cathédrales est surnommée la « Tsar Kolokol » « la reine des cloches ». Ce bourdon, le plus grand au monde, n’a jamais sonné, car il n’a jamais pu être hissé au sommet de son campanile. Pesant 202 tonnes pour ses 6 mètres de haut, il fut moulé au 18e siècle en remplacement de deux cloches précédentes successivement détruites par des incendies. Pour la mouler, il fallut creuser une excavation de plus de 10 mètres de profondeur. Et que croyez-vous qu’il arriva ? Comme ses deux prédécesseurs, le bourdon fut victime d’un incendie qui détruisit ses charpentes de maintien, le faisant basculer au sol et se briser (le bloc détaché est conservé à proximité).
3 Dans la marine à voile, il existait une, voire deux ou même plusieurs cloches et parfois, grelots de rappel pour sonner les moments importants de la vie à bord dont les temps de quart.
4 Dans l’argot militaire de l’époque, les « Gros-Talons » étaient le surnom donné aux cuirassiers de la cavalerie lourde par les Grognards de la Ligne.
5 des « battoirs » sont des mains larges et épaisses.
6 Rappelez-vous que Liouba (dans ma saga) avait été confiée aux bons soins de la petite troupe hétéroclite des quelques civils : comédiens, lavandières et vivandières suivant les troupes.
7 Il s’agit de fenêtres doublées de volets intérieurs pour se préserver du froid.
8Liouba qui fut recueillie, désespérée après l’exécution de son mari incendiaire, par Joseph pris de compassion, ne peut s’empêcher de le voir dans la lumière des ressuscités, après les trois jours de deuil qu’elle s’imposa sur sa dépouille (toujours, dans ma saga, bien sûr).
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La place des cathédrales dans l'enceinte du Kremlin au bord de la Moskova
La place des cathédrales vue par le peintre Giacomo Quarenghi en 1797
La cathédrale de l'archange Saint-Michel
la cathédrale de la Dormition,
la cathédrale de l'Annonciation,
l'église de la déposition de la robe de la Vierge
L'église des douze apôtres
Le clocher d'Yvan-le-Grand et sa croix
La cloche Tsar Kolokol au pied du clocher d'Yvan-le-Grand
Le palais à Facettes
Le palais des Térems
Le palais des Patriarches
Et le fameux plus grand canon du monde exposé sur la même place :
le " Tsar Pouchka "
Son calibre de 890 mm, son poids de 40 tonnes impressionnent toujours, même si ce canon coulé en 1587 pour défendre le Kremlin
n'a jamais tiré un seul boulet de... 800 kg !
Figurants
" Colère au Kremlin ! "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Décembre 2023 - 40/30 - Sanguine
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Mission impossible " (musique du feuilleton TV) joué au piano
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Figurants
Rageur, Napoléon regagne « son palais »1,
S’impose en occupant d’une ville déserte,
Tient à brusquer sa cour en livrée de valet,
Et se targue d’asseoir l’autorité rouverte.
Il est vrai que l’abîme entre les grenadiers
De sa Garde impériale ointe de discipline
Et les soudards gourmands tels des limonadiers,
Mûrit sa réflexion sur l’honneur qui décline.
L’incendie qui décroît ravive son ardeur,
Et lui donne le feu d’ordonner en cadence
L’exécution des gueux poudrant l’infâme odeur
Des brûlots assassins d’un peuple en décadence.
Sa colère est terrible2 éventant les salons,
Fusillant les portraits, brisant la porcelaine,
Hurlant à bout de nerfs en frappant du talon,
Et maudissant Moscou, cette cité vilaine.
Joseph ferme les yeux en serrant son crayon
Qui dessine le plan de la ville détruite,
Puis gomme les quartiers incendiés par rayons,
En tremblant de signer cette synthèse instruite.
La ville est ravagée3, se lamente Joseph
Provoquant derechef le courroux de son maître.
Ne reste qu’à l’inscrire de son propre chef
Dans un rapport brossé loin de son périmètre.
Dehors, des figurants, pillards de carnaval,
Ont troqué l’uniforme au panache des blondes,
Se sont crus séduisants sans l’ombre d’un rival
Et se sont réchauffés d’une folie féconde.
Ni pillage ni viols, avait grondé l’Empereur,
Mais face à l’incendie des lâches méprisables
La chasse est engagée se drapant de fureur,
Prélevant son butin de proies inépuisables.
L’on entasse partout fourrures et lingots,
Vaisselle et chandeliers, couverts d’argenterie.
L’on se prend à rêver de gloire à Marengo4
Et s’habille de soie fine en galanterie.
Pierre Barjonet
Novembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 6 « Figurants » (novembre 2023)
Devant un tel cataclysme, la discipline en prend un coup. Le pillage, les exactions voire les désertions guettent. Les hommes se ruent vers les « trésors » des palais dont ils entendent bien s’emparer. Parallèlement, ils font provision de vivres et de boisson sans oublier de mettre la main sur tout ce qu’ils pourront revendre en empochant de jolis bénéfices, plus tard à Paris... Napoléon qui avait tout d’abord strictement interdit les pillages et les viols finit par laisser-faire, malgré sa désapprobation.
