Poème
Bourdon du Nouvel An
"La liste de Schindler"
En principe le Nouvel An se fête dans la joie, ce que je souhaite de tout mon coeur à chacun d'entre vous.
Mais parfois, ou trop souvent hélas, il arrive que le sort plonge les survivants d'une disparition dans la triste solitude de la mémoire des temps heureux.
C'est en pensant à eux, veuves et veufs, que je dédie ce poème assez sombre comme les saisons qui passent en effeuillant les printemps blanchis par la neige des années qui tournent.
Mais l'An Neuf, en éternel recommencement, est non dénué d'espoir dans la vie qui se renouvelle dans la lumière partagée d'amour, de bonté et de beauté.
Pierre
Bourdon du Nouvel An
La plaine a le bourdon des fleurs de pissenlit
Dont les racines sombrent dans l’ombre éphémère
Des prés juste couverts du givre que relie
L’esprit des vieux amants blottis quand ils s’aimèrent.
Laissant au vent du Nord les bruyères d’hiver
Se moquer des parures froissées des aigrettes,
Les gentianes figées par le froid que rivèrent
Les morsures de glace oublient qu’on les regrette.
Les colchiques violets trompent de leur poison
La ciguë des prairies, le gui, le chèvrefeuille,
Attirant les brebis, tremblant sous leur toison
Quand la fièvre s’en mêle avant la millefeuille.
Les Ferrandaises sonnent depuis le château
Quêtant l’étable chaude en ruminant de cesse
Que de marquer l’empreinte des flancs du plateau,
Dodinant de la robe en écu de princesse.
Perçant de leurs pensées le tourbillon sans fin
Des flocons déchaînés en un curieux manège,
Les lupins stimulés par un plaisir non feint
Foulent les pâquerettes enivrées de neige.
La bourrasque s’acharne sur les toits de lauze
Mugissant de concert à l’enclume des ruines
Et d’un cuir de calèche au loin, qui s’ankylose
Frissonnant à l’aplomb de l’horizon qui bruine.
Plus bas ce sont les pins qui grondent dans le soir
Sculptant la mort qui rode en voile sans atomes
Naufrageant l’imprudent abandonnant Issoire,
Courbé comme un berger repoussant des fantômes.
L’orgue des grands sapins aboie ses cliquetis
Que vient cingler la fin de l’année qui s’incline,
S’éteignant dans la nuit, se faisant tout petit
Laissant place au silence en heures qui déclinent.
Sortant de l’appentis, rechargeant le Cantou,
La veuve qui s’engouffre en poussant la braisière
Regarde sans ciller la comtoise au matou
Qu’égrènent ses châtaignes s’ouvrant en lisière.
Flambe la cheminée quand le tison s’étend,
Surprenant à minuit cet an neuf qui se lève,
Bordant sa crémaillère des marques du temps,
Revigorant l’espoir en un vœu qui s’élève ?
Pierre Barjonet
Décembre 2019
Gammes de songes

Souvenirs de petits concours d'enfance, au piano...
J.S. Bach " Concerto en ré mineur - Adagio converti piano BWV 974 "
Gammes de songes
Mes notes se mêlent complices,
Aux gammes d’automne en supplice,
Bercées d’éphémère titraille,
Châtaignes bordées de mitraille,
Effluves trempés du grimoire
Enfoui dans ma tendre mémoire.
Mes gammes s’accordaient dociles
Lissant dans un tempo fossile
La portée du jeu qui s’accroche
Aux accords des horribles croches
Avant que de goûter l’épreuve
D’un clavier fuyant comme un fleuve.
Remords d’une enfance un peu sage
Honteuse de jouer sans message
Fiévreuse de ne chercher noise
Aux maîtres notant mon ardoise,
Relevant le trouble des notes
Pressant ma force de menottes.
Songeant à mon piano d’enfance,
Écho des années que n’offensent
Les nuances des tierces farouches,
Jalouses des quintes qui louchent,
S’éveille ma fibre d’automne
Livrant ce refrain que j’entonne.
Pierre Barjonet
Novembre 2019
Marché
Marché
Je me pressais contre les étals,
Guidé par le parfum des olives,
Heurtant parfois de frêles solives
Arrimées à des poids de métal.
Je chapardais une jeune fraise
Orpheline entre deux gros melons,
Évitant de justesse un frelon,
Et succombant à son cœur de braise.
Je m’inquiétais des festins d’hiver,
De la table enrubannée de fêtes,
De l’andouille ou du pâté de tête,
Pour rassasier le fier Gulliver.
Je retroussais les cloisons de toile
Emprisonnant de folles senteurs
Cueillies sur les terres de planteurs,
Piégées au sein de l’ombre des voiles.
