La blanchisseuse
Henri de Toulouse-Lautrec " La Blanchisseuse "
" Un jour mon prince viendra... "
La blanchisseuse
Poussant comme un trophée sa brouette au lavoir,
Elle chante en passant à portée de Laurine,
Lui prenant ses tenues de finesse d’ivoire,
Car elle est réputée, la rousse Victorine.
Elle a fait son chemin, ne se contentant plus
D’éclabousser son corps en trimant sans méninges.
Et c’est en se traînant un soir qu’il avait plu
Que Jean la fit asseoir en déposant son linge.
Laurine l’accueillit, lui réchauffa le cœur,
Puis en la consolant, lui offrit d’autres tâches.
Séchant la lavandière honteuse quis’écoeure,
La voici qui s’émeut, la berce et se l’attache.
Ne couchant plus les draps, mais caressant l’exploit
De laver des dessous de finesse brodée,
Elle rince son sort en ce nouvel emploi,
Délaissant le chiendent de l’enfance érodée.
— Par le linge au cuvier, je vivais en enfer,
Rincé dans le lavoir, c’était mon purgatoire,
Séché dans la prairie, paradis m’est offert…
— Oui, chante Victorine et jette ton battoir !
Henri lui a souri quand il avait chuté
Sur l’un de ces savons glissant comme à Marseille,
Et qu’en se redressant sa cane avait buté
Troussant la blanchisseuse en froufrous qui sommeillent.
Depuis ils se sont vus en lavant leur vertu
Dix-neuf rue Pierre Fontaine en onde qui s’égoutte
Sans épancher le jeu de leur bonheur vêtu
D’eau fraîche et de fusains, d’alcool en goutte-à-goutte.
Heureuse elle détache en cendres son oubli
De la crasse des buées comme autant de lessives
Et pose sa candeur pour son peintre établi
Au rythme du cancan d’affiches transgressives.
Ses cheveux qu’il essore en autant de dessins
Déteignent sur la toile en coloration rousse.
Étendue, dévêtue, mais pudique à dessein,
Victorine l’enflamme comme un feu de brousse.
Pierre Barjonet
Mars 2019
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