Ils vont même jusqu’à fondre l’or des églises (icônes, crucifix, châsses précieuses, bijoux sacrés...) en utilisant les fours des lieux de culte et les monastères (qui en possédaient tous), les transformant en lingots marqués du N impérial.
À ce sujet, un a longtemps cherché - et l’on recherche toujours – le fameux trésor de Napoléon perdu lors de la retraite de Russie qui s’élèverait à 80 tonnes d’or en lingots. Depuis 200 ans, les Russes, plus tard les nazis et les Soviétiques (en 1970) ont creusé le sol, sondé des bois et vidé des étangs et sondé le lac de Semlevskoï (dès 1830) avec force plongeurs et pelleteuses en vain. Il est un fait que les 200 chariots qui sont partis de Moscou chargés de ce trésor n’ont jamais dépassé les frontières de la Russie. Comme le mentionne l’excellente revue numérique « Russia Beyond » ici : https://fr.rbth.com/histoire/79981-napoleon-1812-tresors-russie-lac il semble logique que Napoléon ait ordonné de dissimuler le butin de ce trop lourd fardeau en cachant trophées volés et tonnes d’or. Dans l’idée probablement de revenir le chercher plus tard ?
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le Kremlin.
2 Les colères de Napoléon sont légendaires.
3 Comme déjà dit, Moscou, essentiellement bâtie de bois, fut détruite à près de 80 %
4 Marengo fut une victoire glorieuse du général et premier Consul Bonaparte durant la campagne d’Italie, le 14 juin 1800, l’opposant aux troupes autrichiennes dans le Piémont en Italie.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Plan russe d'époque montrant la ville de Moscou brûlée (en rouge)
Un palais détruit, rebâti plus tard à l'identique
Le pillage de Moscou par les Français
La bataille de Marengo par le peintre Louis-Françoise Lejeune
Le lac de Semlevskoïe connu pour y conserver enfoui le trésor de Napoléon...
Photo de Russia Beyond " La légende du Lac Semlevskoïe "
https://fr.rbth.com/histoire/79981-napoleon-1812-tresors-russie-lac
Lessives
" Lavandières russes "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Novembre 2023 - 40/30 - Sanguine et craie bistre
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Docteur Jivago " (musique du film par Maurice Jarre) extrait " They began to go home "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Lessives
L’Empereur est parti, laissant Moscou brûler1.
Reste juste un piquet2 sur la place bien large,
Et puis des lavandières3 pouvant circuler
Tout près de la rivière et du quai pauvre en barges.
Rose épaulant Liouba s’est approchée du bain,
De l’onde réchauffée par des reflets d’étuve,
Et retrouvant les femmes loin des carabins4,
Vient rincer sa pitié, la plongeant dans la cuve.
Natacha leur sourit n’osant pas trop causer,
S’étonne de leur fougue à savonner le linge,
Décrasser, tapoter, sans jamais imposer
Leur souffle grimaçant, espiègle comme un singe.
Les hommes ont rejoint leurs propres formations
Délaissant les acteurs adoptés par ces dames5.
Ils renforcent la garde ou son infirmation
Pour patrouiller plutôt, en pistant des quidams.
La ville labyrinthe se mure en prison,
Piège les malheureux dans ses venelles tueuses,
Et fait chuter ses toits en faussant l’horizon
Des brasiers à l’assaut des ruelles tortueuses.
Livreur lèche ses pattes brûlées de goudron.
Nicolas le soutient, le mouillant de compresses,
Et la colonne sait que tous en découdront
Quand il faudra lutter contre le temps qui presse.
L’arsenal est tout près, cerné par des brandons
Qui tortillent de feu les réserves d’étoupes7
En laissant présager le prochain abandon
Du Kremlin, spectateur du naufrage des troupes.
Des cavaliers démontent,8 laissent leurs chevaux.
Des officiers s’enfoncent dans des caves fraîches.
Des fantassins se saoulent dans d’obscurs caveaux.
Et des grisettes9 sèchent dans la moindre brèche.
S’en vient naître le vent lessivant tout repos,
Soufflant bas l’asphyxie des chemins de traverse,
Ébouillantant le poil des moindres oripeaux
Et troussant les maisons de flammes en averse.
Pierre Barjonet
Octobre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 5 « Lessives » (Octobre 2023)
La situation dans la ville en flammes ne fait qu’empirer. L’Empereur parti (momentanément), chacun tente de s’organiser du mieux qu’il peut, tandis que la Troupe restée en place s’active à défendre coûte que coûte le Kremlin, les palais et les bâtiments principaux de Moscou comme l’arsenal par exemple, et à patrouiller à la recherche des incendiaires aussitôt arrêtés et fusillés.
Les témoins de l’époque firent état d’anecdotes incroyables dont certaines sont reprises dans ma saga. Ainsi, l’on trouva par exemple des pauvres commerçants ayant tout perdu, errant au milieu des ruines fumantes de leur quartier dévasté ou des Dames de l’aristocratie russe dont la demeure fut détruite qui n’hésitèrent pas à s’enticher d’officiers français dans la perspective de les accompagner en France. La suite leur sera fatale...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Entré à Moscou comme déjà dit, le 15 septembre 1812, Napoléon 1er la quitte aussitôt, en découvrant le gigantesque incendie de la ville, donc le 16. Il s’installera au château de Petrovskoïe à proximité de Moscou (N./O.) dans une zone contrôlée par son IVe Corps d’armée, et y séjournera deux jours. Il reviendra au Kremlin préservé des flammes le 18 septembre.
