Palette volcanique
Palette volcanique...
...ou comment en suis-je arrivé
à jouer (cliquer sur la musique)
cette
Anse du volcan perdu
J'avais trouvé une photo sur le Net qui me parlait assez (chut, elle n'est pas à moi).
J'aimais bien cette vue plongeante sur une baie maritime mouillée de la houle et du ressac.
J'appréciais ces colonies de nuages en partance vers d'autres cieux.
J'étais attiré par ces teintes successives de l'eau qui vient se diluer sur la grève, mais je n'appréciais pas trop l'absence de composition des terres trempées d'algues indéfinissables.
Voici la photo :
Je croquais donc rapidement cette scène * en plaçant les masses de formes modifiées en rapport avec le format " assez carré " de ma toile (en fait, un 15 Figure, soit 65 x 54 cm) contre le "16/9" de la photo.
* au pinceau avec un mélange d'ocre jaune et de terre de Sienne, très dilué dans un médium sec (essence de térébenthine, peu d'huile de lin et du siccatif de Courtrai)
Et j'éclaboussais de teintes couvrantes, le blanc de ma toile de lin blanc en autant de teintes posées d'abord les unes contre les autres, puis ajustées assez vite.
Mais déjà, m'apparaissait comme une évidence de transformer la falaise centrale en une sorte de montagne usée, de volcan probablement ? Et de rayer de la carte cette maison saugrenue.
J'aimais bien le velours bleu/vert de la mer aux accents de turquoise provoquant les bleus de Prusse, de céruléum et d'outremer qui venaient lécher les ocres bruns, terre d'ombre brûlée, ocre rouge et jaune de Naples du rivage.
Et j'avais laissé mon pinceau danser avec les nuages... folâtrant avec le duvet de l'écume en contrebas.
Après deux heures de natation privée, j'étais assez content.
J'avais chaud, mais le souffle du large avait vite séché mes inquiétudes.
Puis...
Je délaisse ma toile !
Succombant au chant des naïades fêtant l'été sous les chaleurs estivales, j'oublie le vague à l'âme de mes vagues picturales pour mieux me plonger dans le (vrai) grand bleu !
Je l'oublie, je l'abandonne...
Mais elle, non !
Et durant tout ce temps, les vapeurs volcaniques chauffées à blanc grondent de rage...
Elles sèchent tant et tant ma toile qu'il devient impossible de poursuivre le travail engagé, si ce n'est en la reprenant entièrement.
Furieux, je la laisse tomber.
Seulement, le volcan n'avait pas dit son dernier mot.
L'hiver durant, à chaque fois que j'allumais un feu, les flammes et les fumeroles de ma cheminée semblaient chanter : " le volcan ! le volcan ! le volcan ! le volcan ! "
Je me disais : c'est l'hiver, un temps à ne pas mettre un basalte volcanique dehors. Encore moins une anémone de mer !
On verra plus tard...
Et je l'oublie, je la perds et...
Je la trompe !
Je laisse mon inspiration suivre le tracé des comètes.
Reprenant mes pinceaux au coeur des froidures, je commets en effet, un acte impardonnable pour la chaîne des volcans de ce bas monde :
Je peins des glaciers !
Cliquer vers ce lien => Les glaciers
Dans le magma infâme de mes sentiments disparates, je noie le peu de passion qu'il me restait pour le souffle des volcans, en leur préférant la brise glacée des fjords glacés.
E la nave va...
cliquer sur cette musique après avoir arrêté la précédente, of course :
Bientôt, le temps du muguet tintinnabule. Les prairies se couvrent de boutons multicolores joyeux. Les frondaisons d'émeraude se jouent des traits de lumière en les détournant de leur chemin.
Et la chaleur revient.
Avec elle, les piaillements d'oiseaux aperçus à la verticale des futaies semblent me crier : " le volcan ! le volcan ! le volcan ! le volcan ! "
Frénétique, je plonge sous le monceau de poussières volcaniques accumulées durant l'hiver dans mon atelier, et je la retrouve !
Elle était là, protégée des fureurs du temps par une épaisse couche de cendres parisiennes : ma toile.
Mais elle était desséchée, froide, rugueuse et mate, avec un arrière-goût de soufre s'échappant des clés de tension du châssis.
Je reprends ma palette et pour me faire pardonner, lui offre les pigments des mers du Sud.
Je la baigne, je la mouille, je détrempe ma toile afin de lui rendre la souplesse de son lin originel.
Cela passe par une reprise totale du travail à grand renfort de couches successives, d'abord relativement sèches pour ne pas trop la brusquer et surtout, pour éviter le craquèlement.