Je m’inondais des reflets d’argent
De l’épée d’espadons exotiques
Perdus dans la glace chaotique
D’un vieux poissonnier les déchargeant.
Je m’envolais au-delà des rives
Des citrons et juteux ananas,
Des cannes à sucre que l’on fana,
Sans les pamplemousses à la dérive.
Je m’imprégnais d’effluves du ciel
De ces gâteaux parsemés d’épices.
D’amandes et pignons si propices
Aux saveurs sublimées par le miel.
Je salivais devant les terrines,
Médaillons de chevreuils mordorés,
De cailles et de faisans dorés,
Par les couleurs ambrées des verrines.
Je vacillais devant le Beaufort,
Ou la Belle des champs loin des moines
Priant au temple du patrimoine,
En me damnant dans ce château fort.
Je m’écartais de la citronnelle,
Recherchant les sucs d’un petit vin,
D’un cépage oublié, mais divin,
D’un breuvage enfoui sous la tonnelle.
Je m’enfonçais, porté par le vent
Ondulant aux clameurs de la foule
Et des bonimenteurs sous la houle,
Puis, me hâtai sous les paravents…
Pierre Barjonet
Janvier 2019
Talents
Talents
Je suis fervent de ces talents
Qui n’ont aucun équivalent,
Tels, Léonard sculptant l’hélice
Depuis son jardin des délices,
Canaletto sans farandole
Teintant le masque des gondoles,
Les opéras de Rossini
Représentés en Virginie,
Le clair-obscur non sans ravage
Plombant l’exil du Caravage,
L’acteur de la Sérénissime
Masquant sa vertu rarissime,
De Dante l’Antepurgatoire,
Sellette en interrogatoire,
Murs en trompe-l’œil sur la genèse
Pigmentés de vert Véronèse,
Les crescendo de Vivaldi
Aux crins d’archet qui rebondit,
Sainte Pietà de Michel-Ange
Artisan du marbre d’archanges,
Rome en sa Villa Médicis
D’albâtre que les temps noircissent,
Je suis épris de l’Italie
Portée par la Muse Thalie.
Pierre Barjonet
Janvier 2019
Brisures
Brisures
J’avais rêvé de Perceval,
De la forêt de Brocéliande,
Et de la quête du Saint Graal,
En m’enfouissant dessous la Lande.
Mais ce n’était que noble songe,
Noyé dans l’onde des brisures
J’avais emprunté le décor
De Roncevaux brisant la foudre,
Soufflant avec Roland du cor,
Par son destin couvert de poudre.
Mais ce n’était que preux qui songe,
Perdu dans l’écho des brisures.
J’étais tombé sous l’acacia
Perlant de sang l’or de ses gemmes,
En condamné que l’on gracia
Devant la Vierge que l’on aime.
Mais ce n’était que trop pieux songe,
Priant dans l’ombre des brisures.
J’étais allé sur le Delta
Rechercher la double couronne
Que Cléopâtre récolta
Avant que la mort ne résonne.
Mais ce n’était que trop vil songe
Enseveli sous les brisures.
J’avais gravi l’Himalaya
Grâce à ma canne en sycomore,
Sacrifiant comme les Mayas
Le cœur d’amour qui n’est pas mort.
Mais ce n’était qu’un triste songe
Désespéré par les brisures.
J’avais recouvert mon chemin
D’un mandala fleuri de poudres,
Cueillant l’encre des parchemins
Que la pluie ne puisse dissoudre.
Mais ce n’était qu’un de mes songes
Non de sommeil, que de brisures.
Pierre Barjonet
Janvier 2019
Tendresse bleutée
Mon amie Laurence "Ofildelo" ( https://ofildelo.blog4ever.com )
m'ayant suggéré d'écrire un poème s'inspirant de cette toile réalisée tout récemment
" Fleurs au vase bleu "
je me suis donc mis à l'ouvrage en le lui dédiant
avec ses mots fort justes que je reprends dans la 7ème strophe.
À Laurence, avec ma reconnaissance,
Pierre
Tendresse bleutée
Suffoquant sous le plomb d’un ciel pavé de nuages,
Nageant sous les soieries d’un ouvrage crissant
A chaque mouvement d’un buste attendrissant,
Dodelinant du chef, s’éventant sous l’orage,
Jade n’en pouvait mais, sans air étoufferait.
Par les rideaux tirés laissant perler la brise,
Retroussant la tiédeur assombrie du couloir,
Forçant l’écume morne des parfums d’un soir,
Découvrant la moiteur d’une coupe à cerises,
L’air enfin délivré sans un bruit s’engouffrait.