2 Piquet de garde ou petite unité de sentinelles ou de soldats de faction.
3 Il s’agissait tout autant des lavandières intégrées avec les civils autorisés dans la Grande-Armée que de femmes du peuple russe et buandières servant encore leurs maîtresses restées à Moscou. Elles s’activaient sur les berges de la Moskova.
4 Carabins (terme d’époque) : soldats relevant de la cavalerie légère.
5 Voir mes poèmes précédents (Phèdre et Liouba) où la troupe de comédiens français otages des Russes est libérée par les grognards de l’Empire puis intégrée aux civils de la Grande-Armée auprès des lavandières.
6 Venelle ou petite ruelle très étroite.
7 Les étoupes (résidus grossiers de filasse de chanvre servant aux cordages) avaient également vocation de mèches d’explosifs utilisés dans l’artillerie et le génie.
8 Démonter ou descendre de cheval.
9 « Grisettes » ou femmes de petite vertu, prostituées, par extension péjorative, dans le jargon militaire, aux jeunes filles de condition modeste.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Napoléon regardant Moscou brûler
Des " carabins " comme ces hussards
Petites lavandières bretonnes d'hier...
Alcool russe (vin et vodka)
Le repos du guerrier...
Grisettes françaises du XIXe
Liouba
" Liouba veillant Boris "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Novembre 2023 - 40/30 - Sanguine et fusain
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Ludwig Van BEETHOVEN Sonate n°14 en do dièse mineur opus 27 dite " au clair de lune "
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Liouba
Sa vue fixe la torche immolée devant lui,
Qu’un soldat arracha de son bras d’incendiaire.
Ses yeux scrutent Joseph et son crayon qui luit,
La troupe bigarrée près d’une lavandière1...
...Ces Français chamarrés, tambours et voyageurs,
Grognards en éclaireurs et l’officier de garde.
Puis se tournant enfin tel un preux voltigeur,
Son regard s’assombrit, priant sa sauvegarde.
Quand le feu des fusils lui ravagea le cœur,
Il hurla sa passion coiffant la ville sainte,
Et malgré le mépris de l’officier vainqueur
Le piquet2 le salua d’un silence sans crainte.
Joseph est resté là, brossant dans son carnet
La flaque du sang bleu de Boris le rebelle,
Quand soudain s’approchant, comme nonne incarnée,
Une femme prostrée se couche telle quelle.
Elle étreint ce visage en lui fermant les yeux,
Lui confie son amour d’éternelle souffrance,
Lui baise les paupières sans larmes d’adieu
Puis trempe son mouchoir dans son gilet garance.
Trois jours3 elle sera son chevet, son abri,
Son épouse veillant afin qu’il se réveille,
L’espoir ressuscité des bûchers en débris,
L’inébranlable foi s’érigeant en merveilles.
Il a crié son nom, Liouba, qu’il adora,
Tétanisant d’effroi les acteurs serrant Rose,
Et glaçant leurs lambris d’un feu qui redora
L’âme de son pays dont la mort est la prose.
Joseph s’est approché, la bordant de son bras,
D’une infinie douceur, il l’a raccompagnée
Vers Rose et ses alliés pour qu’elle ne sombrât
Dans les vapeurs d’Orphée, d’outre-tombe empoignées.
Se fixant en bivouac sous les murs du Kremlin,
Le cortège se pose auprès de blanchisseuses
Et tente de laver le linceul orphelin
De la veuve évanouie face à la mort, tisseuse.
Pierre Barjonet
Octobre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 4 « Liouba » (Octobre 2023)
Dès que les incendiaires furent connus (après interrogatoire) comme étant à la fois des Moscovites insurgés, des miséreux, des prisonniers de droit commun et des forçats libérés par le Gouverneur de la ville (le comte Rostopchine) Napoléon se montra intraitable et ordonna qu’ils soient tous passés par les armes sans autre forme de procès. Rappelons que ces incendies allumés simultanément partout dans Moscou par les Russes qui, au passage, détruisirent ou retirèrent les pompes à eau, causèrent la perte des trois-quarts des maisons principalement construites en bois... Inutile de dire qu’un quidam pris une torche à la main n’avait guère de chances de s’en sortir !
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Nous retrouvons là, nos sympathiques héros tels Nicolas, Natacha et Rose dont on a suivi dans le précédent poème (Phèdre) leur rencontre avec une troupe de comédiens français détenus en otage des Russes. Ils l’ont escortée jusqu’à cette place où se tiennent des lavandières, non loin des berges de la Moskova.
2 Le piquet est un terme militaire qui désigne une petite unité de soldats de garde et, ou prête à intervenir.
3 Selon le rituel des funérailles russes d’alors, il fallait veiller durant trois jours le défunt – et donc ne l’enterrer qu’après – car on espérait que selon l’exemple du Christ, il pouvait ressusciter.
N.B. L'histoire de cette femme qui se coucha sur le corps de son mari venant d'être fusillé, est authentique et rapportée dans " Les Mémoires du Sergent Bourgogne ".
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Tombe des amants au cimetière monumental de Milan (Italie)
Hommage orthodoxe paysan Russe au XIXè...