En peinture à l'huile, il est impératif de "peindre gras sur sec". C'est-à-dire que les 1ères couches ou sous-couches se doivent d'être constituées d'un liant (ou médium) sec, comme indiqué ci-devant. Puis, on graisse (huile de lin ou d'oeillette et très peu d'essence) progressivement le mélange. Sinon, dans le cas contraire, une sous-couche grasse ferait éclater la couche sèche "déjà sèche". Quant au vernis, jamais avant 6 mois (d'où l'expression "vernissage" afin de présenter en les vernissant devant son public des toiles bien sèches).
Mais en reprenant la toile, de fait, j'en modifie formes et nuances.
Rappel de l'origine :
J'ai discipliné le ciel en lui donnant les mêles tons que la mer donc avec des nuances vertes.
Je lui ai ajouté des franges dorées afin de réchauffer des nuages semblant masquer le soleil à la verticale des points de fuite de la perspective générale.
J'ai assombri deux masses nuageuses en surplomb de la mer lointaine.
Mais j'ai surtout rompu avec les couches d'eau mourant sur la grève en trois larges vagues successives, et j'ai "habillé" la côte de roches et de sable formant déjà une anse.
Puis j'affine ce qui devient maintenant un volcan, reconnaissable à sa forme et ses lignes de coulées de lave verticales.
Je précise la teinte de l'onde et structure les vagues
MAIS...
J'ai un problème !
Je ne suis pas satisfait de la perspective des vagues. Leur parallélisme me gêne, pourtant hérité de la photo d'origine.
Alors, je réfléchis, mais ne trouve pas.
Le volcan se serait-il vengé ?
Probablement ! Il a soufflé des silicates désagréables dans la chambre magmatique qui me sert d'atelier...
J'escalade les pentes abruptes du volcan en livrant un combat frénétique contre l'adversité, et je structure davantage les crêtes des vagues, j'en change la couleur, je donne davantage de mouvement en jouant sur les flous d'arrière-plan, je travaille les falaises du premier plan en leur donnant la teinte du basalte aux reflets d'obsidienne, mais rien n'y fait.
De guerre lasse, je laisse tomber.
Cet immense à plat de vagues me dérange.
Je me saisis d'un couteau à peindre et des braises de fureur animent mon regard...
Il fait chaud, très chaud !
Et soudain, le déclic !
En parcourant d'autres photos sur Internet, je comprends...
La courbure ! La COURBURE d'une anse, de l'anse, est la solution.
D'ailleurs, l'ANSE, voilà un titre valable, mais pas seul :
" L'anse du volcan éteint "...
" l'anse du volcan lointain "...
" L'anse du volcan perdu "
Eurêka ! Reste à peindre...
Je n'ai plus qu'à rectifier les lignes de crête de mes déferlantes en les courbant suivant la logique de l'anse, donc parallèlement à la rive, mais toujours en perspective face au volcan.
Et dans la foulée, je donne des teintes paille aux plateaux des falaises du premier plan.
C'est mieux, non ?
Je suis fâché avec les falaises de droite.
Je les trouve "fadasses". C'est peut-être Maître Volcan qui a remplacé la soie de mes pinceaux par des scories de pierre ponce !
Alors, Pierre, reponce-moi ça !!
Je m'exécute en ouvrant ces falaises pour laisser la mer s'engouffrer davantage. Du coup, la falaise de droite, en troisième position, gagne en force et en caractère, quand la toute première s'assouplit pour lui en laisser la vedette. Dans un premier temps, j'avais dessiné un angle oblique unique pour cette falaise puis je l'ai brisé afin de laisser cet éperon seul, coiffé de son chapeau de paille...
Reste encore à fignoler : donner du contraste, placer ça et là quelques traits de blanc de zinc ou de blanc de titane tout juste marqués de jaune de cadmium ; une ou deux touches de laque de garance ou de carmin ; et de renforcer les ombres portées des nuages sur la houle.
J'oubliais : j'ai apporté plusieurs couches de glacis (technique héritée des Maîtres Flamands), pour donner à l'eau une relative transparence d'azur et d'outremer/turquoise.
Puis, je vérifie chaque élément du "puzzle"...
Et, n'en déplaise au roi des forges, après une ultime bravade, s'abandonnant sous un panache de médium brillant,
je signe mon forfait !
Puisse l'anse du volcan perdu
vous inspirer
et
si d'aventure
vos pas vous conduisent
vers un volcan baignant ses racines
dans des coulées de lave figée par l'érosion
alors, ayez une pensée pour ma toile et sa nuée ardente
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