Bérézina
" L'adieu "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Juillet 2024 - 40/30 - Crayon noir et couleurs, pastel gras.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Samuel BARBER " Agnus Dei " (choeurs)
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Bérézina
Couchée sur un traîneau, Rose gémit toujours,
Mais affronte son sort avec un cœur farouche,
Et les hommes inquiets qu’elle ne passe trois jours
La veillent d’heure en heure en protégeant sa couche.
Le repos à Smolensk1 n’est plus qu’un souvenir
Sans l’aide d’hôpital ni celui d’ambulance2,
Ni vivres, mais voilà qu’on lui fit parvenir
De la soupe au gruau3 malgré ces turbulences.
Des grognards bienheureux des bienfaits de leur chef,
Criant : « Vive l’Empereur »4 ont partagé farine,
Du riz, de l’eau-de-vie, les restes de reliefs,
Puis en réchauffant Rose, ont vanté « leur tsarine ».
Mais aujourd’hui sa voix prend le teint des frimas.
Son entrain s’est brisé, dévoré de blessures,
Et quand on la posa sachant qu’elle exprima
La douleur des cahots, ce fut une fissure.
La lune s’est levée dégoulinante en maux,
En ces plaies de misère et plaintes importunes,
En la mort pétrifiant hommes et animaux,
Par la gloire et l’honneur tombés en infortune.
Au matin, le brancard de Rose s’est éteint,
Faisant corps au sourire arqué sous la grisaille
D’une aube de combats sous des nuages d’étain
Couvrant sa sépulture en guise d’épousailles.
Puis le vent s’est levé, balayant les regrets,
Fracassant l’horizon, refermant le passage
De la large rivière5 où l’on reléguerait
Les traînards et blessés dans un affreux brassage.
Le canon donne et tonne en lisière des bois,
La tourmente à son comble entraîne la furie
Des armes surchauffées par des corps aux abois,
Cherchant des yeux le gué6 sauvant de la tuerie.
Et soudain l’Empereur, son grand état-major
Débouchent recouverts de manteaux et pelisses7
Suivis de généraux, colonels en rapport,
D’officiers sans chevaux8 marchant vers leur supplice...
Pierre Barjonet
Avril 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 10 « Bérézina » (Avril 2024)
Napoléon qui s’imaginait trouver à Smolensk à défaut d’un havre de paix, un minimum de réconfort pour ses troupes exténuées fut bien obligé de constater l’état critique de la ville exsangue aux maisons dévastées ouvertes à tout vent, aux réserves épuisées depuis longtemps, aux morts et blessés abandonnés à même les rues, aux chevaux dévorés, et le tout sous un froid polaire ! Il n’y resta que cinq jours à peine pour reprendre la route de l’ouest. Parvenu au terme d’une nouvelle marche épuisante en vue de Borissov (ou Baryssaw) que traverse la Bérézina, affluent du Dniepr, il envisage de la traverser grâce au pont et passages gardés par l’une de ses troupes polonaises. Malheureusement il apprend que cette troupe a été défaite et que le pont incendié partiellement par les Russes reste sous le feu des batteries de l’amiral Tchitchagov rendant impossible sa reconstruction. L’urgence de trouver un gué à proximité pour reconstruire des ponts s’impose alors...
Chacun connaît ce nom synonyme d’échec et de défaite, mais peu de gens savent que cette rivière bloquant le passage des troupes de Napoléon à son retour vers la France, fut en fait un succès militaire de l’Empereur, (à défaut d’une victoire) sur l’armée de Koutousov. En effet, grâce au général Juvénal Corbineau, il fut informé d’un gué à 15 km au nord de Borrisov devant le village de Studianka. Avec ses maréchaux, dont Nicolas Charles Oudinot et Michel Ney, il berna et repoussa l’ennemi. Il put enfin, grâce aux pontonniers du général Jean-Baptiste Éblé, qui établirent dans l’eau glacée deux ponts, franchir la Bérézina et s’échapper avec une grande partie de l’armée (voir mon prochain poème « Pontonniers »).
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Smolensk, la même ville qu’à l’aller qui n’a pas oublié sa bataille du 16 au 17 août ni l’incendie d’une partie de ses édifices, maisons et remparts en proie à des combats sanglants ; Smolensk donc, que l’Empereur rejoint le 9 novembre (il en repartira le 14). De fait, l’on ne peut vraiment pas parler du « repos » auquel songeait Napoléon pour ses troupes épuisées.
2 La situation à Smolensk était terrible, faute de vivres, de fourrages, et même d’abris ; la troupe ayant brisé tout ce qui était en bois et pouvait servir les feux de bivouac : portes, fenêtres, planchers, toits, murs... Le peu d’hôpitaux et « d’ambulances » (services aux blessés équipés d’un minimum d’infrastructures avec tentes, fourgons et équipements chirurgicaux de campagne) ne pouvait plus accueillir de nouveaux blessés qui du coup, restent empilés sur des charrettes et des brancards d’infortune par une température de -16° !
3 Il s’agit là, d’une sorte de bouillie faite à partir de grains grossiers d’avoine et non de blé, mais qui ici, valait tous les potages du monde !
4 Lorsque Napoléon fit son entrée à Smolensk, par « la porte de Moscou », marchant à pied au milieu de sa garde rapprochée et de ses maréchaux et généraux, ceux qui l’avaient devancé le saluèrent avec entrain mêlé d’espérance.
5 Il s’agit de la fameuse rivière Bérézina, affluent du Dniepr (lequel passe à Kiev et traverse également Smolensk), barrant la route du retour, mais que l’Empereur envisage de traverser à Borissov (Baryssaw) dont le pont est gardé par 1.200 polonais sous ses ordres... C’est une rivière peu profonde, mais très large, faite de vastes étendues de marécages.
6 L’Empereur apprend non seulement que le 24 novembre les Russes ont vaincu les Polonais et se sont emparés du pont et des autres passages, mais qui plus est que la Bérézina n’est pas encore gelée, donc quasiment infranchissable, ce qui le met dans une fureur extrême. La quête d’un gué difficile à trouver entre les larges bras marécageux de la rivière devient la priorité.
7 Les « Grands chapeaux », ou les « huiles » de l’État-major ressemblent tout comme leurs troupes à des spectres et sont emmitouflés comme leurs malheureux soldats dans des pelisses et des fourrures parfois en lambeaux, voire avec des guenilles durcies par un froid épouvantable.
8 L’ordre avait été donné par Napoléon, bien avant Smolensk, d’abandonner tous les chariots de butin inutile au combat ou au transport des blessés, et de récupérer les chevaux, y compris ceux des officiers généraux, pour le transport des canons. Néanmoins, à Smolensk devant la famine ayant engendré l’abattage des maigres chevaux, force fut d’obéir à la destruction des grosses pièces d’artillerie « enclouées » (gros clou d’acier enfoncé dans la « lumière » de mise à feu d’un canon pour le mettre hors d’usage) et de ne garder que les petites pièces de mitraille.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
La Bérézina aujourd'hui
(images de l'époque à voir dans mon prochain poème : " Pontonniers ")
Elle prend sa source à 80 km au nord de Minsk, puis après une boucle au nord, s'enfonce vers le Sud-est vers la fin de son parcours.
Cette carte situe l'écart entre Smolensk (au tiers supérieur droite) et Minsk (au milieu à gauche) avec donc la Bérézina au sud, sud-est de Misnk.
Napoléon et son état-major au milieu des spectres de la Grande-Armée...
La cathédrale de la résurrection à Borissov
Enclouer un canon
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