... et avec des pleureuses selon la tradition
Caricature de Napoléon fraternisant avec le diable
après " avoir incendié " Moscou...
L'Incendie de Moscou tel que décrit par les anglais :
" Conflagration of Moscow Seen from the Kremlin,
on the entrance of the French Army, the 14th of Sept 1812 "
Napoléon observant la propagation de l'incendie, à proximité du Kremlin
Office orthodoxe Russe gardé par des grognards français
Phèdre
" Phèdre et le masque de la guerre "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Octobre/novembre 2023 - 40/30 -
Sanguine, fusain et craie Conté
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Concerto pour clarinette en A majeur de Wolfgang Amadeus Mozart " Adagio "
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Phèdre
S’enfonçant dans Moscou, précédée par Livreur,
La troupe hétéroclite avance au gré des rues,
Rampe sous les fumées suivant l’instinct ouvreur
D’un chien-loup, de tambours et de quelques recrues.
Rose et ses deux mulets, Nicolas, Natacha,
Et huit à dix grognards soudés dans la tourmente
Contournent les larrons, ces gueux qu’on détacha,
Les Russes incendiaires aux ruses dormantes.
Livreur marque l’arrêt devant une villa
Dont l’entrée fracassée sous la voûte ruinée
Semble les inviter sans que l’on jubilât
Dans cet abri masqué couvrant leur destinée.
Dehors ne sont que cris, feux et détonations,
Flambeaux d’apocalypse et flammes d’épouvante,
Mais ici l’on perçoit l’étrange intonation
D’un théâtre oublié, d’une scène émouvante1.
Voilà, sortant de l’ombre au fond d’un corridor,
Cinq femmes, deux enfants, trois hommes et un pope
Surgissant incongrus comme des matadors
Brandissant des épées, un casque de cyclope1.
Puis leur voix caverneuse entonne alors un chant
Tiré des vers de Phèdre2 en cette tragédie,
Stupéfiant, pétrifiant l’escouade s’approchant,
Figeant aussi Livreur flairant la comédie.
« Bojo ! Bojo ! »3 s’écrie Natacha toussotant.
Puis s’asseyant au sol, elle les encourage
En battant de ses mains et des yeux tricotant,
Subjuguée, fascinée, troublant son entourage.
Et tous de l’imiter en découvrant sa voix4,
Et de les acclamer en dévoilant leur masque,
Car ce sont des Français, les acteurs d’un convoi
Que les Russes ont pris comme otages fantasques.
Flattés de leur succès, ils saluent de bon cœur,
Puis donnent Antigone5 en draperie brillante,
Et la pièce achevée, s’enflamment tous en chœur
En glorifiant l’Empereur à l’épopée bruyante.
Pierre Barjonet
Octobre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 3 « Phèdre » (Octobre 2023)
L’effroyable incendie ravagea Moscou durant six jours. Allumé comme déjà dit par des incendiaires russes recrutés par le Gouverneur de Moscou parmi des prisonniers libérés de prison tout exprès, dans la nuit du 15 au 16 septembre 1812, il ne s’éteignit que le 20 septembre. Les trois-quarts de la ville furent détruits. Ordre est donné de pourchasser les incendiaires et de les fusiller aussitôt sans autre forme de procès. Napoléon a quitté Moscou, mais l’incendie ayant épargné le Kremlin, il y retournera dès le 18 septembre pour en prendre véritablement le contrôle. En dictant le 21eBulletin de la Grande-Armée publié à Paris et donnant régulièrement des nouvelles de ses campagnes, il n’hésitera pas à désigner comme instigateur des incendies, le gouverneur russe de la ville, le comte Fédor Rostopchine.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Dans la réalité **, fouillant chaque maison, l’une des patrouilles de la grande armée ayant entendu des cris de femmes sortir d’une maison avait débusqué une troupe de comédiens français ! Après les avoir délivrées de quatre soldats de la police russe qui voulaient mettre le feu à leur abri, elles expliquèrent aux grognards qu’elles faisaient partie d’une troupe de théâtre française et que les Russes avaient emmené de force leurs maris. Elles réclamaient donc la protection des Français, mais sans se départir de leurs tenues de scène dont : la robe de César, le casque de Brutus et la cuirasse de Jeanne d’Arc...
** Tiré des « Mémoires du Sergent Bourgogne – 1812/1813 ».
2 « Phèdre » est une pièce de théâtre célèbre écrite par Jean Racine d’après la mythologie grecque. Cette tragédie donne un sens moral à la vertu contre les vices des monstres mythologiques. Tombant amoureuse de son demi-frère, elle sera victime de sa passion incontrôlable et contre nature pour Hippolyte et finira par se suicider.
3 « Bojo ! Bojo ! » en Russe pour « Mon Dieu ! Mon Dieu ! » Aujourd’hui, l’on dira plutôt « Bozhe moy » et donc en caractères cyrilliques : « Боже мой ».
4 Rappelez-vous. Natacha avait perdu la voix suite au traumatisme terrible de la pendaison de ses parents et du viol et meurtre de sa sœur.