Le jardin s’était pris au jeu du crépuscule,
Le parterre enfilait ses atours de valeur,
Escaladant la vigne en quête de fraîcheur,
Contournant le bosquet cloîtré de canicule,
Jade encore étourdie, près des fleurs, se rongeait.
Lors, la lune engageait son onde de lumière
Coulant sur la façade en un reflet d’ivoire,
Chevauchant l’ombre fine sans tain d’un miroir,
Bleuissant les volets, brusquant rose trémière,
Puis aux lèvres de Jade en douceur s’y plongeait.
Son kimono bleu nuit glissait par l’harmonie
Des perles de flagrance embaumant le satin,
D’un tabouret précieux d’illustre palatin,
D’un paravent chinois mû sans cérémonie,
Porcelaine en bougeoir, Jade s’en saisissait.
Levant sa flamme d’huile entamant le silence,
Des yeux accompagnant l’intime vase bleu,
De ses joues trop poudrées d’un rose fabuleux,
Des ongles au vert brillant en signe d’insolence,
Jade s’abandonnait aux fleurs qu’elle chérissait.
Et la nuit contemplant l’errance de son encre,
Rosace sans soleil, se figea dans l’instant,
Donnant à son bouquet, le souvenir distant
De l’aurore troublante immobile sous l’ancre,
Déclinant l’ornement des teintes de douleur,
Révélant à la belle, sa passion des couleurs.
Pierre Barjonet
Juillet 2018
Neige
Neige
Le jour bruissait par les abeilles
Perlées de sourdes illusions,
Perdues dans des cristaux sans veille
En suffoquant sous l’effusion
Et me revient la Dame blanche
Qui fredonnait aux vieilles planches:
« Flocons que nous avions cueillis,
Noyaient leur âme en vil taillis »
La nuit frisait l’écorce mate
Des volets clos du vieil aïeul,
D’un ciel si bas que ne colmate
L’azur perdu sous le linceul
Et me revient la Dame blanche
Qui fredonnait aux vieilles planches:
« Flocons que nous avions cueillis,
Noyaient leur âme en vil taillis »
Le temps plongeait sous les racines
Sans la chaleur de la splendeur
Du bois givré qui me fascine,
Offrant ses fibres de candeur
Et me revient la Dame blanche
Qui fredonnait aux vieilles planches:
« Flocons que nous avions cueillis,
Noyaient leur âme en vil taillis »
La vie figée par l’agonie
Des fusains gelés en bosquets,
Parés de jais sans harmonie,
Contemplait l’horizon frisquet
Et me revient la Dame blanche
Qui fredonnait aux vieilles planches:
« Flocons que nous avions cueillis,
Noyaient leur âme en vil taillis »
C’était l’hiver, tapi de neige
Que s’enhardit son chant d’un jour,
Ou cet été devant la Meije
Que se rompit son bel amour
Et me revient la Dame blanche
Qui fredonnait aux vieilles planches:
« Flocons que nous avions cueillis,
Noyaient leur âme en vil taillis »
Pierre Barjonet
Juillet 2018
Guerlédan
Le lac de Guerlédan vient d'être vidé, pour entretien.
La dernière fois, c'était en 1985, la prochaine le sera dans une quarantaine d'années...
Ce spectacle insolite, lunaire, pour lequel se bousculent des milliers de visiteurs m'a inspiré ce poème, face à la nostalgie des pierres et poutres de la masure surgie des flots.
Je le dédie à ces gens de la vallée du Blavet inondée en 1930, à ces éclusiers, ces carriers de schistes, ces pâtres, ces hommes et ces femmes qui virent leur horizon se noyer...
Guerlédan
Elle abritait mon âme et ma flamme et ma reine,
Au creux de la vallée se nichant non sans peine,
Plus fière que jolie, ma chaumière aux moutons.
En consumant mon cœur, elle embrasait son âtre,
Fumant sous le labeur elle invitait les pâtres,
Se moquant bien des cieux et des nuages moutons.
Belle et triste masure, à jamais disparue
Toi qui ne reconnais ni le froid de la rue,
Ni les pleurs de la suie quand nous te ravalons,
Je te vois emmurée sous un sort de froidure
Et je te sais noyée sous la pente qu’endure
La chute des ardoises au tréfonds du vallon.
Si loin qu’il m’en souvienne, à l’aube couleur aube,
Quand l’eau prit le moulin puis fracassa son aube,
S’attaquant aux reliefs elle engloutit les sols.
Bondissant du Blavet, la voici qui régale
Les plis de ma contrée submergée sans égal,
Inondant nos prairies, l’onde en perd la boussole.
