Cendres
" Les cendres de Smolensk "
Illustration originale Pierre Barjonet - Janvier/Juillet 2023 - 40/30 -
Sanguine, pierre noire, craie Conté et crayons de couleur
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, sur toutes les illustrations)
Frédéric CHOPIN, Polonaise " Military ", pour piano, par Samson Françoise, opus 40, N°1 in A major
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Cendres
« Enfin, nous y voilà ! » se réjouit Nicolas.
Et tandis qu’il chantonne accompagnant sa caisse,
Il livre son combat comme un apostolat,
Faisant pleurer le cuir de son tambour qu’il blesse.
Les ordres sont frappés1 portant aux divisions
D’aligner en cadence une averse de balles
Précédant la giclée du sang sous l’incision
Des sabres affamés de charges cannibales.
Un boulet2 roule aux pieds, portant bat la terreur
De se voir démembré, renversé comme quilles,
Haché tel un pigeon fusillé par erreur,
Mais Nicolas le prend pour le montrer aux filles.
Rose reste en retrait protégeant Natacha,
Clignant des yeux brûlés par le souffle des armes
Poudrées d’un vent de soufre, et des feux que cracha
Le siège de Smolensk3 en sa nuit qui s’alarme.
Nicolas l’aperçoit, accourant l’embrasser,
Lui offre son boulet, moque son air fébrile,
Et visant Natacha, tente de décrasser
La noirceur du museau, sa candeur en péril.
Il repart guilleret, songeant que le destin
Sous ses airs de forban sait se montrer prodigue,
Puis court vers l’aventure au fumet de festin
Alimentant sa gloire et chassant sa fatigue.
De jour comme de nuit, le traîneau meurtrier
De la Grande Faucheuse4 encombre le passage
Des guerriers abreuvés par la gueule à crier
Des canons déchaînés en bordées de brassage.
On porte un général5 qu’un canon mutila
À deux pas du chariot de Rose et de « sa » fille,
Et l’Empereur s’émeut du regard qu’enfila
Son soldat compagnon qui souffre et qui vacille.
« Que la guerre est injuste ! » Se dit là, l’Empereur,
Fustigeant l’inaction d’un Junot empathique6,
Récompensant pourtant, trahissant sa fureur,
De simples grenadiers au parcours sympathique7.
Pierre Barjonet
Avril 2023
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 1 « Marchons », Poème 9 « Cendres » (avril 2023)
En ce mois d’août 1812, poursuivant sa route toujours plus à l’Est, Napoléon parvient enfin en vue de Smolensk - ville de 12.600 habitants autrement plus élaborée que les autres cités telle Vitebsk faite entièrement en bois - et de l’armée russe qu’il suppose protégeant la ville et sa sainte relique à l’abri de ses remparts, de ses tours et des batteries d’artillerie installées en hauteur sur la rive opposée. Il compte bien l’encercler et la mettre rapidement hors de combat en prenant la ville. D’autant que Napoléon connaît l’ancienne prophétie de Smolensk « la Sainte », la clé de Moscou, annonçant « de grands malheurs à la Russie le jour où elle laissera prendre Smolensk ».
Seulement, si la Grande Armée qui prit position sous les murailles dans le « champ sacré » le 16 août 1812 parvint rapidement, mais non sans mal dans un combat sanglant, à prendre la ville le 17, grâce aux trois corps d’armée de Ney, Poniatowski et de Davout, grande fut sa surprise de n’y trouver le 18 l’armée russe qui venait de l’évacuer, sans oublier d’y détruire pont et réserves de vivres en y mettant le feu... La prise de Smolensk aurait pu être évitée si l’Empereur l’avait contournée en franchissant le Dniéper deux lieues en amont comme l’avait suggéré le général Éblé et elle aurait épargné 12.000 morts et blessés, d’autant que le général ennemi, Barclay de Tolly, l’aurait évacuée pour se porter rapidement vers Moscou afin de ne pas être coupé du reste de l’armée... Mais l’Empereur était pressé d’en finir.
Et c’est à proximité de Smolensk, à Valoutina qui vit l’armée russe engagée avec armes et bagages dans un défilé étroit, que le Maréchal Ney engagea une bataille malgré le nombre largement supérieur de l’armée russe. Malgré sa demande urgente relayée par le roi Murat et des aides de camp, d’obtenir l’aide du VIIIème corps de Junot, pourtant présent à une lieue à peine, celui-ci ne bougea pas, arguant du fait qu’il n’en avait pas reçu l’ordre de l’Empereur.
Et c’est là que l’héroïque général Gudin faisant acte de bravoure d’une rare intrépidité se porta à l’assaut des positions formidables ennemies et fut fauché par un boulet de canon.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Les fantassins Tambours battent leur caisse afin de porter les ordres aux troupes le plus vite possible, malgré le bruit omniprésent de la bataille.