Voir l’épisode « L’Océan » ici : https://lapalettedepierre.blog4ever.com/l-ocean-1
5 Antigone, fille d’Œdipe roi de Thèbes et de la reine Jocaste est également tirée de la mythologie grecque. Cette tragédie met en scène la mort héroïque d’Antigone. Les pièces de théâtre les plus connues qui s’en inspirent sont de Sophocle et plus près de nous de Jean Cocteau, Jean Anouilh ou Bertolt Brecht.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Jean Racine (1639/1699)
Phèdre et Hippolyte
Antigone
Fumets
" Moscou brûle "
Illustration originale Pierre Barjonet - Septembre 2023 - 40/30 -
Sanguine, fusain, craies et crayons de couleur
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, sur toutes les illustrations)
Musique du film " Gladiator " (extrait : La bataille)
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Fumets
« Ivres, c’est bien certain ! Ces malheureux forbans
Qui tirent sur nous autres ne sont que vermine,
Et coquins de cachots, de vodka s’absorbant. »
S’emporte Nicolas pour qu’on les extermine1.
Mais on choisit plutôt de les jeter à l’eau1,
Pour cuver leur alcool, leur haine de canailles...
Il tient serré Livreur guettant ces « animaux »,
Attendant de charger pour les prendre en tenailles.
Car il faut avancer, se fondre dans Moscou,
Assurer son bivouac en trompant sa fatigue.
Et voici qu’un palais s’offre là, tout d’un coup
Laissant chacun de marbre en ce décor prodigue2.
Bientôt s’y pose Rose ouvrant sa cargaison3,
Alimentant le jeu des hommes disponibles,
Heureux de la corvée du bois dans la maison,
De l’eau du samovar4 à nul autre impossible.
Puis chacun se régale assoiffé du fumet
De soupe grasse aux choux et d’un faisan de plaine.
Livreur qui frétillait tandis qu’on le plumait
Déguste enfin sa part en plat de porcelaine.
Neuf cents lieues de Paris5 ne changent pas la nuit,
Ni le soldat qui dort en rêvant de sa mère,
Fantassin qui se croit délivré de l’ennui
Des labours au pays ou de la pêche en mer.
Mais Livreur6 a senti la rougeoyante odeur,
Qui plane dans les rues puis étreint la bâtisse,
S’infiltre dans les draps, tel le fil d’un brodeur
Galonnant le linceul de ceux qu’ils combattissent.
Il aboie tant et tant qu’il en bave d’effroi,
Réveille son foyer puis continue sa course
Et lèche Natacha qui garde son sang-froid,
Entraîne Nicolas lové dans sa peau d’ours7.
Et tous de dévaler au jardin dévoré
Par d’ardentes lucioles brûlant la pénombre.
Médusés ils regardent le ciel perforé
Par l’incendie fatal à la ville qui sombre8.
Pierre Barjonet
Septembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 2 « Fumets » (Septembre 2023)
Le 14 septembre 1812 après avoir logé sommairement dans une maison de bois du faubourg Dorogoumlov, Napoléon franchit les remparts par la tour Troitskaya le 15 à 6 heures du matin et rejoint aussitôt le Kremlin où il prend possession des appartements du Tsar. Mais vers cinq heures du soir éclatent partout des incendies dont on saura rapidement qu’ils ont été allumés par plusieurs centaines de prisonniers tout juste libérés par le gouverneur/maire de la ville, le Comte Fédor Vassilievitch Rostopchine (1763/1826), avant qu’il ne quitte la ville, avec mission de brûler intégralement Moscou. De fait, on reportera longtemps la responsabilité de l’incendie de Moscou sur les épaules de Napoléon 1er...
Alors qu’on pensait circonscrire rapidement ces incendies après avoir fusillé les incendiaires, on découvre qu’il n’existe plus aucun moyen de les éteindre, faute de pompes à eau emportées par les Russes ou sabotées et du fait des constructions en bois dans des espaces contigus, sans oublier le vent qui soufflait en rafales. À quatre heures du matin, le feu est partout, ayant déjà pris la moitié de la ville illuminée comme en plein jour. En rage, Napoléon s’écrie : « Cela dépasse tout. C'est une guerre d'extermination, c'est une tactique horrible, sans précédent dans l'histoire de la civilisation. Brûler ses propres villes ! Le démon inspire ces gens. Des barbares ! Quelle résolution farouche, quelle audace ! Quel peuple ! Des Scythes, ce sont des Scythes !»
L’empereur doit quitter le Kremlin pour loger au château de Pétrovskoié les 16 et 17 septembre, avant que de revenir au Kremlin où il séjournera un mois jusqu’au 19 octobre 1812.
N.B. S’il occupe la chambre du Tsar, il refuse de dormir dans son lit qu’il qualifie de grosse meringue et lui préfère son propre lit de camp de bivouac.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 À la suite de sa défaite à Borodino (ou Moskova, comme déjà dit) l’armée russe ayant abandonné la défense de Moscou pour mieux de préserver, la ville se vida de 98 % de ses habitants (269.000 sur 275.000). Le gouverneur général de la ville, le comte Fédor Rostopchine (père de la future comtesse de Ségur** NDLR), fit libérer environ 800 prisonniers des prisons de Moscou et d’ailleurs en vue de faire feu sur les Français, mais surtout, de mettre le feu à Moscou à près de 500 endroits. Lorsque la Garde impériale précédant les troupes de la Grande-Armée fit son entrée à Moscou le 15 septembre 1812, elle fut confrontée à des tireurs plus ou moins isolés, des malfaiteurs ivres, hirsutes et maladroits. Ils furent aussitôt désarmés, chassés et certains furent précipités dans le fleuve.