Puis le silence offert aux sentiers que nous fîmes,
S’étonnant de l’écho disparu dans l’abîme,
Guerlédan s’assoupit dans la voile du lac.
Miroir du souvenir plombé de lombalgie,
Langueur du clapotis, vigie de nostalgie
La flaque a pris les fards de l’azur en sa laque.
* * *
Ainsi contait l’aïeul, le roman de sa vie
Naufragée d’amertume ancrée dans Pontivy,
Jamais ne la revit, sa vallée du Blavet.
C’est elle mise à nu qu’aujourd’hui je savoure
Prolongeant mon regard en son sein, par bravoure
Partageant ses pensées d’un ultime duvet.
Pierre Barjonet
Mai 2015
Extrait du site : Lac de Guerlédan
Un peu d’histoire…
C’est en 1921 que Joseph Ratier, sous-préfet de Pontivy, imagine de barrer le Blavet au niveau de l’écluse de Guerlédan, sur le canal de Nantes à Brest, pour installer une grande usine électrique. L’idée fait peu à peu son chemin et les travaux commencent en 1924.
Cette construction gigantesque constitue, à l’époque, un réel défi pour les ingénieurs. En effet, avant la Seconde Guerre Mondiale, il existe quatre barrages de cette importance en France mais ces derniers ne produisent pas d’électricité, une gageure qu’il faut relever !
Il fallut l'audace du sous-préfet de Pontivy et la force d'action de l'ingénieur Auguste Leson pour que malgré nombre de problèmes financiers et techniques imprévus, le barrage et l’usine hydroélectrique soient inaugurés le 12 octobre 1930. Ils seront réquisitionnés par les Allemands sous l’Occupation. Ce projet initié par la Société générale d’entreprises a rapidement été transféré à la société Union hydroélectrique Armoricaine. EDF a repris l’exploitation de ce barrage en 1946, lors de la nationalisation du gaz et de l’électricité.
Une vallée engloutie…
La création du barrage entraîne l’immersion d’abris de carriers, de carrières de schistes, de 17 écluses et de plusieurs maisons éclusières. L'ouvrage coupe irrémédiablement le canal de Nantes à Brest en deux, interrompant définitivement la navigation fluviale.
Guerlédan, 1er barrage construit en béton en France.
Le barrage de Guerlédan est de type poids-béton d’une hauteur de 45 mètres et d’une longueur totale de 206 mètres. Il permet de constituer un lac d’une superficie de 304 ha, 12 km de long, 40m de profondeur au plus bas, 51 millions m3 d’eau… .
Le complexe hydroélectrique de Guerlédan-Saint Aignan produit une énergie renouvelable de 15 MW par an soit l’équivalent de la consommation annuelle des habitants d’une ville de 15000 habitants. L’aménagement hydroélectrique de Guerlédan est constitué d’un barrage et d’une centrale hydroélectrique. Le lac artificiel formé par le barrage a 3 fonctions : produire de l’électricité, contribuer à l’alimentation en eau potable et permettre la pratique d’activités nautiques.
Calendaire
Calendaire
Tentations qui longent ma treille Vendémiaire,
Souvenirs qui me rongent en approchant Brumaire,
Mon vieux calendrier m’assaille d’émotions.
Je me souviens du temps me plongeant en Frimaire,
Devant la cheminée, le buste de Voltaire,
Quand jeune écervelé, j’en perdais la notion.
Je buvais mes passions de rêves légendaires,
Me roulant dans ses yeux, tressaillant en Frimaire,
Étourdi sous le froid d’un impossible amour.
J’enviais jolie Marianne n’en soufflant que j’ose
Du châle l’alléger, la livrer à Nivôse,
Et du givre expiré, fondre de désamour.
Quand les boues du tourment ont fait glisser Pluviôse,
Affolant mon émoi du souffle de Ventôse,
Je me suis couché, las, abandonné, vaincu.
Et mes mains ont creusé l’antre de Germinal,
Arrachant au destin l’aube de Floréal,
Fleurissant mon aimée de promesses d’écus.
Coroles de bleuets, jonquilles de Prairial,
Pavots de nos prairies par touches impériales,
Fièvres de la Saint-Jean, brûlent de renouveau.
Que dansent les épis ! Que fauche Messidor !
Que vienne le désir chauffé par Thermidor
Et tienne le plaisir chanté par monts et vaux.
Reste au vieil almanach bloqué sur Fructidor,
D’oublier la moisson des songes que j’adore,
D’étreindre la corbeille aux fruits de la passion.
S’effritent les vertus d’ancienne République,
S’irrite des pêchés son buste vu d’oblique,
Marianne calendaire, aimée sans compassion.
Pierre Barjonet
Mai 2015