2 À l’époque, les boulets pleins pesant selon les canons employés, de 4 à 12 livres (5,8 kg pour un diamètre de 12 cm), fracassaient tout ce qu’ils rencontraient directement ou par ricochet, et ce, de 800 m à 1600 m ! Ils étaient préférés aux « boulets fusants » qui, chargés de poudre, explosaient (comme les obus actuels), mais dont il fallait aux artilleurs calculer le temps mis durant leur trajectoire pour adapter en conséquence la longueur de leur mèche associée. N’oublions pas que le jeune Bonaparte s’était fait un nom comme officier artilleur de talent... À Waterloo, l’une des causes de la défaite française tient au mauvais temps et à la pluie qui ayant détrempé de boue les sols, empêcha le rebond des boulets pleins.
3 Parvenu le 16 août 1812 sous les remparts de Smolensk, l’Empereur donne l’ordre de prendre la ville où les Russes se sont repliés, avant de la quitter rapidement après y avoir mis le feu. Cette bataille du même nom (du 16 au 18 août), ainsi que d’autres combats alentour dont la bataille de Valoutina Gora fut particulièrement meurtrière et n’offrit pas à Napoléon, malgré sa victoire technique (conservant le terrain et ayant subi le moins de victimes) l’avantage qu’il escomptait sur les Russes, ni la prise de vivres et provisions de la ville qui brûla presque entièrement.
4 6 à 7.000 tués ou blessés de chaque côté pour la bataille de Valoutina Gora (19 août) où le général français, Charles Etienne Gudin perdit la vie et 700 morts pour 3.200 blessés français sur 175.000 engagés lors de la bataille de Smolensk et 4.700 morts, 8.000 blessés et 2.000 prisonniers dans le camp adverse sur 130.000 Russes engagés.
5 Il s’agit du général César Charles Étienne Gudin de la Sablionnère, Grand Aigle de la Légion d’honneur (1768/1812) qui fut tué au combat, fauché par un boulet de canon qui lui arracha les jambes. Il mourut le 22 août 1812 à Smolensk des suites de ses terribles blessures reçues à Valoutina, après avoir reçu la visite de l’Empereur dont il était le condisciple à l’École militaire de Brienne. Comte de l’Empire, il était très estimé de Napoléon, qui lui consacra une oraison funèbre 🇫🇷 et dota sa veuve et ses enfants les faisant Barons d’Empire. Le Maréchal Davout le pleura.
🇫🇷 « le général Gudin était un des officiers les plus distingués de l'armée ; il était recommandable par ses qualités morales autant que par sa bravoure et son intrépidité »
L’actualité récente remit en lumière ce héros de l’Empire, car des fouilles archéologiques franco-russes conduites à Smolensk permirent de retrouver les restes de soldats et de chevaux, dont les ossements du général Gudin découverts le 10 juillet 2019. À la suite de l’analyse des os comportant des traces de coups correspondant à ses blessures, ainsi que la pratique de tests ADN sans équivoque comparés aux dépouilles de son frère et de sa mère, il fut établi qu’il s’agissait bien du général Gudin.
Le retour de ses restes marqua également l’actualité, car l’Élysée tergiversa après son refus un temps d’organiser une cérémonie aux Invalides, puis de l’accepter finalement le 9 juillet 2021 pour un hommage officiel suivi d’une inhumation militaire aux Invalides le 2 décembre 2021. Voir mes illustrations ci-après.
6 Le déroulement de ces combats est difficile à suivre. Entre le dessein initial de Napoléon de piéger les Russes à Smolensk, les revirements tactiques des Russes, le courage et la résistance des Russes à Valoutina qui étonnèrent Napoléon, les erreurs de certains de ses seconds dont la coupable hésitation du général Junot🗨, pourtant pressé d’attaquer par Murat, enfin, l’abandon de la ville par les Russes qui la brûlèrent avec ses vivres et parvinrent à se sortir de la nasse en préservant le gros de leurs troupes, rien ne fonctionna comme prévu. Napoléon eut des mots très durs contre Junot et le rendit responsable dans « Le Moniteur 🗨 » de la fuite des Russes par son inaction, alors qu’il aurait pu en finir une bonne fois pour toutes s’il avait engagé son VIIIe Corps !
🗨 Le Moniteur était le journal officiel de l’Empire et le premier instrument de propagande de Napoléon 1er.
🗨 Général Jean Andoche Junot, Duc d’Abrantès (1771/1813)
7 L’Empereur passant les troupes du général Gudin en revue, impressionné par les victimes en nombre, mais aussi par leur esprit combatif au combat, malgré le grand nombre de pertes et leur réelle fatigue, distribua récompenses, gratifications, avancement et décorations en prenant le temps d’honorer de sa présence ces hommes de troupe.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Bataille de Smolensk
Bataille de Valutino
Smolensk en feu
Général Charles Étienne GUDIN
Bataille de Valutino
où le général Gudin fut frappé mortellement par un boulet de canon
Ses restes retrouvés à Smolensk en 2019
Le retour de ses cendres de Russie en France
209 ans après...
Vidéo à Moscou
Photo à Moscou
Vidéo à Paris
Honneurs funèbres militaires rendus au général Charles Étienne GUDIN
mort au combat lors de la Campagne de Russie en 1812,
aux Invalides (Paris) le 2 décembre 2021
Retour en France en photos
Son buste aux Invalides
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