** Sophie Rostopchine (1799/1874), Fiodorovna Rostoptchina, fille du comte Fédor Rostopchine, fut élevée comme il se doit pour une très grande famille de l’aristocratie russe proche du Tsar. Sa mère fut demoiselle d’honneur de Catherine II et son père, outre le titre de gouverneur général de Moscou, exerça sous le règne de Paul 1er comme lieutenant général d’infanterie puis ministre des Affaires étrangères. Les biens du comte s’élevaient à 45.000 hectares tenus par 4.000 serfs ! Polyglotte, elle parlait couramment 5 langues dont évidemment le français que la noblesse russe préférait à sa langue.
Témoin à distance de l’incendie de Moscou qu’elle quitta avec la population, elle dira « J’ai vu comme une aurore boréale sur la ville ».
Son père ayant subi (momentanément) la disgrâce du Tsar à la suite de l’incendie de Moscou, que nombre de Moscovites ne lui pardonnèrent pas, elle le suivit dans son exil, d’abord en Pologne, Allemagne, Italie puis enfin, en France.
Âgée de 19 ans, elle fit la connaissance du comte Eugène de Ségur qu’elle épousa (N.B. Son grand-père a été ambassadeur de France en... Russie ; ça ne s’invente pas !)
Elle nous est connue pour son goût tardif (à 50 ans passés) pour la littérature avec ses romans et ses contes moraux dédiés à ses petits-enfants. Ses ouvrages évoquent indirectement sa propre enfance particulièrement malheureuse sous le joug d’une mère sévère, intransigeante et tyrannique, et plus tard... de sa belle-mère). Elle fut en effet, élevée, très durement subissant des châtiments humiliants et physiques (frappée, privée de nourriture, de boisson, de vêtements chauds, maltraitée en public et enfermée dans sa chambre...). Il n’est qu’à lire ou relire ses œuvres fameuses : « Les malheurs de Sophie », « Un bon petit diable », « Les petites filles modèles », « Les vacances », « Le général Dourakine » ...
2 Les troupes « prirent leurs quartiers » en s’installant du mieux qu’elles le pouvaient et prioritairement dans les palais et les demeures cossues désertées.
3 Dans mon poème, Rose a su préserver jusque là son précieux chargement de vivres en espérant « refaire le plein » de sa cargaison grâce aux « greniers et entrepôts abondants » de la ville, mais...
4 Un samovar est une bouilloire russe traditionnelle servant au à la préparation du thé.
5 900 lieues, soit 3.600 kilomètres, à pied, de Paris à Moscou !
6 Comme indiqué dans mon poème précédent « Livreur », à l’époque, il n’y avait pas de « chien de guerre », seulement des mascottes.
Exception faite d’un fameux barbet légendaire du nom de « Moustache » (1799/1811) qui, attiré par la musique des tambours, suivit la Grande-Armée. Affecté à la 40e demi-brigade puis au 40e Régiment d’infanterie de ligne et à une unité de cavalerie (cuirassiers), il participa à un grand nombre de campagnes du Consulat et de l’Empire. Grâce à son nez extraordinaire, à son intelligence, à son endurance et à son courage, ce brave chien qui montait la garde et s’engageait au combat comme les soldats déjoua l’ennemi à plusieurs reprises, allant même jusqu’à repérer un espion puis à sauver l’étendard de son régiment à la bataille d’Austerlitz. Il fut officiellement incorporé dans les effectifs de sa Brigade, doté d’un collier portant l’inscription de son régiment et bénéficia de la même ration que celle d’un grenadier, de soins attentifs et d’un toilettage hebdomadaire effectué par le barbier/perruquier de son unité. Infatigable et vaillant combattant, il subit de nombreuses blessures. Il fut décoré (nouveau collier avec médaille en argent) par le Maréchal Lannes et présenté à Napoléon qu’il salua de sa patte ! Il mourut au champ d’honneur fauché par un boulet en Espagne le 11 mars 1811 puis fut enterré avec les honneurs militaires. Sa tombe ayant été profanée, un monument lui est consacré aujourd’hui au cimetière des chiens d’Asnières-sur-Seine.
7 Dès qu’ils se sont installés dans la ville, les hommes n’ont pas manqué de se jeter sur les richesses des magnifiques demeures moscovites, dont les incroyables peaux précieuses et fourrures rares telles, l’hermine, la zibeline, le renard argenté ou le vison. Dans mon poème, Nicolas est on ne peut plus modeste en se contentant d’une peau d’ours après avoir écarté celle d’un loup pour ne pas provoquer Livreur ! Peut-être s’agissait-il là d’un présage hivernal...
8 Dans la nuit du 15 au 16 septembre 1812, éclatent simultanément un peu partout des incendies allumés par les brigands recrutés par le comte Fédor Rostopchine, lequel avait pris soin auparavant de retirer le Corps d’incendie (les pompiers) et de faire détruire les pompes à eau. Cet incendie qui dura plusieurs jours et nuits détruisit 73,7 % de Moscou (7.000 maisons sur 9.500).
