Fumets
" Moscou brûle "
Illustration originale Pierre Barjonet - Septembre 2023 - 40/30 -
Sanguine, fusain, craies et crayons de couleur
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, sur toutes les illustrations)
Musique du film " Gladiator " (extrait : La bataille)
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
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Fumets
« Ivres, c’est bien certain ! Ces malheureux forbans
Qui tirent sur nous autres ne sont que vermine,
Et coquins de cachots, de vodka s’absorbant. »
S’emporte Nicolas pour qu’on les extermine1.
Mais on choisit plutôt de les jeter à l’eau1,
Pour cuver leur alcool, leur haine de canailles...
Il tient serré Livreur guettant ces « animaux »,
Attendant de charger pour les prendre en tenailles.
Car il faut avancer, se fondre dans Moscou,
Assurer son bivouac en trompant sa fatigue.
Et voici qu’un palais s’offre là, tout d’un coup
Laissant chacun de marbre en ce décor prodigue2.
Bientôt s’y pose Rose ouvrant sa cargaison3,
Alimentant le jeu des hommes disponibles,
Heureux de la corvée du bois dans la maison,
De l’eau du samovar4 à nul autre impossible.
Puis chacun se régale assoiffé du fumet
De soupe grasse aux choux et d’un faisan de plaine.
Livreur qui frétillait tandis qu’on le plumait
Déguste enfin sa part en plat de porcelaine.
Neuf cents lieues de Paris5 ne changent pas la nuit,
Ni le soldat qui dort en rêvant de sa mère,
Fantassin qui se croit délivré de l’ennui
Des labours au pays ou de la pêche en mer.
Mais Livreur6 a senti la rougeoyante odeur,
Qui plane dans les rues puis étreint la bâtisse,
S’infiltre dans les draps, tel le fil d’un brodeur
Galonnant le linceul de ceux qu’ils combattissent.
Il aboie tant et tant qu’il en bave d’effroi,
Réveille son foyer puis continue sa course
Et lèche Natacha qui garde son sang-froid,
Entraîne Nicolas lové dans sa peau d’ours7.
Et tous de dévaler au jardin dévoré
Par d’ardentes lucioles brûlant la pénombre.
Médusés ils regardent le ciel perforé
Par l’incendie fatal à la ville qui sombre8.
Pierre Barjonet
Septembre 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 2 « Brasier », Poème 2 « Fumets » (Septembre 2023)
Le 14 septembre 1812 après avoir logé sommairement dans une maison de bois du faubourg Dorogoumlov, Napoléon franchit les remparts par la tour Troitskaya le 15 à 6 heures du matin et rejoint aussitôt le Kremlin où il prend possession des appartements du Tsar. Mais vers cinq heures du soir éclatent partout des incendies dont on saura rapidement qu’ils ont été allumés par plusieurs centaines de prisonniers tout juste libérés par le gouverneur/maire de la ville, le Comte Fédor Vassilievitch Rostopchine (1763/1826), avant qu’il ne quitte la ville, avec mission de brûler intégralement Moscou. De fait, on reportera longtemps la responsabilité de l’incendie de Moscou sur les épaules de Napoléon 1er...
Alors qu’on pensait circonscrire rapidement ces incendies après avoir fusillé les incendiaires, on découvre qu’il n’existe plus aucun moyen de les éteindre, faute de pompes à eau emportées par les Russes ou sabotées et du fait des constructions en bois dans des espaces contigus, sans oublier le vent qui soufflait en rafales. À quatre heures du matin, le feu est partout, ayant déjà pris la moitié de la ville illuminée comme en plein jour. En rage, Napoléon s’écrie : « Cela dépasse tout. C'est une guerre d'extermination, c'est une tactique horrible, sans précédent dans l'histoire de la civilisation. Brûler ses propres villes ! Le démon inspire ces gens. Des barbares ! Quelle résolution farouche, quelle audace ! Quel peuple ! Des Scythes, ce sont des Scythes !»
L’empereur doit quitter le Kremlin pour loger au château de Pétrovskoié les 16 et 17 septembre, avant que de revenir au Kremlin où il séjournera un mois jusqu’au 19 octobre 1812.
N.B. S’il occupe la chambre du Tsar, il refuse de dormir dans son lit qu’il qualifie de grosse meringue et lui préfère son propre lit de camp de bivouac.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 À la suite de sa défaite à Borodino (ou Moskova, comme déjà dit) l’armée russe ayant abandonné la défense de Moscou pour mieux de préserver, la ville se vida de 98 % de ses habitants (269.000 sur 275.000). Le gouverneur général de la ville, le comte Fédor Rostopchine (père de la future comtesse de Ségur** NDLR), fit libérer environ 800 prisonniers des prisons de Moscou et d’ailleurs en vue de faire feu sur les Français, mais surtout, de mettre le feu à Moscou à près de 500 endroits. Lorsque la Garde impériale précédant les troupes de la Grande-Armée fit son entrée à Moscou le 15 septembre 1812, elle fut confrontée à des tireurs plus ou moins isolés, des malfaiteurs ivres, hirsutes et maladroits. Ils furent aussitôt désarmés, chassés et certains furent précipités dans le fleuve.
