Blouse
Blouse
Sa palette imprégnée par l’aventure humaine
M’a toujours inspiré son emploi de semaine,
Laissant aux jours chômés d’en lessiver l’effort.
Et n’en plaise de taire un usage ancestral
Dont le maintien discret privé de piédestal
Fait écho sobrement au devoir sans confort.
Tunique ou tablier, flotte au vent digne blouse,
Lavée, raccommodée, sans découpe jalouse,
Tel est son pavillon, l’étendard du travail.
Et c’est par son nuancier, son tissu si fidèle
Que salopette sait d’où lui vient son modèle,
Ne laissant qu’un parfum d’un avenir qui vaille.
Qu’il s’agisse du Maître ou de l’ancien élève,
La revêche à ses heures a perdu la relève :
Dix fois, trente, cinquante, en ont nuancé le gris.
Et quand nous apostrophe, en bleu cet apprenti,
Trônant dans sa vareuse en haut de l’appentis,
L’on se dit que le lin ne l’aura pas aigri.
La blanche a des pigments que la sagesse ignore,
Se pare de vertus immaculées que dore
Le prestige des soins, pourtant tâché de sang.
Et du fond des tranchées, blouses mobilisées
Se parent de rubis, pourpre fragilisée,
Baignant de lie de vin, toile et cresson moussant.
Portées courtes, échancrées, les toges des Romaines
Valent bien les livrées de tant d’autres domaines,
S’emparant de couleurs et chaleur à la fois.
Et s’enflamment gaiement remisant au placard
L’uniforme d’antan, le gilet de jacquard,
Le sarrau paysan, le largeot d’autrefois.
Arc-en-ciel étoffé, les fraisiers sont de mise,
Les orangers sucrés, les citrons sans remise,
Offrent une peau légère aux métiers bienfaisants.
Et se fâchent les chefs en fibre toute grise
Quand se tachent les sots au métal qu’on égrise
Ou que fument les bleus dans l’atelier pesant.
Triste combinaison tant boutonnée de rêves
Des fières ouvrières en chasuble sans trêve
Meurtrissant leur candeur au destin sans répit.
Et danse la cadence emprisonnant leurs corps
Maquillant de cambouis leurs blouses sans raccords
Dessinant les contours de larmes de dépit.
Quand rentrée sous son toit, la ménagère usée
Revêt son tablier, gardienne du musée,
Astiquant éreintée sans le moindre merci,
Et frottant le tergal engageant son corsage
Cache-cœur du labeur, cruel réamorçage,
Ses heures sous vareuse en ôtent l’éclaircie.
Pierre Barjonet
Janvier 2016
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