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Parmi ces photos, certaines sont tirées du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie. Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Le Comte Fédor Rostopchine
son buste au musée de l'Hermitage
Napoléon regarde Moscou brûler
Napoléon quitte le Kremlin face à la ville en flammes
Plan d'époque de Moscou. En rouge, les quartiers incendiés et détruits
Un samovar
La fille du Comte Rostopchine, Sophie, future Comtesse de Ségur
Illustrations des " petites filles modèles "
et " des malheurs de Sophie "
Son testament
Le légendaire chien " Moustache "
Moustache décoré par le Maréchal Lannes
Moustache présenté à Napoléon
Sa première tombe (profanée) en Espagne
Son mémorial au cimetière des chiens d'Asnières-sur-Seine
Le cimetière d'Asnières
Livreur
" Livreur "
Illustration originale Pierre Barjonet - Septembre 2023 - 40/30 -
Sanguine, craie Conté, fusain et crayons de couleur
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, sur toutes les illustrations)
Gilbert Bécaud & Pierre Delanoë " Nathalie " (1964) : bientôt 60 ans...
Nathalie, en russe " Natalia " avec son diminutif affectueux " Natacha "
N.B. Veiller à ne pas écouter la chanson en même temps que la lecture du poème
afin de ne pas interférer entre les paroles et les textes différents.
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Livreur
En lisière des bois miroitant au soleil,
Surgit enfin la Sainte enluminée d’églises
Parées de mille bulbes dorés sans pareil1,
Conférant à Moscou les vœux qu’on sacralise.
Portant grande tenue2, Nicolas ne tient plus.
Il toise les clochers, les dômes et coupoles,
Moquant ces officiers se signant au surplus3,
En Russes prisonniers, devant leur mégapole.
Soudain s’approche un chien tenant presque du loup,
Surprenant les tambours, bousculant les prières,
Risquant vingt fois la mort, mais ce plaisant filou
Vient rendre à Nicolas sa jolie poudrière4.
Il l’avait égarée ce jour où l’Empereur
Emprunta son tambour, frôlant des remontrances.
Napoléon sourit, nomme le chien « Livreur »
Puis l’offre à Nicolas5 devant la troupe en transe.
Ce sera donc Livreur, répéta Nicolas !
Et les voilà partis en fière concordance,
Fixant à son tambour un lien qu’il bricola,
Vers Moscou, la divine aux greniers d’abondance6...
Mais bientôt la musique assourdie par l’écho
Du silence oppressant de la cité déserte7
Laisse sa part au trot de quelque bourricot
Croisant le défilé, montrant sa croupe offerte.
Livreur grogne des crocs faisant fuir le baudet
Qui s’étale au Kremlin comme une énorme farce.
Nicolas se rengorge en singeant les Cadets8,
Puis, caressant Livreur, embrasse son comparse.
Rose qui a tout vu, sourit à Natacha
Dont le visage grave entrevoit un murmure,
Engourdissant d’un coup la peine que cacha
La voix d’une émotion si forte qu’elle emmure.
Nicolas se retourne en pouffant de bon cœur,
Et fixant Natacha perd du pas la cadence,
Manque de trébucher près du Major9 moqueur,
Et de honte rougit souffrant sa décadence.
Pierre Barjonet
Août 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 1 « Livreur » (Août 2023)
L’approche de la légendaire Moscou laisse un goût de cendres à ces combattants rescapés de leur longue marche, des maladies (dysenterie, typhus...), de la faim, de la soif, des pluies diluviennes et des routes détrempées, comme de la chaleur et de la poussière des chemins, des assauts répétés des cosaques sournois, des incendies des champs, des villages avec leurs vivres et fourrages, et dernièrement de la terrible bataille de la Moskova/Borodino qui, avec son total de 70.000 hommes hors de combat** offrit aux rapaces un festin d’horreur tragique...
** Ce total de 70.000 tués ou blessés se décompose en 40.000 Russes et pour la Grande-Armée, en 30.000 Français, dont 49 généraux et 100 colonels !
C’est le 14 septembre 1812 vers 13 heures par une belle journée, qu’enfin, la troupe découvre Moscou. La ville sainte (voir mes notes de lecture ci-après) s’offre aux regards du haut du Mont Poklonnaïa dans un contraste incroyable au sortir des bois, plongeant les hommes abasourdis dans une vision presque surnaturelle tant la ville offre de milliers de clochers, de bulbes et de dômes scintillant d’or, d’argent, de vert, de pourpre, de grenat et de bleu se confondant dans un ciel éblouissant d’or et d’azur.
Napoléon surexcité, s’attendait à voir se présenter à lui, une délégation de notables conduite par le gouverneur/maire lui remettant les clés de la ville, mais il n’en fut rien. À l’étonnement succéda la colère sourde de l’Empereur qui ordonna que la Garde pénètre dans Moscou. Mais à part quelques escarmouches provoquées par des bandits et brigands sortis tout juste de leurs cachots par les autorités Russes précédant leur fuite, seul un assourdissant silence lui fit écho...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 « Moscou la sainte » comprenait alors 329 églises - dont seulement 122 furent épargnées de l’incendie qui suivit - lesquelles étaient dotées de coupoles dorées et de bulbes multicolores symbolisant dans la religion orthodoxe, la flamme des bougies sacrées s’élevant vers le ciel. De fait, chaque église était surmontée de plusieurs bulbes d’or, d’où le millier de toits que j’évoque dans mon poème. À ces clochers s’ajoutent des minarets musulmans et les tours des remparts ceinturant la ville. Lesquels s’alignaient sur neuf lieues, soit 36 kilomètres !