** Sophie Rostopchine (1799/1874), Fiodorovna Rostoptchina, fille du comte Fédor Rostopchine, fut élevée comme il se doit pour une très grande famille de l’aristocratie russe proche du Tsar. Sa mère fut demoiselle d’honneur de Catherine II et son père, outre le titre de gouverneur général de Moscou, exerça sous le règne de Paul 1er comme lieutenant général d’infanterie puis ministre des Affaires étrangères. Les biens du comte s’élevaient à 45.000 hectares tenus par 4.000 serfs ! Polyglotte, elle parlait couramment 5 langues dont évidemment le français que la noblesse russe préférait à sa langue.
Témoin à distance de l’incendie de Moscou qu’elle quitta avec la population, elle dira « J’ai vu comme une aurore boréale sur la ville ».
Son père ayant subi (momentanément) la disgrâce du Tsar à la suite de l’incendie de Moscou, que nombre de Moscovites ne lui pardonnèrent pas, elle le suivit dans son exil, d’abord en Pologne, Allemagne, Italie puis enfin, en France.
Âgée de 19 ans, elle fit la connaissance du comte Eugène de Ségur qu’elle épousa (N.B. Son grand-père a été ambassadeur de France en... Russie ; ça ne s’invente pas !)
Elle nous est connue pour son goût tardif (à 50 ans passés) pour la littérature avec ses romans et ses contes moraux dédiés à ses petits-enfants. Ses ouvrages évoquent indirectement sa propre enfance particulièrement malheureuse sous le joug d’une mère sévère, intransigeante et tyrannique, et plus tard... de sa belle-mère). Elle fut en effet, élevée, très durement subissant des châtiments humiliants et physiques (frappée, privée de nourriture, de boisson, de vêtements chauds, maltraitée en public et enfermée dans sa chambre...). Il n’est qu’à lire ou relire ses œuvres fameuses : « Les malheurs de Sophie », « Un bon petit diable », « Les petites filles modèles », « Les vacances », « Le général Dourakine » ...
2 Les troupes « prirent leurs quartiers » en s’installant du mieux qu’elles le pouvaient et prioritairement dans les palais et les demeures cossues désertées.
3 Dans mon poème, Rose a su préserver jusque là son précieux chargement de vivres en espérant « refaire le plein » de sa cargaison grâce aux « greniers et entrepôts abondants » de la ville, mais...
4 Un samovar est une bouilloire russe traditionnelle servant au à la préparation du thé.
5 900 lieues, soit 3.600 kilomètres, à pied, de Paris à Moscou !
6 Comme indiqué dans mon poème précédent « Livreur », à l’époque, il n’y avait pas de « chien de guerre », seulement des mascottes.
Exception faite d’un fameux barbet légendaire du nom de « Moustache » (1799/1811) qui, attiré par la musique des tambours, suivit la Grande-Armée. Affecté à la 40e demi-brigade puis au 40e Régiment d’infanterie de ligne et à une unité de cavalerie (cuirassiers), il participa à un grand nombre de campagnes du Consulat et de l’Empire. Grâce à son nez extraordinaire, à son intelligence, à son endurance et à son courage, ce brave chien qui montait la garde et s’engageait au combat comme les soldats déjoua l’ennemi à plusieurs reprises, allant même jusqu’à repérer un espion puis à sauver l’étendard de son régiment à la bataille d’Austerlitz. Il fut officiellement incorporé dans les effectifs de sa Brigade, doté d’un collier portant l’inscription de son régiment et bénéficia de la même ration que celle d’un grenadier, de soins attentifs et d’un toilettage hebdomadaire effectué par le barbier/perruquier de son unité. Infatigable et vaillant combattant, il subit de nombreuses blessures. Il fut décoré (nouveau collier avec médaille en argent) par le Maréchal Lannes et présenté à Napoléon qu’il salua de sa patte ! Il mourut au champ d’honneur fauché par un boulet en Espagne le 11 mars 1811 puis fut enterré avec les honneurs militaires. Sa tombe ayant été profanée, un monument lui est consacré aujourd’hui au cimetière des chiens d’Asnières-sur-Seine.
7 Dès qu’ils se sont installés dans la ville, les hommes n’ont pas manqué de se jeter sur les richesses des magnifiques demeures moscovites, dont les incroyables peaux précieuses et fourrures rares telles, l’hermine, la zibeline, le renard argenté ou le vison. Dans mon poème, Nicolas est on ne peut plus modeste en se contentant d’une peau d’ours après avoir écarté celle d’un loup pour ne pas provoquer Livreur ! Peut-être s’agissait-il là d’un présage hivernal...
8 Dans la nuit du 15 au 16 septembre 1812, éclatent simultanément un peu partout des incendies allumés par les brigands recrutés par le comte Fédor Rostopchine, lequel avait pris soin auparavant de retirer le Corps d’incendie (les pompiers) et de faire détruire les pompes à eau. Cet incendie qui dura plusieurs jours et nuits détruisit 73,7 % de Moscou (7.000 maisons sur 9.500).
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Parmi ces photos, certaines sont tirées du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie. Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Le Comte Fédor Rostopchine
son buste au musée de l'Hermitage
Napoléon regarde Moscou brûler
Napoléon quitte le Kremlin face à la ville en flammes
Plan d'époque de Moscou. En rouge, les quartiers incendiés et détruits
Un samovar
La fille du Comte Rostopchine, Sophie, future Comtesse de Ségur
Illustrations des " petites filles modèles "
et " des malheurs de Sophie "
Son testament
Le légendaire chien " Moustache "
Moustache décoré par le Maréchal Lannes
Moustache présenté à Napoléon
Sa première tombe (profanée) en Espagne
Son mémorial au cimetière des chiens d'Asnières-sur-Seine
Le cimetière d'Asnières
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