2 Afin de faire une entrée remarquée dans Moscou, l’ordre avait été donné de revêtir sa grande tenue. Ce fait n’était pas exceptionnel, car l’arrivée de la Grande Armée dans une ville conquise se devait d’impressionner les habitants en marquant les esprits par une parade militaire aussi prestigieuse que les revues données au palais des Tuileries à Paris. Il convient de noter que l’une des traditions de la Garde impériale était de revêtir la grande tenue pour aller au combat !
3 Arrivant devant Moscou, du haut de la colline du salut ou Mont Poklonnaïa, tout bon Moscovite devait s’incliner et se signer plusieurs fois. Moscou était la ville sainte. Ce fut donc le cas des prisonniers russes, officiers en tête, apercevant leur ville auprès de la Grande-Armée. Cette colline a été intégrée à Moscou en 1936, puis transformée en parc de la victoire contre les troupes napoléoniennes, avant que d’être définitivement arasée en 1987 avec l’ajout d’un mémorial de la victoire contre l’Allemagne nazie.
4 La poudrière faisait partie intégrante de l’équipement des fantassins munis de fusil, mais Nicolas, pourtant Tambour (disposant cependant d’un court « sabre-briquet ») en avait obtenu une, lui servant au rajout de poudre dans sa soupe !
5 À l’époque, il n’y avait pas de « chien de guerre », seulement des mascottes. Exception faite d’un fameux barbet légendaire du nom de « Moustache » (1799/1811) dont je parlerai dans un prochain poème. Les chiens de guerre qui existaient déjà dans l’antiquité sont des chiens utilisés par les armées pour différentes missions de reconnaissance, de détection, de messagerie, de transport, d’intimidation et de combat, voire de sacrifice (les Soviétiques en équipaient d’explosifs pour les envoyer s’exploser sous des chars allemands durant la dernière guerre). Ils ont payé un très lourd tribut durant la guerre de 1914/1918.
6 La Grande-Armée s’imaginait à tort s’approvisionner en nourriture et fourrage dans Moscou soumise... De fait, s’apercevant qu’il n’y avait pas de réserves - sans parler qu’avec les incendies qui se déclarèrent dès le soir du 15 septembre 1812, tout fut détruit - les soldats enfreignirent les ordres de Napoléon en se livrant au pillage, et pas seulement de vivres (!) pour le peu qu’il en restait.
7 La population, dans sa quasi-totalité, a quitté la ville, laissant un goût amer à Napoléon qui s’imaginait défiler en vainqueur devant des notables lui remettant les clefs de Moscou, comme il en avait l’habitude à chaque conquête précédant une entrée triomphale... Ne restaient que 6.000 personnes, dont des vauriens et des prisonniers lâchés dans les rues, sur les 275.000 habitants de Moscou.
8 Les cadets étaient des élèves officiers de l’ancien régime en France, mais surtout comme ici, des élèves du « Corps impérial d’infanterie des cadets gentilshommes », formés à l’École de Saint-Pétersbourg.
N.B. Je vous conseille la visite de l’incroyable cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois où sont inhumés selon leurs traditions 15.000 Russes ayant fui la révolution bolchévique de 1917, des membres de la famille impériale de Russie, des cadets, ainsi que des réfugiés et résistants de la 2e guerre mondiale. Le talentueux danseur étoile Rudolf Noureev y est également enterré.
Lien vers le site Time&Note qui fournit la liste de quelques noms célèbres :
https://timenote.info/fr/Cimetiere-russe-de-Sainte-Genevieve-des-Bois
9 Il s’agit du tambour major qui remplit la fonction de diriger la formation musicale, à ne pas confondre avec son grade, généralement celui d’un sous-officier comme adjudant ou adjudant-chef. Il possède une canne symbolisant sa fonction et l’aidant à diriger ses musiciens.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Parmi ces photos, certaines sont tirées du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie. Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Napoléon dominant Moscou depuis le Mont du Salut
Vue du Kremlin
Médaille commémorative de l'entrée de Napoléon à Moscou
Tambour major de la Garde (reconstitution 1er Empire)
Vues du cimetière de Sainte-Geneviève-des-bois
Le Grand-Duc Georges Mickhaïlovitch visitant les tombes impériales des Romanov
Et... Vladimir Poutine honorant avec sa femme en 2000
la mémoire de la princesse Véra Obolensky (1911/1944)
résistante martyre guillotinée par les nazis...
Sa visite en France, pour la 1ère fois, correspondait à la réunion
du sommet de l'Union européenne-Russie
car la France exerçait alors la présidence des Quinze.
Notons que Paris et Moscou entretenaient déjà des relations tendues
depuis le début de l'opération russe en Tchétchénie,
opération dont la France dénonçait les méthodes...
La tombe incroyable du danseur étoile Rudolf Noureev (1938/1993)
qui souhaitait être enseveli sous un tapis Kilim figurant ses racines orientales
(Le tapis est entièrement réalisé en mosaïque !)